Mlle Clairon et Mme du Deffand
Claire-Josèphe-Hippolyte Leris de Latude, dite mademoiselle Clairon (1723-1803) est souvent évoquée dans la correspondance de Mme du Deffand qui se rend fréquemment au théâtre, comme il est de mode. Les représentations privées sont également très prisées.
« … J’irais volontiers au spectacle aux spectacles s’ils étaient bons, mais ils sont devenus abominables ; l’Opéra est indigne et la comédie ne vaut guère mieux ; elle est fort peu au-dessus d’une troupe bourgeoise et le jeu naturel que M. Diderot a prêché a produit le bon effet de faire jouer Agrippine avec le ton d’une harengère. Ni mademoiselle Clairon, ni M. Lekain ne sont de vrais acteurs ; ils jouent tous d’après leur naturel et leur état, et non pas d’après celui du personnage qu’ils représentent… ». (Lettre à Voltaire du 24 mars 1760).
« Mademoiselle Clairon (1) joue à ravir. Il y a un « Eh bien, mon père » qui remue l’âme depuis le bout des pieds jusqu’à la pointe des cheveux… » (Au même, le 5 septembre).
« … D’Alembert (2)] est le plus honnête homme du monde, bon, un excellent esprit, beaucoup de justesse, du goût sur bien des choses ; mais il y a de certains articles qui sont devenue pour lui affaire de parti, et sur lesquels je ne lui trouve pas le sens commun : par exemple, l’échafaud de mademoiselle Clairon, sur lequel je n‘ai pas attendu vos ordres pour me transporter de colère… » (Au même, le 1er novembre 1760).
* « Je soupai hier au soir chez madame de Forcalquier ; il y avait la duchesse de Villeroy, avec qui j’ai lié connaissance. Je l’ai priée à souper demain chez le président [Hénault] et je la prierai dans huit jours à souper chez moi : elle ne devine pas mon intention ; c’est à cause des comédies qu’elle a souvent chez elle, où joue mademoiselle Clairon… » (Lettre à Horace Walpole du 18 janvier 1767).
* « Je fus hier à la représentation de Molé (3) : mon Dieu, que je vous regrettai ! Mademoiselle Clairon fut admirable : c’était véritablement Melpomène ; la pièce était Zelmire, de l’auteur du Siège de Calais (4) : elle est faiblement écrite, mais les sentiments, les situations, sont du plus grand intérêt… » (Au même, le 20 février).
* « … Je fus avant-hier vendredi, entendre mademoiselle Clairon dans Bajazet (5), chez la duchesse de Villeroy ; elle joua bien, mais elle ne cache pas assez son art ; aussi on l’admire, mais elle ne touche pas ; le reste des acteurs était affreux et déshonora la pièce au point que je la trouvai très mauvaise, et en effet elle pourrait bien ne pas valoir grand ’chose : elle est certainement de mauvais goût, puisque le bon goût est ce qui approche de la nature, ou ce qui imite parfaitement ce qu’on veut représenter. Si vous saviez votre d’Urfé aussi bien que moi mon Scudéry, vous trouveriez que la scène de Bajazet devrait être au bord du Lignon, qu’Acomat est le grand druide Adamas ; Bajazet, Céladon ; et Atalide, la bergère Astrée (6)… » (Au même, le 17 mai 1767)
* « … J’ai l’espérance de vous voir dès aujourd’hui [… ] ; comptant que vous partiriez le lundi 17 et que vous arriveriez le jeudi 20, je n’avais point contre-mandé mon dimanche, et j’avais seulement eu soin de n’avoir que vos plus particulières connaissances excepté madame de Villeroy qui était engagée quinze jours d’avance, et j’avais prié mademoiselle Clairon ; je l’aurai donc aujourd’hui à sept heures ; les spectateurs seront donc mesdames de Villeroy, d’Aiguillon, de Chabrillant, de la Vallière, de Forcalquier, de Montigny. Les homes, de Sault, et Pont-de-Veyle, le président et madame de Jonsac, qui ne resteront point à souper… » (Au même, le dimanche 2 août, à sept heures du matin).
* « … Je ne pus m’empêcher de vous regretter hier au soir. Je soupai chez les Montigny avec les Pembroke. J’avais arrangé cette partie pour leur faire entendre mademoiselle Clairon ; elle joua deux scènes de Phèdre dans la perfection… » (Au même, le mercredi 24 février à cinq heures du soir).
* « … Il y a aujourd’hui un an que ce fut point une lettre qui m’arriva, mais une personne qui interrompit les belles scènes de Phèdre que récitait mademoiselle Clairon ; vous en souvenez-vous ? Ah, mon Dieu, non ! Ce sont les gens oisifs, les têtes romanesques qui font de telles remarques (7) … » (Au même, le mardi 23 août 1768).
* « … Je suis bien éloignée de la [Mlle Vestries] trouver une grande actrice ; on dit que sa figure, son maintien, ses gestes, sa manière d’écouter, sont au plus parfait ; voilà de quoi je ne puis pas juger ; mais elle a la voix sourde, froide ; nulle sensibilité ; elle a des cris assez douloureux, mais mon opinion est qu’elle ne sera que très médiocre ; elle ne sera jamais si détestable et si admirable que mademoiselle Dumesnil (8), et elle n’égalera jamais mademoiselle Clairon... » (Au même, le lundi 6 février 1769).
* « … Je vous envoie des vers de Voltaire que l’on a extraits de sa tragédie des Lois de Minos, que l’on représentera cet hiver, et j’y joins des vers qu’il a faits pour mademoiselle Clairon, à l’occasion d’une ode que Marmontel avait faite pour lui, pour l’inauguration de sa statue, et qu’elle récita chez elle, habillée en prêtresse, ayant mis le buste qu’elle a de lui sur une table, en posant sur sa tête une couronne de lauriers… » (Au même, le 14 octobre 1772).
* « … Nous avons une actrice nouvelle [laquelle ?], je crois vous en avoir parlé ; les uns la trouvent divine, les autres qu’elle le deviendra, et moi je pense qu’elle sera médiocre, c’est-à-dire peut-être un peu au-dessus de mademoiselle Vestries, mais qu’elle n’aura jamais une manière à elle, et qu’elle sera au-dessous de mademoiselle Clairon et de mademoiselle Dumesnil, quand elle a été bonne… » (Au même, le 11 janvier 1773).
Remarque : Mlle Clairon fait ses débuts en janvier 1736 aux Italiens dans le rôle de Cléanthis de L’île aux esclaves (Marivaux). Sans doute n'y paraît-elle pas à son avantage : pour cette fois, elle n'est pas reçue dans la célèbre troupe de Luigi Riccoboni.
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Notes
(1) La Clairon joue dans une pièce de Voltaire, sans doute Tancrède.
(2) A propos de l’Encyclopédie. D’Alembert y critique-t-il les comédiennes ?
(3) Molé, acteur de la Comédie-Française. Ayant été gravement malade, il fut secouru par mademoiselle Clairon qui s’était alors retirée du théâtre mais qui proposa de donner une représentation au bénéfice de Molé, sur un des nombreux théâtres privés de Paris, où elle s’offrait de jouer.
(4) D’après la nouvelle de Mme de Tencin à lire ici : http://ex.libris.free.fr/tencin
(5) de Racine.
(6) Allusions à L’Astrée d’Honoré d’Urfé et au Grand Cyrus de Mlle de Scudéry.
(7) Allusion à la lettre du 2 août 1767 op. cit.
(8) Marie-Françoise Marchand, dite la Dumesnil (1713-1803), tragédienne.
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