Essai sur les fictions
Contre le merveilleux
Dans son Essai sur les fictions (1795), Mme de Staël rejette la mythologie, le merveilleux des romans de chevalerie et les allégories. Seul le vrai semble la toucher. Dans De la Littérature, elle condamne de même la mythologie antique, mais aussi les « fables absurdes » de l’Edda (recueils de mythologie scandinave) ; elle n’admet le merveilleux d’Ossian que parce qu’il est discret et regrette les sorcières de Macbeth.
Mais dix ans plus tard, la voilà qui se contredit. Dans De l’Allemagne, elle s’éloigne du rationalisme hérité du 18e siècle et elle définit la littérature romantique comme fondée « sur le merveilleux du Moyen Age ». Elle remarque que chez les Allemands, « les revenants et les sorciers plaisent au peuple comme aux hommes éclairés » et elle explique : « Les superstitions populaires ont toujours une analogie quelconque avec la religion dominante. Presque toutes les opinions vraies ont à leur suite une erreur ; elle se place dans l’imagination comme l’ombre à côté de la réalité ; c’est un luxe de croyance qui s’attache d’ordinaire à la religion comme à l’histoire ; je ne sais pourquoi l’on dédaignerait d’en faire usage. Shakespeare a tiré des effets prodigieux des spectres et de la magie. »
Dans cet ouvrage, elle propose également aux romanciers de l'avenir un immense domaine, celui des passions humaines autres que l'amour : « L’ambition, l'orgueil, l'avarice, la vanité pourraient être l'objet principal de romans dont les incidents seraient plus neufs et les situations aussi variées que celles qui naissent de l'amour. »
Elle écrit pourtant des romans aux situations stéréotypées, comme dans Delphine. Mais elle a raison : le progrès du roman vers la vérité se fera grâce à l'examen plus attentif de deux vérités opposées : le moi et les mœurs du temps.
* * *