Portraits de Nattier
Bien entendu, comme Mme Vigée-Lebrun plus tard, il embellit ses modèles. Sa première réussite est le portrait de Mme de Mailly, favorite de Louis XV, qui lui vaut ses entrées à la cour comme portraitiste officiel.
J'ai noté les lignes suivantes chez Maurice Lever (sous toutes réserves) :
« Mme de La Tournelle est belle - et point ses sœurs -. Le portrait que Nattier fait d'elle vers 1740 sous l'allégorie du Point du Jour nous montre, se détachant sur un fond en subtil dégradé de bleus et de bruns, une éclatante jeune femme au visage rond et régulier, aux joues pleines, à l'opulente gorge très blanche, nonchalamment étendue sur un nuage, tenant dans sa main gauche une torche enflammée - un « flambeau qui n'est, à ce que pense M. le prince de Conti et toute la France avec lui, qu'une faible image du feu de ses yeux. » Un portrait si beau et si ressemblant à la fois, que la conjonction des deux tenait du miracle. Toutes les dames voulurent avoir le leur : Nattier y gagna ses entrées à Versailles comme portraitiste de cour. Louis XV la fit duchesse de Châteauroux, ce qui ne l'empêcha pas de mourir à vingt-sept ans. Choiseul écrit dans ses Mémoires : « Le Roi ne se souvint pas longtemps qu'il avait cru l'aimer car, dans l'hiver même, quatre mois tout au plus après sa mort, il prit madame d'Etiolles, femme d'un fermier général, qu'il logea à Versailles, dans l'appartement de feue madame de Châteauroux. Elle coucha dans le même lit que cette précédente maîtresse et il faut convenir que, s'il y a eu de la force d'esprit au Roi dans cet oubli de toute bienséance, il n'y avait de sa part ni délicatesse, ni force de sentiment. » (fin de citation).
Casanova, dans ses Mémoires, écrit au sujet de Nattier :
« Quoique le portrait soit la partie la plus matérielle de l'art, il est juste de remarquer combien les peintres qui ont excellé dans ce genre sont en petit nombre. Tel a été le célèbre Nattier de Paris, que j'ai connu dans cette capitale en 1750. Malgré son grand âge, son beau talent semblait encore dans toute sa fraîcheur. Il faisait le portrait d'une femme laide ; il la peignait avec une ressemblance parlante et, malgré cela, les personnes qui ne voyaient que son portrait la trouvaient belles. Cependant l'examen le plus scrupuleux ne laissait découvrir dans le portrait aucune infidélité ; mais quelque chose d'imperceptible donnait à l'ensemble une beauté réelle et indéfinissable. D'où lui venait cette magie ? Un jour qu'il venait de peindre les laides Mesdames de France, qui sur la toile avaient l'air de deux Aspasies[1], je lui fis cette question. Il me répondit : « C'est une magie que le dieu du goût fait passer dans mon esprit au bout de mes pinceaux. C'est la divinité de la Beauté que tout le monde adore et que personne ne peut définir, parce que nul ne sait en quoi elle consiste. Cela démontre combien est imperceptible la nuance qui existe entre la laideur et la beauté. »
Les portraits de Mesdames de France, filles du roi
Louis XV fit faire leurs portraits par Nattier en 1747-1748. Pierre de Nolhac, longtemps conservateur du musée de Versailles, les décrit en ces termes :
* Madame Louise
« Elle est blonde et douce avec de grands yeux tendres et sa joliesse est délicieusement enfantine. La couleur rose de la robe, à grand panier, sous le tablier de dentelle, avive à peine le teint délicat et blanc. Des dentelles couvrent à moitié ses bras fluets ; une des mains présente une fleur d'un geste gentiment maniéré ; l'autre retient la corbeille pleine où elle vient de puiser. Dans ses cheveux nuagés de poudre sont des perles et un pâle œillet. Toute la paix du couvent se reflète en cette petite princesse, parée bien artificiellement de l'habit de cour quelle portera un jour à Versailles et qu'elle quittera plus tard pour la robe de bure des carmélites. »
Nattier évite de peindre une difformité à l'épaule qui deviendra plus tard une bosse...
* Madame Victoire
« Ses yeux sombres ont une douceur inquiétante ; la longue frange de cils ombre ses joues ; la bouche est sensuelle, le menton étroit, le front large ; les cheveux noirs s'harmonisent au teint mat et doré. La robe brodée d'or, l'écharpe de soie jaune, les dentelles blanches semblent parer un corps voluptueux. »
* Madame Sophie
« Madame Sophie est moins formée ; dans ces clairs paniers à grands ramages, son corps menu n'apparaît point ; une guirlande de fleurs orne le corsage dont la pointe descend très bas. La main droite relève un voile léger posé sur la chevelure poudré ; les grands yeux ont du rêve comme ceux de Louis XV et le menton délicat achève l'ovale pur du plus joli visage du monde. »
Remarque : ces citations proviennent de l'ouvrage de Bruno Cortequisse, Mesdames de France (Perrin, 2010)
* Reste Madame Adélaïde, la préférée de Louis XV, la seule à ne pas aller au couvent de Fontevrault, et certainement la plus méchante...
Portrait que fit de Mme Adélaïde Mme Labille-Guiard en 1787 :
La princesse, âgée de cinquante-cinq ans, porte une robe d’apparat de velours rouge qui s’ouvre sur une jupe de soie gris perle brodée de feuilles d’or. Elle est coiffée d’un bonnet dit « à papillons ». Dans la main gauche, elle tient un mouchoir de dentelles et un pinceau dans la main droite, comme si elle peignait. Près d’elle, sur un grand chevalet, une toile représente les portraits de Louis XV, de Marie Leczinska et du dauphin mort jeune, auquel succéda le futur Louis XVI.
Portrait de Marie Leczinska
C’est en « particulière » que la reine Marie Leczinska (orthographe simplifiée), l'épouse de Louis XV, exige de poser devant Nattier en 1748, pour le dernier portrait qu’elle laisse faire d’elle, un tableau symbolique de sa personnalité.
Elle porte une robe de velours rouge bordée de fourrure, un nœud de rubans en guise de plastron, un bonnet de dentelles blanches fixé par une “marmotte” de dentelles noires : rien ne désigne en elle la souveraine. Il faut y regarder de très près pour apercevoir les riches bijoux – boucles d’oreilles et collier – ; quant au médaillon, il ne saute pas vraiment aux yeux. En revanche, c’est visiblement sur un Évangile ouvert qu’elle laisse reposer son bras gauche, dans une pose détendue, l’autre main abandonnée devant elle. Nattier, comme à son habitude, a sans doute discrètement flatté ce visage, raffermi les contours, atténué le nez trop fort. Mais les visiteurs du Salon – qui a lieu à Paris tous les deux ans – s’accordent à louer la ressemblance… Dans le regard rêveur qui se perd au loin sur la gauche, dans le sourire à peine esquissé qui anime la bouche, on retrouve ce fond de mélancolie et de gaieté mêlées et surtout cette bonté toute simple qu’on lui reconnaît comme signe distinctif majeur.
Sources : La Reine et la favorite, Simone Bertière, Fallois 2000. Mme Bertière avoue s'être beaucoup inspirée de l’ouvrage Versailles et la Cour de France, Louis XV et Marie Leszczynska, Pierre de Nolhac, 1928.
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[1] Aspasie est une courtisane de l'Antiquité grecque, célèbre pour son intelligence et sa beauté
Date de dernière mise à jour : 23/10/2019