En quoi ces préfaces sont-elles des discours ? (Dissertation)
Remarque : ceci n’est qu’une ébauche de dissertation ; les idées et les exemples sont à développer.
Corpus
« Introduction » des Lettres persanes (Montesquieu, 1721)
« Avis de l’auteur » sur Manon Lescaut (abbé Prévost, 1731)
« Préface » des Égarements du cœur et de l’esprit (Crébillon fils, 1736) [voir infra]
« Préface » de Julie ou La Nouvelle Héloïse (Rousseau, 1761)
Sujet : « En quoi ces documents sont-ils des discours ? »
Le corpus de textes qui retient notre attention se compose de quatre « pré » textes appelés tantôt « Introduction », « Avis de l’auteur » ou « Préface ». Quelle que soit leur appellation, ils visent tous à annoncer et à expliquer le contenu du roman « introduit », qu’il soit ou non épistolaire. Ces ouvrages ont tous été publiés au 18e siècle par quatre philosophes des Lumières. Nous avons d’abord l’ « Introduction » des Lettres persanes (1721) de Montesquieu, dans laquelle l’auteur justifie son refus d’une préface. L’abbé Prévost, dans son « Avis de l’auteur », s’interroge sur l’enjeu de son roman, Manon Lescaut (1731). Crébillon fils et Rousseau rédigent, quant à eux, une « Préface », respectivement introduction des Égarements du cœur et de l’esprit (1731) et de Julie ou La Nouvelle Héloïse (1761). Crébillon fils annonce son désir de réformer le roman et Rousseau justifie ses choix narratifs. L’enjeu de ce corpus réside dans l’engagement personnel et identifiable des auteurs. Nous allons donc nous demander en quoi les documents proposés sont des discours. Nous veillerons d’abord à prouver qu’il s’agit bien de quatre discours, puis nous montrerons leur visée argumentative.
Le narrateur se manifeste avec la première personne du singulier dans les quatre textes. Le « lecteur » est également clairement visé par nos auteurs, devenant « public » pour Prévost qui va jusqu’à citer le précepte d’Horace énoncé dans son Art poétique : « Que l’on dise dès maintenant ce qui doit être dit dès maintenant, et que l’on rejette à plus tard tout le détail en l’écartant pour le moment. » Émetteur et destinataire apparaissent alors sans ambiguïté. De plus, le système des temps verbaux est celui du discours : l’énoncé est situé par rapport au moment de l’énonciation, d’où la prédominance du présent et l’emploi du passé composé quand le locuteur renvoie au passé. Crébillon fils affirme ainsi que « l’homme qui écrit ne peut avoir que deux objets : l’utile et l’amusant. Peu d’auteurs sont parvenus à les réunir. » Ces quatre textes écrits à l’issue de l’ouvrage sous sa forme définitive sont donc bien des discours dans lesquels chaque auteur s’intéresse au lecteur pour lui faire part de ses intentions. Introducteurs, ils se chargent alors d’une autre fonction que celle habituellement attendue dans une préface.
La revendication du fictif apparaît clairement dans trois des documents : Montesquieu affirme être le « traducteur » de lettres écrites par des amis persans. De la même manière, Rousseau aurait recueilli et publié les « lettres de deux amants » et Prévost présente son roman comme s’il s’agissait d’une « addition » à ses faux « Mémoires ». En réalité, les auteurs justifient le contenu de leur œuvre en glorifiant le roman par le biais du fictif.
Le genre romanesque est en effet en pleine mutation. Crébillon fils évoque la rénovation nécessaire du roman en le dépouillant des « puérilités fastueuses » et des « situations ténébreuses et forcées » pour en faire le reflet plus crédible de la condition humaine, soulignant que « le fait, préparé avec art, serait rendu avec naturel. » Montesquieu, Prévost et Rousseau revendiquent l’étude des « mœurs » de la société dans un esprit dénonciateur cher aux Lumières. Il s’agit alors pour chacun d’expliquer et de justifier sa démarche : écrire un roman qui se charge d’une dimension critique pour susciter la prise de conscience nécessaire à un changement de société.
Ces discours reflètent donc la volonté de faire du roman un genre innovant dans lequel les formes et les inspirations vont devenir multiples et variées. Le recours au discours avec un « je » clairement identifié et responsable de ses écrits se justifie. Le 18e siècle voit en effet l'émergence du moi.
Sur le site, pour en savoir davantage sur ces ouvrages :
Extrait de la Préface de Crébillon fils
"Les Préfaces, pour la plus grande partie, ne semblent faites que pour en imposer au lecteur. Je méprise trop cet usage pour le suivre. L'unique dessein que j'aie dans celle-ci est d'annoncer le but de ces Mémoires, soit qu'on doive les regarder comme un ouvrage purement d'imagination, ou que les aventures qu'ils contiennent soient réelles.
L'homme qui écrit ne peut avoir que deux objets : l'utile et l'amusant. Peu d'auteurs sont parvenus à les réunir. Celui qui instruit, ou dédaigne d'amuser, ou n'en a pas le talent ; et celui qui amuse n'a pas assez de force pour instruire : ce qui fait nécessairement que l'un est toujours sec, et que l'autre est toujours frivole..."
Plus loin, Crébillon fils fait des remarques intéressantes sur le roman. Il évoque leurs "situations ténébreuses et forcées", les "héros dont les caractères sont toujours hors du vraisemblable" et les "événements extraordinaires et tragiques qui enlèvent l'imagination et déchirent le coeur [...], aventures dans le sérail [...], morts imprévues [...], souterrains [...] contre la convenance et la raison.
Il s'agit pour lui de rendre le roman utile s'il est bien manié, en faire un tableau de la vie humaine où on censure les vices et les ridicules : "Le fait, préparé avec art, serait rendu avec naturel." En somme, il tente de réformer le roman.
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Date de dernière mise à jour : 02/08/2023