Lire, écrire, étudier
Dans son ouvrage L’Homme aux trois lettres (Grasset, 2020), Pascal Quignard fait l’éloge de la lecture, de l’écriture et de la lecture. On peutr trouver ici quelques arguments.
Il écrit notamment :
* « Monsieur de Pontchâteau faisait office de jardinier dans le monastère de Port-Royal-des-Champs. Il jardinait, il prenait sa binette, il poussait sa brouette à deux roues (sa berouette), il revenait de l’étang avec la cruche ou l’arrosoir ou le seau – mais il aimait plus que tout lire. Il a écrit en 1678 dans son journal : « Je n’ai pas vu d’autre clarté aujourd’hui que celle qui se tient sur la mèche de ma lampe. »... Monsieur de Pontchâteau avait toujours ce mot de L’Imitation de Jésus-Christ à la bouche : « J’ai cherché partout dans ce monde le repos et je ne l’ai nulle part trouvé que dans un coin avec un livre. »
* « Un jour de l’année 1611, Monsieur de Saint-Cyran fit construire pour son ami Cornelius Jansen, grâce à l’habileté d’un menuisier de Campirat, un fauteuil à l’un des bras duquel il avait adapté un pupitre. C’est Jansénius en personne qui avait dessiné le plan du bras fixé au pupitre pour pouvoir étudier avec le plus de commodité possible. Qu’est-ce qu’étudier ? Étudier, c’est lire en écrivant. »
* « Le plaisir de prendre dans sa main le premier livre qu’on écrit est intense. Madame de La Fayette exprime, dans une lettre qu’elle envoie à Ménage, la joie qu’elle éprouve à toucher le petit volume relié de peau de La Princesse de Montpensier, paru à la fin du mois d’août 1662. Elle réclame quatre, puis six, puis douze exemplaires, pour le bonheur de les caresser.... Il ne s’agit en rien d’un plaisir narcissique puisque Madame de La Fayette n’a jamais signé ses livres et qu’elle n‘a jamais revendiqué de les avoir écrits. »
* « Ce fut comme un long orage où tous prirent peur. Quand les premiers livres typographiques sortirent des premières presses de l’Histoire de l’Europe du Nord, sur les bords de l’Ill, toutes les sociétés d’Europe voulurent les interdire. La lecture individuelle souffla comme une tempête. La psyché à l’état libre fit peur à l’ensemble des régimes, des hiérarchies religieuses, des groupes communautaires si inconsciemment associés à leur langue. Le roi Louis XI envoya un homme à Strasbourg, là où avait été écrite pour la première fois la langue française sous la main du comte Nithard, en sorte de s’attacher les imprimeurs. Le premier texte français rédigé par le comte Nithard, entre l’Ill et le Rhin, dans la plaine d’Alsace, au 9e siècle, ç’avait été une brume. Au 15e siècle, au 16e siècle, au 17e siècle, ce fut un long orage qui ne semblait pas connaître de fin. Le roi Louis XI ajouta que non seulement il était de leur côté – eux, les compositeurs de lettres de plomb, avec leurs grandes presses à cidre – tant il aimait lire, mais qu’il aurait à cœur de les défendre contre l’imposition de sorcellerie dont on commençait à les soupçonner. La coiffe de drap gris, la modestie errante, le hibou nocturne, Louis XI est le seul roi de France qui aimât lire. Ce fut le seul grand roi de la lettrure (littérature).
* « Le caractère italique fut inventé par Alde Manuce à partir de l’écriture manuscrite des lettres qu’on avait conservées de Pétrarque. »
* Quant au Garamond, il revient à Claude Garamond, tailleur et fondeur de lettres. « Il vendait les lettres de plomb qu’il avait dessinées rue Saint-Jacques, à l’enseigne des Quatre Fils Aymon. Ce fut durant le mois de novembre 1540 qu’il creusa les « grandes lettres grecques du roi » (François Ier), puis les romaines au mois d’avril suivant.
* « L’ange Gabriel appart à Mahomet dans la nuit de la grotte... L’ange ne lui dit qu’un mot : Lis ! C’est le 17 du mois de ramadan 610 que Mahomet connut la révélation de la lecture... Après Moïse qui se fit Loi, après Jésus qui se fit Verbe, Mahomet se fit Lecture. Le tout premier mot du Coran est Ikra ! Impératif de lire à la deuxième personne du singulier. Cet impératif engage sans tiers. Dieu implique dans la solitude de la lecture toute l’humanité dans tout homme. »
* Nombre d’écrivains travaillent le matin. Pascal Quignard cite Emily Brönte « prescrivant qu’il allait avoir fait la moitié de la tâche du jour à dix heures du matin (« Half his day’s work by ten »), Descartes qui étudiait dans son lit de bonne heure, que ce soit à La Flèche, en Allemagne ou en Hollande (son « poêle ») et Mozart qui composait au lit de l’aube jusqu’à dix ou onze heures.
* A propos de l’imitation en littérature :
Goethe a écrit dans Faust (vers 682) : « Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le en sorte de le posséder » ... Mais hériter n’est pas posséder, selon l’auteur qui poursuit : « L’originalité est née avec le romantisme. Il (Goethe) se garde d’y entrer. Goethe reste grec » comme Hölderlin, Nietzsche ou Heidegger. Ce sont des atticistes : « La doctrine de l’ancienne Rome était impérative : toute œuvre doit hériter de ce qui la précède (la Grèce). » Aristote a écrit dans sa Poétique qu’Homère, parce qu’il est le prince de l’imitation, est le roi du passé. Cela dura jusqu’au 17e siècle.
L’auteur cite Pic de la Mirandole, accusé d’avoir pillé les œuvres du passé, qui écrit dans Apologia III : « Vous voudriez me faire boire la ciguë parce que j’aurais été aimé par des morts que vous aviez tous oubliés ? Et maintenant vous me faites un péché d’ne reproduire les vestiges dans les pages que j’accumule ! »
Il cite également Sénèque qui écrit dans De brevitate vitae, XIV, I : « Aucun siècle ne nous est interdit. »
_ _ _ Fin de citation
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Date de dernière mise à jour : 22/03/2021