Mmes de Sévigné et du Deffand
La correspondance de Mme de Sévigné est le modèle absolu de Mme du Deffand. Elle l’évoque à maintes reprises dans ses lettres.
* « Il y a longtemps que je n’ai lu les lettres de madame de Sévigné à M. de Pomponne ; mais, autant qu’il peut m’en souvenir, elles sont beaucoup plus tendres que les miennes. Il y a des gens dont l’amitié a ce caractère : l’agrément du style peut sauver l’ennui de ce langage, et le faire paraître simple et naturel ; il ne choque que bien peu de personnes dans madame de Sévigné. Il est vrai que dans les lettres de madame de Scudéri (1) (sic) à Bussy, les tendresses dont elles sont pleines sont un jargon insupportable… » (Lettre à Voltaire du mercredi 23 décembre 1767).
* « … Je ne sais plus que lire, tout m’ennuie, excepté le huitième tome de Lettres de madame de Sévigné, où il y en a de madame de La Fayette, de M. et de madame de Coulanges : elles m’ont fait plaisir mais elles m’ont dégoûtée d’écrire… » (Lettre à Horace Walpole du dimanche 11 septembre 1768).
* « Pour fuir l’ennui […], je lis toutes sortes de livres, je n’en trouve presque point qui me plaisent ; celui qui me fait le plus de plaisir actuellement, ce sont les Lettres de Bussy ; vous allez vous récrier : tout le monde s’en est dégoûté et n’en a porté de jugement que sur celles qu’il écrit au roi. Je ne lis point celles-là, et je hausse les épaules en lisant celles de madame de Scudéri (sic) ; je m’imagine que vous trouvez que les miennes leur ressemblent, et ce qui me le persuade le plus, c’est que les réponses de Bussy ressemblent beaucoup à celles que vous me faites. Pour vous le prouver, vous n’avez qu’à lire la cent quatre-vingt-neuvième du tome cinquième, page deux cent soixante-dix-neuf, je veux mourir si vous ne trouvez pas une parfaite ressemblance ! Je conviens que cette madame de Scudéri est insupportable, et qu’elle quête de l’amitié comme on demande l’aumône. Quoiqu’elle ait de l’esprit, son style est si fade, si ennuyeux, si languissant, que j’admire la patience de Bussy d’avoir entretenu une telle correspondance : belle matière à réflexion ! Mais presque toutes les autres lettres sont charmantes. Dans les deux premiers volumes, il n’y a que sa correspondance avec madame de Sévigné, et je conviens que les lettres de celle-ci sont encore plus agréables que celles de son cousin […]. Je vous prie encore d’avoir la complaisance de lire une lettre de madame de Sévigné : c’est la quarante-troisième du second tome, page cent quatre. Le commencement n’est rien ; c’est vers la fin qu’elle fait l’éloge d’un évêque d’Autun. Je ne crois pas qu’il n’y ait rien de plus agréable. Si vous avez des moments perdus, relisez ce recueil de lettres, passez celles au roi et celles de madame de Scudéri, et si l’on peut se bien juger soi-même, vous conviendrez que vous avez beaucoup du style de Bussy. Vous en avez la vérité, le délibéré, le bon goût, mais vous n’en avez pas la vanité, que je lui pardonne en faveur de cette vérité que j’aime tant, et à qui la modestie donne quelques petites entorses… » (Lettre à Horace Walpole du dimanche 9 février 1772).
* « Je ne saurais être de votre avis sur les Lettres de Bussy, si ce n’est dans la préférence que vous donnez à madame de Sévigné sur lui ; celle-ci avait infiniment plus d’âme et de vivacité ; tout son esprit n’était que passion, imagination et sentiment ; elle ne voyait rien avec indifférence et peignait les amours de sa jardinière avec la même chaleur qu’elle aurait peint celles de Cléopâtre et de madame de Clèves. Ce n’est pas qu’elle fut romanesque ; elle en était bien loin ; le ton du roman est à la passion ce que le cuivre est à l’or… » (Au même, le 21 février).
* « … On aura incessamment les nouvelles Lettres de madame de Sévigné. J’ai remis à les lire quand elles seraient imprimées ; je doute qu’elles soient aussi agréables que celles à sa fille ; toute lettre où l’on ne parle pas à cœur ouvert, où l’on ne dit pas tout ce qu’on pense, tout ce qu’on voit, tout ce qu’on fait […] devient de la lecture bien fade… » (Au même, le mercredi 17 février 1773).
* « Enfin voilà les Lettres de madame de Sévigné. Ce recueil ne fera pas honneur à l’éditeur ; il ne suit point l’ordre des dates, sa préface m’a paru plate. En parcourant tous les sujets de ces lettres, il ne dit rien de sa tendresse pour sa fille, c’est ce que j’en admire le plus, et ce qui, malgré ce que vous en dites, vous la fait nommer votre sainte (2)… » (Au même, le 13 novembre 1773).
* « … On disait ces jours passés qu’il paraissait un nouveau volume des lettres de madame de Sévigné ; vous croyez bien que j’étais pressée de l’avoir ; mais c’était une nouvelle édition du neuvième tome, qui commence par des lettres du cardinal de Retz, de M. de La Rochefoucauld, et où il y en a plusieurs de madame de La Fayette, quelques-unes de madame de Grignan, d’autres de madame de Sévigné, et beaucoup de madame de Coulanges, dont l’esprit ne me plaît point du tout. On y découvre de la vanité, des airs, nul sentiment, enfin tous les défauts que l’on rencontre dans le grand nombre des gens avec lesquels on vit. Relisez ce volume. Madame de La Fayette avait des vapeurs ; je me trouve beaucoup de conformité avec elle. Le style de M. de La Rochefoucauld me plaît. Pour celui de madame de Sévigné, il est unique et d’un agrément qui ne ressemble à rien… » (Au même, le dimanche 3 mars 1776, à deux heures après-midi).
* « … Tout mon amusement consiste en mes correspondances ; j’aime beaucoup à recevoir des lettres, mais je n’ai pas le même plaisir à y répondre. Sans oser me comparer à madame de Sévigné à nul égard, une très grande différence d’elle à moi, c’est qu’elle se plaisait à écrire et qu’elle était vivement affectée de tout ce qu’elle voyait ; et qu’elle mettait par conséquent beaucoup de chaleur à ce qu’elle racontait. » (Au même, le dimanche 27 juillet 1777).
* « … Je voudrais vous rendre mes lettres amusantes, les remplir de faits, d’anecdotes ; mais je suis si peu affectée de tout ce qui se passe, que les récits que je vous ferais vous ennuieraient à la mort. Madame de Sévigné trouverait bien de quoi vous amuser ; mais moi, mon ami, je flétris tout ; je n’ai de ressource, pour m’assurer de votre amitié, que votre constance naturelle. » (Au même, le dimanche 14 décembre 1777).
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Notes :
(1) Il s’agit de la belle-sœur de Mlle de Scudéry.
(2) Horace Walpole avait coutume de l’appeler Notre-Dame-de-Livry.
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