Divertissements
Bals...
Tels étaient les divertissements d'une femme du monde au 18e siècle, nous dit Mme de Genlis dans ses Mémoires :
« Je passai cet hiver dans une assez grande dissipation. J’allais très peu aux spectacles, et je n’allai que deux fois au bal de l’Opéra ; mais les bals particuliers, les dîners chez madame de Puisieulx [ou Puisieux ?], chez ma tante, les soupers priés, les visites, me prenaient beaucoup de temps. J’avais tous les samedis un souper chez la comtesse de Custine, où nous passions de soirées charmantes : c’étaient des soupers de femmes (1) ; tous nos maris allaient régulièrement ce jour-là coucher à Versailles pour chasser le lendemain avec le roi. Nous nos rassemblions à huit heures et nous causions jusqu’à une heure du matin avec une gaieté qui se soutint toujours. Nous étions six […].
Elle [Mme de Crenay] donna cet hiver-là de fort jolis bals, je fus invitée à tous, et j’y dansai plusieurs quadrilles. J’en imaginai un qui ne fit que trop de bruit. La mode de jouer des proverbes continuait toujours, j’appelai ce quadrille les proverbes, chaque couple formait un proverbe dans la marche deux à deux, qui précédait toujours la danse. Chacun avait choisi son proverbe. Nous avions tous donné à madame de Lauzun celui-ci : Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée. Elle était vêtue avec la plus grande simplicité et elle avait une ceinture grise tout unie. Elle dansait avec M. de Belzunce. La duchesse de Liancourt dansait avec le comte de Boulainvilliers qui avait le costume d’un vieillard ; leur proverbe était : A vieux chat, jeune souris. Madame de Marigny dansait avec M. de Saint-Julien, sous le costume d’un nègre ; elle lui passait de temps en temps un mouchoir sur le visage, ce qui signifiait : À laver la tête d’un Maure, on perd sa lessive. […] Mon danseur était le vicomte de Laval, magnifiquement vêtu, tout couvert de pierreries ; j’étais habillée en paysanne ; notre proverbe était : Contentement passe richesse. […] J’avais fait l’air du quadrille, cet air était dansant et fort joli. Ce fut Gardel qui composa la figure de la danse qui, suivant mon idée, devait représenter aussi un proverbe : Reculer pour mieux sauter ; Gardel fit de cette idée la figure de la contredanse la plus jolie et la plus gaie que j’aie jamais vue. Nous fîmes beaucoup de répétitions et notre quadrille eut tant de succès que nous résolûmes de le danser au bal de l’Opéra ; mais malheureusement ce quadrille avait excité beaucoup de jalousie parmi quelques hommes du Palais-Royal qui avaient vainement voulu en être. Ils surent trois ou quatre jours d’avance que nous devions danser ce quadrille au bal de l’Opéra, dont la salle tenait au palais-Royal (2) […] et on fit une conjuration pour nous empêcher de danser … »
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Notes
(1) On pense aux pyjamas-parties actuelles, nées aux USA.
(2) Cette salle brûla en avril 1763.
... et autres fêtes
Mme de Genlis poursuit :
« ... Je vais essayer d’égayer ce triste tableau par le détail des amusements de nos jours ; ils furent brillants et nobles dans la plus grande partie du siècle dernier. Il régnait alors une grande magnificence dans les maisons des princes et même dans celles des particuliers riches ; on y donnait des fêtes, on y jouait la comédie, on y jouissait d’une parfaite liberté. Il y avait à Paris une grande quantité de maisons ouvertes. Dans les sociétés particulières on faisait de la musique, on jouait des proverbes ; ce qui était plus ingénieux et plus spirituel que de jouer des charades. Tout à coup les prétentions à l’esprit mirent les sciences à la mode ; on fit pendant les hivers des cours de chimie, de physique, d’histoire naturelle ; on n’apprit rien mais on retint quelques mots scientifiques ; les femmes prirent une teinte de pédanterie ; elles devinrent moins aimables et se préparèrent ainsi à disserter un jour sur la politique (1).
Les femmes pourraient, aussi bien que les hommes, s’appliquer avec succès aux sciences en renonçant à une partie des amusements frivoles qui occupent presque toutes leurs journées. Mais quand elles ne voudront n’avoir que l’apparence de l’instruction, elles ne tromperont personne à cet égard et elles perdront tous les agréments de leur sexe ; car le ridicule le plus frappant de la pédanterie est réservé à cette prétention mal fondée.
Une mode que nous avons toujours vue en France dans le grand monde et qui vraisemblablement ne passera jamais, est celle de se plaindre et d’affecter la lassitude de la dissipation et des plaisirs bruyants. À croire les gens du monde, on doit être persuadé qu’ils n’aspirent qu’à la retraite et qu’une vie simple, champêtre et solitaire, est l’unique objet de leurs désirs. Les femmes surtout sont inépuisables en gémissements et en phrases sentimentales et philosophiques sur le bonheur de l’indépendance et de la tranquillité sédentaire. À les entendre, elles ne sont que des esclaves infortunées, forcées d’agir en tout malgré leur volonté secrète et contre leur inclination. D’après ces discours, il faut penser qu’elles seraient infiniment plus heureuses dans une chaumière ou dans la grotte paisible d’un désert. Vont-elles au spectacle, elles en sont excédées, elles trouvent la Comédie-Française insipide, l’Opéra ennuyeux, Brunet et Potier (2) pitoyables ; elles n’avoueront jamais qu’ils les ont fait rire. Cependant elles ont des loges ou elles en empruntent sans cesse. Sont-elles invitées à un grand dîner : quelles lamentations sur la nécessité de se parer et sur l’ennui mortel de la représentation ! et elles passent journellement trois ou quatre heures à leur toilette et se ruinent en châles, en habits et en chiffons. Reviennent-elles du bal ou d’une fête : quelle tristesse : quel abattement ! quelles déclamations sur la cohue, la foule, les lumières le chaud ! quel dénigrement de la fête et de tout ce qui s’y est passé ! Néanmoins elles avaient demandé avec ardeurs des billets et, dans les mêmes occasions, elles intrigueront toujours pour en voir. Font-elles des visites : quelle désolation sur cet usage et sur la perte de temps qu’il cause ! et tous les matins elles sortent régulièrement et ne rentrent qu’à l’heure du dîner. Enfin, donnent-elles des assemblées et reçoivent-elles beaucoup de monde : quelles plaintes amères de la fatigue ! quelles courbatures, quelles migraines sont les suites inévitables de l’obligation cruelle de faire les honneurs de sa maison ! Tout ce mécontentement se manifeste dès la première jeunesse ; on a entendu dire toutes ces choses et on les répète ; elles font partie des phrases d’usage que l’on a apprises durant son éducation. Toute jeune personne bien élevée les sait par cœur ou garde cette habitude ; et aujourd’hui l’âge mûr les fortifie encore. Quand on a des filles de quinze à seize ans, c’est pour elles qu’on va dans le monde et qu’on se trouve à toutes ses fêtes, qu’on suit tous les bals. C’est pour elles qu’on se pare à peu près comme elles ; c’est pour elles qu’on leur fait mener un genre de vie qui ôte toute possibilité d’acquérir de vrais talents et une solide instruction. »
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Notes
(1) Cette critique des pratiques salonnières rejoint celle de la philosophie : Mme de Genlis dénonce le pédantisme des femmes animant un salon et le fait que ni les discours ni les principes affichés ne coïncident avec les pratiques.
(2) Chanteurs et comédiens qui connurent un grand succès sous l’Empire et la Restauration
Plaisirs champêtres
« Après avoir passé quelque temps à Paris, je fis une infinité de courses à la campagne et dans les châteaux ; j’en fis même plusieurs en simple voyageuse et par pure curiosité et j’avoue que je pensai qu’en général on trouvait beaucoup plus de popularité et de libéralité dans nos anciens châteaux. Je ne trouvai plus de ces chapelles qui étaient jadis d’un si bon exemple pour les paysans. Je ne vis aller à l’église paroissiale que les dames ; les hommes n’y mettaient presque pas le pied ; et les paysans, pour les imiter, n’y allaient jamais. Je fus aussi scandalisée des fêtes qu’on leur donnait : le maître du château leur ouvrait ses jardins avec la permission d’y inviter des cabaretiers, des traiteurs, auxquels ils achetaient les vins et les repas que nous leur donnions jadis avec tant de générosité mais qui, distribués avec sagesse, prévenaient l’ivresse, les querelles, les scènes scandaleuses et souvent sanglantes qui en résultaient. Une chose encore qui me parut du plus grand ridicule, fut la morgue des dames de château qui, dans ces réjouissances, ne voulaient point danser avec les paysans. Je me rappelai qu’autrefois, à ces bals champêtres, nous ne voulions danser qu’avec eux et que nous défendions aux hommes de notre société de nous inviter, en leur prescrivant de ne danser qu’avec des paysannes. Tout ceci n’est assurément point sans exception ; j’ai vu dès lors, dans les campagnes et dans les châteaux, exercer dans toute son étendue la charité de tout genre que j’admirai jadis. »
Villégiature au château
Au 18e siècle, bien souvent, le château n’était plus occupé qu’épisodiquement. On s’y retirait en été pour gérer les terres, profiter de la fraîcheur ou des plaisirs champêtres.
Dans Les Veillées du château (1784), Mme de Genlis souligne à quel point l’attachement à la campagne était resté fort dans certaines familles : « Mes enfants, dans ma jeunesse, on passait huit mois de l’année dans des châteaux semblables à celui-ci, on s’y plaisait, on y avait beaucoup plus de véritable gaieté que dans ces petites maisons que vous avez vues aux environs de Paris, ces habitations brillantes, où l’on ne trouve ni le plaisir ni la liberté et où l’on dérange également sa santé et sa fortune. » Mme de Genlis dénonçait les petites maisons et autres folies pour leur luxe et les excès dispendieux qu’elles entraînaient… et dont elle-même avait bénéficié dans sa jeunesse(voir infra).
Mme de la Tour du Pin, dans ses Mémoires, évoque avec nostalgie ses séjours au château de Hautefontaine : « Nous allions à la campagne de bonne heure, au printemps, pour tout l’été. Il y avait dans le château de Hautefontaine 25 appartements à donner aux étrangers et ils étaient souvent remplis. Cependant le beau voyage avait lieu au mois d’octobre seulement. Alors les colonels étaient revenus de leurs régiments (1), où ils passaient seulement 4 mois, moins le nombre d’heures qu’il leur fallait pour revenir à Paris, et ils se dispersaient dans les châteaux où les attiraient leurs familles et leurs amis. » Le prince de Rohan-Guéménée, le duc de Lauzun, la duchesse de Polignac notamment fréquentèrent le château de Hautefontaine, situé dans l'Oise, détruit à la Révolution et reconstruit au 19e siècle.
Dans les romans du 18e siècle (on pense à la demeure de Mme de Rosemonde dans Les Liaisons dangereuses), les maisons de campagne sont différentes du château : dépourvues de verticalité, elles ne sont pas des symboles de pouvoir mais de sociabilité.
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Notes
(1) On ne fait la guerre qu’en été.
Au château de l'Isle-Adam chez le prince de Conti
« J’allai au printemps à l’Isle-Adam, chez M. le prince de Conti. J’étais déjà dans le monde mais je n’avais jamais été à l’Isle-Adam ; et, pour une jeune personne, c’était un début. Madame la comtesse de Boufflers (1) et la maréchale de Luxembourg, toutes deux célèbres par leur esprit et par le bon goût de leur ton et de leurs manières, amies intimes de M. le prince de Conti, passaient à l’Isle-Adam toute la belle saison et là, ainsi qu’à Paris, elles étaient les juges suprêmes de tout ce qui débutait dans le monde. […]
La maréchale avait peu d’instruction, beaucoup d’esprit naturel, et cet esprit était rempli de finesse, de délicatesse et de grâce. Elle attachait trop d’importance à l’élégance du langage, des manières et à la connaissance des usages du monde. Elle jugeait sans retour sur une expression de mauvais goût et ce qu’il y a de singulier, c’est que ce jugement frivole était presque toujours parfaitement juste. Mais elle ne jugeait ainsi que les gens du monde et non les étrangers et les provinciaux. « Celui, disait-elle, qui a pu observer ce qui est convenable et ce qui ne l’est pas, et qui adopte un mauvais ton, manque certainement de tact, de goût et de délicatesse. » D’ailleurs, elle prétendait avoir découvert dans tous les usages du monde établis alors une finesse et un bon sens admirables ; et en effet, quand on la questionnait à cet égard, elle avait réponse à tout, et ces réponses étaient toujours ingénieuses et spirituelles. Sa désapprobation, qu’elle n’exprimait jamais que par une moquerie laconique et piquante, était une sentence sans appel. Celui qui la recevait perdait communément cette espèce de considération personnelle qui faisait que l’on était recherché dans la société et toujours invité aux petits soupers où l’on ne voulait rassembler que des personnes aimables et de bon air. Ce genre de considération était alors très désirable et très envié.
Les censures de la maréchale ne portaient pas toujours sur des choses frivoles ; elle condamnait avec plus de rigueur encore le ton avantageux et tranchant, la confiance présomptueuse, et tout ce qui dans la conversation annonçait la fatuité ou de mauvais sentiments. La maréchale était véritablement l’institutrice de toute la jeunesse de la Cour, qui mettait une grande importance à lui plaire. Je m’attachai particulièrement à l’écouter ; elle me prit en amitié et me permit de la questionner sur les choses que j’ignorais, et surtout sur les usages du monde, dont elle avait étudié l’esprit : ce qui m’a aidé à faire un ouvrage que j’ai dans mon portefeuille, et qui a pour titre : Esprit des usages et des étiquettes du dix-huitième siècle. Je compte y donner une autre forme et le mettre en dictionnaire (2).
La comtesse de Boufflers […] était l’un des plus aimables personnes que j’ai connues ; elle avait dans l’esprit je ne sais quelle contrariété qui lui faisait soutenir des opinions extraordinaires et quelquefois extravagantes : elle était trop ennemie des lieux communs. Cette aversion, jointe à beaucoup d’esprit, la rendait très piquante, mais lui donnait à tort la réputation d’avoir l’esprit faux [manque de jugement] ; au reste, sa conversation était amusante et remplie d’agréments. Elle aimait à faire valoir le autres et c’était avec un naturel et une grâce que je n’ai vus qu’à elle. […]
Il [le prince de Conti] fut aussi le plus magnifique de nos princes ; on était chez lui comme chez soi. Dans les grands voyages de l’Isle-Adam, chaque dame avait des chevaux et une voiture à ses ordres ; et, n’étant obligée de descendre dans le salon qu’une heure avant le souper, elle était maîtresse de donner à dîner tous les jours dans sa chambre à sa société particulière. Comme le prince ne dînait point, il voulait épargner aux femmes la peine de descendre dans une salle à manger et l’ennui de s’y trouver avec cent personnes. La représentation était réservée pour le soir ; mais on jouissait durant toute la journée d’une liberté parfaite et du charme d’une société intime. »
Notes
(1) La comtesse de Boufflers était la maîtresse de Conti.
(2) Dictionnaire critique et raisonné des étiquettes de la Cour, des mœurs et des usages du monde (1818).
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Date de dernière mise à jour : 05/11/2017