Louise de Keralio
Marie-Antoinette vue par Louise de Keralio dans Les Crimes des reines de France
Louise de Keralio, née en 1758, appartient à la petite noblesse bretonne. Fille cultivée et instruite d’un inspecteur des écoles royales et militaires, elle devient une ardente révolutionnaire, collabore au Mercure national ou Journal d’État et du citoyen, feuille révolutionnaire que François Robert, qu’elle épouse en 1791, fonde en 1789. Elle partage les idées de son mari, devenu le secrétaire de Danton en 1792, puis député à la Convention en 1793 où il se signale par sa haine de la monarchie. À la Restauration, elle s’exile avec son mari à Bruxelles où elle meurt sans postérité.
Elle écrit en 1791 Les Crimes de reines de France, vigoureuse charge contre Marie-Antoinette, qu’elle place à côté de Frédégonde, Brunehaut, Isabeau de Bavière, Rachilde [1], une certaine Fastrade[2], Catherine de Médicis et même Mme de Maintenon...
« Un peuple est sans honneur et mérite ses chaînes quand il baisse le front sous le sceptre des reines. » (Frontispice de la première édition).
Extraits
« L’Histoire qui, jusqu’à présent, n’est en effet que le récit des crimes des rois ne serait pas complète s’il n’y joignait les crimes des reines. [...] La quenouille a frappé sur nos têtes un bien plus grand nombre de coups d’autorité que nos sceptres. [...] Dans les États monarchiques, un changement de maître est toujours une époque favorable au despotisme. [...]
On prétend que si les rois (tant que les peuples en souffriront) se mariaient au moins à des femmes de leur pays, ces femmes, toujours dangereuses, auraient au moins l’avantage d’être citoyennes du pays et de ne pas porter les haines héréditaires et invétérées qui séparent les différentes nations. [...] Prenez quelque citoyenne que vous voudrez choisir, prenez-la, même vertueuse, dans le sein de sa famille, placez-la sur un trône, entourez-la de la pompe des cours, des flatteurs, de courtisans, de valets gagés pour la trouver belle, spirituelle, juste, humaine, bienfaisante, pour exalter ses moindres actions, et vous en ferez, avant six mois une reine aussi ennemie de l’humanité que l‘Italienne la plus perfide [3] ou l’Autrichienne la plus hardie. C’est dans le trône qu’est le principe du mal.
Il avait déjà couru des bruits peu avantageux sur la conduite de la dauphine ; mais elle ne plaisait pont alors à ses beaux-frères, encore moins à leurs femmes, dont la laide figure contrastait peu agréablement avec l’élégance de la taille et l’air de beauté qu’Antoinette avait alors : son aversion pour l’étiquette de la cour, et pour toute espèce de gêne, même extérieure, déplaisait aux tantes [4]. [...] Mérite-t-elle la haine et le mépris dont elle a reçu tant de marques ? On n’a aucune preuve acquise de tout ce qu’on lui impute ; on ne peut que marcher d’après les conjectures : un jour viendra où, plus instruite, l’histoire lui marquera sa place. Aujourd’hui, soumise au seul tribunal de l’opinion publique, Antoinette, jugée par elle peut seule savoir dans sa conscience si elle est ou plus innocente ou encore plus criminelle que la nation entière ne le croit. [...]
La plume s’arrête, Antoinette ! Si l‘or de l’État a servi dans tes mains criminelles à corrompre, à séduire ces misérables insensées [5] [...], à les transformer en vils animaux, parle, quel serait désormais dans le monde entier l’être assez impur pour entendre ton nom sans horreur ? [...]
Nous passerons dans notre marche pénible à cette Isabeau de Bavière, à cette criminelle reine, née comme toi [Marie-Antoinette] dans ce climat barbare qui nous a donné tant de montres, dont tu as seule rassemblé tous les vices avec ceux d’Italie [6]. Née dans cette terre germanique qui ne nous inspirera moins d’horreur lorsqu’elle sera régénérée par le sang des tyrans de ta race, Isabeau de Bavière nous rappelle à toi, que dis-je, est-elle la seule ? Sera-t-il question dans les siècles les plus reculés d’un monstre féminin, la honte de son sexe et l’horreur de l‘autre, sans que le nom d’Antoinette s’offre à la mémoire des Français ? [...]
[Elle ne songe qu’à] prodiguer de l’argent à toutes ses créatures, les Vaudreuil, les Polignac, les Dillon » [et] d’Artois se faisait une part scandaleuse dans les vols effrénés dont on accusait sa belle-sœur. [...] [Elle a] gangrené les âmes déjà souillées de Barnave, de Chapelier, de Lameth, de Dandré, de Lavie et autres confrères subalternes des chefs de la bande... »
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Notes
[1] Deuxième femme de Charles le Chauve.
[2] « Malheureuse Germanie ! Tu n’as jamais envoyé à la France que des monstres ivres d’orgueil et avides de sang. »
[3] Catherine de Médicis, à l’origine des massacres de la Saint-Barthélemy.
[4] Les filles de Louis XV.
[5] Les amies de la reine.
[6] Allusion à la soi-disant homosexualité de la reine.
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Date de dernière mise à jour : 17/11/2017