Couleurs des Lumières
Lumières dans la vie quotidienne
Dans son ouvrage Noir, Histoire d’une couleur (Le Seuil 2008), Michel Pastoureau (1) écrit :
« ... Les lumières ne sont pas seulement celles de l’esprit, mais aussi celles de la vie quotidienne. Presque partout reculent les tons bruns, violets ou cramoisis, les nuances foncées et saturées, les contrastes violents en usage au siècle précédent. Dans les vêtements et l’ameublement triomphent les teintes claires et lumineuses, les couleurs gaies, les tonalités « pastel », principalement dans la gamme des bleus, des roses, des jaunes et des gris. Certes, ces changements sont inégaux selon les activités et les classes sociales : ils concernent surtout le monde de la ville et les couches supérieures de la société. Mais ils reflètent une ambiance générale qui concerne une bonne partie du siècle, des années 1720 aux années 1780, du moins en France, en Angleterre et en Allemagne. L’Espagne et l’Italie restent plus longtemps fidèles à la mode des teintes sombres, de même que l’Europe du Nord, à qui les morales protestantes interdisent les couleurs trop vives ou trop frivoles. À la cour d’Espagne, malgré le changement de dynastie et la montée d’un Bourbon sur le trône au début du siècle, le noir reste dominant. Comme il reste dominant à la cour des Habsbourg d’Autriche jusqu’au début du 19e siècle, et surtout à Venise, où son omniprésence frappe tous les voyageurs, y compris en période de Carnaval.
Ailleurs, le noir cède la primauté à d’autres tons. Le bleu si discret au siècle précédent, devient envahissant. L’importation massive d’indigo américain fait la fortune de ports comme Nantes ou Bordeaux et, inversement, cause la ruine des villes spécialisées dans le commerce ou la production du pastel : Toulouse, Amiens, Erfurt. Les usages du bleu se diversifient en même temps que ses nuances s’éclaircissent : les teinturiers sont désormais performants dans la gamme des bleus clairs et lumineux, qu’ils ne savaient guère produire précédemment. Le blanc lui aussi est à la mode, spécialement pour les vêtements féminins et la tenture des espaces intimes ; mas par le biais de la dentelle, il est aussi présent sur le costume masculin. Dans le décor, on l’emploie rarement seul mais en association avec d’autres teintes claires, d’abord des roses et des jaunes, puis, plus tard dans le siècle, des bleus, des verts, des gris. Cette dernière couleur, très discrète depuis la fin du Moyen Age, fait un retour remarqué et durable sur la scène mondaine à partir des années 1730. Il ne s’agit pas du gris foncé et austère des titulaires d’offices et des gens de robe, encore moins du gris sale et délavé des vêtements de travail ; non, il s’agit de gris splendides, éclatants sur les cotonnades, chatoyants sur les soieries. De même, les tons jaunes prennent leur autonomie : ils ne sont plus dorés ou mordorés comme lors des deux siècles précédents, mais s’éloignent de l’or, deviennent à la fois plus froids et plus légers et, ce faisant, s’associent plus facilement à n’importe quelle autre couleur. Quant au vert, il doit sa promotion à la fin définitive du tabou sur les mélanges : désormais, aucun peintre ni aucun teinturier ne se prive de mélanger du jaune et du bleu pour obtenir du vert. En outre, l’importation de plus en plus abondante de l’indigo américain et la découverte accidentelle du bleu de Prusse par le droguiste berlinois Dippel, en 1709, profitent tout autant à la gamme des verts qu’à celles des bleus. Comme ces derniers, les verts s’éclaircissent et se diversifient tout au long du siècle. À partir des années 1750, on commence à tendre de cette couleur les chambres à coucher, mode qui devient presque systématique à la fin du siècle. Goethe s’en fait l’écho dans son traité des couleurs, qui présente le vert comme la teinte la plus équilibrée et la plus recommandable pour le repos du corps et la paix de l’âme. [...]
Tous les voyageurs visitant la France sont alors séduits par la diversité des couleurs et la rapidité avec laquelle les modes changent. Assurément, un même phénomène peut s’observer ailleurs en Europe – par exemple dans les cours allemandes - mais à un degré moindre. La France est pour quelques décennies le pays des couleurs vives et lumineuses, et Paris, la ville la plus débridée et la plus élégante. Cela dure jusqu’à la veille de la Révolution, puis un tournant se produit, dans les années 1785-1788, qui voit le retour de couleurs plus sombres, notamment du noir auquel les années suivantes, celles de la tourmente révolutionnaire, voueront une sorte de culte... »
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Notes
(1) Historien, spécialiste des couleurs, des images et des symboles, Michel Pastoureau est directeur d’études à l’École pratique des hautes études.
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Péking ou pékin ?
On l’écrivait Péking ou Péquin au 18e siècle et ce terme représentait l’exotisme oriental dans toute sa splendeur.
Le Dictionnaire de Trévoux estime en 1771 que « Péking est sans difficulté la plus vaste ville du monde. »
Dans les années 1750, on importait en France une étoffe de soie « faite à la Chine » que l’on appelait le pékin(g). Le pékin ressemblait au taffetas, mais en plus riche, orné de fleurs et fut à la mode parmi la bourgeoisie cossue d’avant la Révolution.
Sources : Au plaisir des mots, Claude Duneton, Points, 2005
Le rouge "Révolution"
Après la Révolution, la mode pour les sièges est le velours rouge coquelicot, un rouge vif éclatant, reconstitué de nos jours avec des restes de garnitures. Sa violence et sa gaieté peuvent surprendre notre regard moderne. Plus on s’éloigne de la période révolutionnaire, plus le rouge qu’on utilise est foncé.
La couleur cuisse de nymphe
Fort à la mode au XVIIIe siècle, cette couleur est une nuance de rose, un rose léger, pâle, presque blanc.
En réalité, cuisse de nymphe est le nom d’une rose blanche irisée d’un soupçon de rose, en hommage aux jeunes Grecques nues des temps jadis qui peuplaient les eaux, les bois ou les montagnes. Les nymphes, filles de Zeus, étaient le symbole des forces vives de la nature.
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Date de dernière mise à jour : 20/03/2024