Scène de première vue entre des Grieux et Manon
La scène de première vue
Voici l’incipit de l’ouvrage de Jean Rousset Leurs yeux se rencontrèrent [1] (Corti, 1984). Je le propose ici dans le cadre de la rencontre entre des Grieux et Manon (abbé Prévost, Manon Lescaut).
« Mon thème est une scène, rien de plus : quelques lignes, parfois quelques pages, c’est peu dans la continuité d’un roman ; c’est beaucoup si l’on admet qu’elles constituent une scène-clé, à laquelle se suspend la chaîne narrative, c’est beaucoup aussi dès que l’on jette un coup d’œil sur l’ensemble de notre trésor littéraire, la scène de rencontre est partout – ou presque. [...] L’événement raconté est à la fois inaugural et causal : on a le droit de traiter la scène de première vue comme une fonction, étant donné son pouvoir d’engendrement et d’enchainement, et comme une figure qui a sa place consacrée dans la rhétorique romanesque. L’action qu’elle met en œuvre est différente de toute autre, dans la mesure où, plus qu’une autre, elle pose un commencement et détermine des choix qui retentiront sur l’avenir du récit et sur celui des personnages... »
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Notes
[1] « Leurs yeux se rencontrèrent » : Flaubert, L’Éducation sentimentale (rencontre entre Frédéric Moreau et Mme Arnoux).
Scène de première vue entre Manon et des Grieux
Destiné par ses parents à l’ordre de Malte, le jeune chevalier des Grieux vient d’achever ses études de philosophie à Amiens. Il se dispose à rentrer dans sa famille, lorsqu’il rencontre une jeune fille du peuple, Manon Lescaut, dont il s’éprend sur-le-champ. Voici la scène de la rencontre amoureuse, dite aussi scène de première vue.
« J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! j’aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s’appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche d’Arras, et nous le suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt ; mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur s’empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention ; moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi (1), elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l’amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument qu’elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L’amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu’il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir qui s’était déjà déclaré et qui a causé dans la suite tous ses malheurs et les miens. Je combattis la cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon éloquence scolastique purent me suggérer Elle n’affecta ni rigueur ni dédain. Elle me dit, après un moment de silence, qu’elle ne prévoyait que trop qu’elle allait être malheureuse ; mais que c’était apparemment la volonté du ciel, puisqu’il ne lui laissait nul moyen de l’éviter. La douceur de ses regards, un air charmant de tristesse en prononçant ces paroles, ou plutôt l’ascendant de ma destinée, qui m’entraînait à ma perte, ne me permirent pas de balancer un moment sur ma réponse. Je l’assurai que si elle voulait faire quelque fond sur mon honneur et sur la tendresse infinie qu’elle m’inspirait déjà, j’emploierais ma vie pour la délivrer de la tyrannie de ses parents et pour la rendre heureuse. Je me suis étonné mille fois, en y réfléchissant, d’où me venait alors tant de hardiesse et de facilité à m’exprimer ; mais on ne ferait pas une divinité de l’amour, s’il n’opérait souvent des prodiges : j’ajoutai mille choses pressantes. Ma belle inconnue savait bien qu’on n’est point trompeur à mon âge : elle me confessa que, si je voyais quelque jour à la pouvoir mettre en liberté, elle croirait m’être redevable de quelque chose de plus cher que la vie. Je lui répétai que j’étais prêt à tout entreprendre ; mais, n’ayant point assez d’expérience pour imaginer tout d’un coup les moyens de la servir, je m’en tenais à cette assurance générale, qui ne pouvait être d’un grand secours pour elle et pour moi. […]
Je fus surpris, à l’arrivée de son conducteur qu’elle m’appelât son cousin, et que, sans paraître déconcertée le moins du monde, elle me dît que, puisqu’elle était assez heureuse pour me rencontrer à Amiens, elle remettait au lendemain son entrée dans le couvent, afin de se procurer le plaisir de souper avec moi. »
On peut réfléchir sur les points suivants :
* Comment naît l’amour ?
* Quelle transformation opère-t-il aussitôt chez le chevalier ?
* De quelle manière l’auteur insiste-t-il sur la fatalité de la passion ?
* Comment la rouerie de Manon et ses mauvais penchants sont-ils annoncés dès cette première rencontre ?
* Préciser la discrète ironie de l’auteur que l’on perçoit dans le récit du héros ; car ici, deux regards se superposent, celui du jeune chevalier et celui du narrateur mûri par l’expérience.
* Pourquoi le passé simple ? Quelle est sa valeur ici ?
* Valeur des autres temps (imparfait, plus-que-parfait) ?
* Analyser la langue (à ne pas dissocier du fond dans le commentaire) : procédés du classicisme, champ lexical de la sensibilité et de la galanterie, éléments préromantiques (registre pathétique, registre lyrique).
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Notes
(1) Des Grieux à 17 ans, Manon 15 ou 16.
Degas, Prévost et Manon
Dans son ouvrage La Folie Baudelaire (Gallimard, 2011), Roberto Calasso écrit :
" [ Le peintre] Degas cultivait et vénérait le pur pathos. Mais il le saisissait là où les autres ne le cherchaient pas; Lorsque quelqu'un lui proposait la lecture d'un roman du moment, en repoussant l'offre "il aimait à citer les dix mots par lesquels l'abbé Prévost exprime l'amour de Des Grieux pour Manon Lescaut. Il l'a vue pour la première fois à un relais de diligences, appuyée au mur attendant le départ du coche.
Ce simple regard décide de toute sa vie, et le narrateur lui fait dire : « Je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur. » De tels propos avaient en son esprit une valeur absolue et il les répétait souvent. » Daniel Halévy aoutait une observation précieuse : « La répétition qui, en beaucoup d’êtres, est signe de faiblesse et tourne au rabâchage, est bien autre chose quand elle vient sur les lèvres d’un solitaire qui fonde sa vie sur des certitudes personnelles. » Cette dernière définition est la plus sobre – et peut-être aussi la plus précise – que l’on ait tentée à propos de Degas.
Et pourtant Prévost était ce qu’il y avait de plus opposé à Degas et à sa « rigueur colérique ». Degas avait trouvé un pathos du même genre que le sien chez un écrivain dont la mort fut ainsi commentée par le chroniqueur Collé : « Il n’écrivait que pour gagner de l’argent, et il n’a jamais pensé à sa réputation. C’est un malheureux qui a toujours vécu dans la débauche la plus crapuleuse. Il brochait le matin, une feuille dans son lit, une fille à sa gauche et une écritoire à sa droite, et il envoyait cette feuille à son imprimeur, qui lui en donnait un louis sur le champ ; il buvait le reste du jour ; c’était là sa vie commune : il n’a jamais rien revu, rien corrigé. » Collé reconnaissait à Prévost « la beauté de son imagination qu’il avait un peu noire », mais il pensait qu’en raison de son « extrême négligence » il ne resterait rien de ses écrits."
_ _ _ Fin de citation
Devoir de didactique : préparation au CAPES interne de Lettres Modernes
Scènes de première vue dans les romans
Durée impartie : 6 heures
SUJET : « Dans le cadre de l'étude des genres et des registres en classe de seconde, vous analyserez les documents ci-joints et vous préciserez les modalités de leur exploitation dans une séquence qui comportera obligatoirement une séance d'étude de la langue. Vous ne vous interdirez pas de proposer des textes et / ou des documents complémentaires. »
Remarque préliminaire
Le corpus présente trois textes du 19e siècle (hors sujet ici) dont l’analyse est mise entre crochets. J’espère toutefois que la méthode du devoir de didactique apparaît clairement dans les premiers textes. Ce devoir un peu maladroit mais contenant les incontournables du devoir de didactique (plan, style, méthode, « savoirs savants ») fut noté B (entre 10 et 14 / 20). Désolée pour le jargon universitaire obligatoire.
Corpus
* Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, 1678
« Mme de Clèves acheva de danser et, pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu'elle crut d'abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on dansait. Ce prince était fait d'une sorte qu'il était difficile de n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne ; mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement.
M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir de parler à personne et leur demandèrent s'ils n'avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s'ils ne s'en doutaient point. »
* Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731
« J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! j’aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s’appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche d’Arras, et nous le suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt ; mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur s’empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention ; moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l’amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument qu’elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L’amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu’il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir qui s’était déjà déclaré et qui a causé dans la suite tous ses malheurs et les miens. Je combattis la cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon éloquence scolastique purent me suggérer Elle n’affecta ni rigueur ni dédain. »
* Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, 1782
« Je ne trouvai point madame de Warens ; on me dit qu'elle venait de sortir pour aller à l'église. C'était le jour des Rameaux de l'année 1728. Je cours pour la suivre : je la vois, je l'atteins, je lui parle... Je dois me souvenir du lieu, je l'ai souvent depuis mouillé de mes larmes et couvert de mes baisers. Que ne puis-je entourer d'un balustre d'or cette heureuse place ! que n'y puis-je attirer les hommages de toute la terre ! Quiconque aime à honorer les monuments du salut des hommes n'en devrait approcher qu'à genoux. C'était un passage derrière sa maison, entre un ruisseau à main droite qui la séparait du jardin et le mur de la cour à gauche, conduisant par une fausse porte à l'église des cordeliers. Prête à entrer dans cette porte, madame de Warens se retourne à ma voix. Que devins-je à cette vue ! Je m'étais figuré une vieille dévote bien rechignée ; la bonne dame de M. de Pontverre ne pouvait être autre chose à mon avis. Je vois un visage pétri de grâces, de beaux yeux bleus pleins de douceur, un teint éblouissant, le contour d'une gorge enchanteresse. Rien n'échappa au rapide coup d'œil du jeune prosélyte ; car je devins à l'instant le sien, sûr qu'une religion prêchée par de tels missionnaires ne pouvait manquer de mener en paradis. Elle prend en souriant la lettre que je lui présente d'une main tremblante, l'ouvre, jette un coup d'œil sur celle de M. de Pontverre, revient à la mienne, qu'elle lit tout entière, et qu'elle eût relue encore si son laquais ne l'eût avertie qu'il était temps d'entrer. Eh ! mon enfant, me dit-elle d'un ton qui me fit tressaillir, vous voilà courant le pays bien jeune ; c'est dommage en vérité. Puis, sans attendre ma réponse, elle ajouta : Allez chez moi m'attendre ; dites qu'on vous donne à déjeuner ; après la messe j'irai causer avec vous. »
* Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830 (de « Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin du regard des hommes » à « Quoi, c'était là le précepteur qu'elle s'était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants ! »)
* Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839, (de « Durant ce court dialogue, Fabrice était superbe au milieu de ces gendarmes » à « puisqu'il est ainsi au milieu d'un événement contrariant qui peut avoir des suites affreuses, quel ne doit-il pas paraître lorsque son âme est heureuse ! »)
* Flaubert, L'Éducation sentimentale, 1869 (de « ce fut comme une apparition » à « et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limites. »)
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Sans être déraisonnablement optimistes, nous pouvons supposer que les élèves de seconde ont déjà lu plusieurs romans, comme le recommande le programme du collège, la forme romanesque étant peut-être la plus accessible et faisant figure de passage obligé pour entrer en littérature.
Le corpus proposé couvre plusieurs siècles : le XVIIe avec un extrait de La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette, le XVIIIe avec un passage de Manon Lescaut de l'Abbé Prévost et un autre des Confessions de Rousseau, le XIXe enfin avec deux textes de Stendhal extraits du Rouge et le Noir et de La Chartreuse de Parme, et un dernier provenant de L'Éducation sentimentale de Flaubert.
Ces textes correspondent au programme de seconde qui demande, entre autres, l'étude des genres et des registres à travers le récit, que les élèves doivent être capables de reconnaître. S'il n'y a pas de cohérence diachronique qui pourrait être à reconstituer sous la forme d'une évolution du roman, nous notons toutefois une cohérence thématique : ce sont des romans d'amour. Nous ne pouvons à proprement parler évoquer la cohérence générique, les Confessions relevant de l'autobiographie, mais il faut relever la cohérence épidictique - en ce qui concerne le registre - ; le laudatif et même le blâme, très subtil chez Stendhal. Car il s'agit avant tout de « scènes de première vue » présentant le portrait de la femme aimée, abordé différemment selon les époques et l'esthétique dominante. N'oublions pas ici, encore une fois, les instructions officielles pour la classe de seconde demandant la construction de la notion de mouvement littéraire, notamment au XIXe siècle : Stendhal et Flaubert nous proposent deux approches bien différentes. Les textes de Madame de La Fayette et de l'Abbé Prévost nous permettront de revenir en les approfondissant sur les caractéristiques esthétiques du 17e et du 18e siècle. Cela nous permettra d'aborder l'histoire littéraire et culturelle. Quant à l'objectif méthodologique, il reste lié aux épreuves de l'E.A.F.
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Je prévois une séquence comprenant sept séances consécutives. La séance initiale concernera les prérequis : à l'issue de la classe de troisième, les élèves possèdent quelques notions sur les genres et les registres et manipulent les formes du récit, notamment l'autobiographie. La séance suivante portera sur le roman psychologique et sa spécificité avec l'étude de La Princesse de Clèves. La troisième séance sera consacrée à une étude de la langue sur les figures de rhétorique liées à l'éloge. La sixième séance sera l'occasion d'approcher le roman réaliste avec Flaubert. La dernière séance donnera lieu à une évaluation sommative où je proposerai à la classe un récit d'invention « à la manière de », basé sur la description.
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Une évaluation diagnostique sur les Confessions fera l'objet de ma première séance et prendra une forme orale. En effet, je dois m'assurer que les élèves ont assimilé, en classe de troisième, ce qu'est un roman autobiographique ainsi que l'expression du moi. Je désire obtenir une définition du registre lyrique, notion essentielle de cette première autobiographie française. J'attends les termes d'emphase et d'hyperbole, le relevé de la ponctuation affective - phrases exclamatives par exemple - et du réseau lexical des affects, sans oublier l'énonciation et la centration sur le moi. Je m'attacherai ensuite à la description de Madame de Warens. Je tiens à faire prendre conscience aux élèves du stéréotype de la beauté féminine au XVIIIe siècle où se mêle une approche à la fois pudique et érotique qui ne craint pas d'évoquer le "contour d'une gorge enchanteresse."
Pour la séance suivante, je demande à la classe de lire l'extrait de La Princesse de Clèves en le comparant aux Confessions selon le questionnaire suivant :
- Quel est le point commun entre les deux extraits ?
- De quelle manière les personnages féminins sont-ils décrits ?
- Sur quel aspect féminin les auteurs insistent-ils ?
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La correction de l'exercice se fera au début de la deuxième séance et me permettra d'aborder deux points essentiels : la spécificité des scènes de première vue d'une part, la singularité du roman d'analyse d'autre part.
En effet, depuis l'ouvrage Et leurs yeux se rencontrèrent de Rousset, nous savons que la rencontre amoureuse se pérennise selon un schéma précis que je ferai découvrir aux élèves, aidée en cela par la phrase de Rousseau « je la vois, je l'atteins, je lui parle » qui résume la traversée de l'espace amoureux. Quant à la description de Madame de Warens, elle est pratiquement inexistante chez Rousseau : le lecteur sait seulement que sa beauté correspond aux canons esthétiques du siècle avec « de beaux yeux bleus pleins de douceur, un teint éblouissant, le contour d'une gorge enchanteresse. » Cette économie de la description m'amène à faire prendre conscience aux élèves de la notion de roman d'analyse en m'attardant sur La Princesse de Clèves. Le 18e siècle est pudique et le lecteur, à travers le regard de M. de Nemours, apprend seulement que la princesse est belle. Nous pouvons assimiler la danse à une ellipse magique où les deux protagonistes entrent en amour sous l'œil des courtisans. Si Madame de La Fayette se tait ici sur leurs sentiments, c'est pour mieux les développer et les analyser dans la suite du roman.
Pour la séance suivante, je demande à la classe de lire l'extrait de Manon Lescaut en s'interrogeant sur la focalisation :
- Quel est le « je » qui s'exprime ?
- Quelle différence peut-on faire entre l'ouvrage de l'abbé Prévost et celui de Rousseau ?
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Dans cette troisième séance, il s'agit de faire la distinction entre l'autobiographie et le roman autobiographique, ce qui me permettra d'introduire la notion de la naissance du roman au XVIIIe siècle. Dans Manon Lescaut, le narrateur dit « je » mais l'auteur est bien l'abbé Prévost. Je fais remarquer aux élèves la condition inférieure du roman au début du siècle et le souci de réalisme et de crédibilité : l'auteur s'exprimant à la première personne, ce ne peut être que vrai. Je profiterai de cet extrait pour faire allusion au registre pathétique de l'ouvrage et à son insertion dans le roman sentimental du XVIIIe, au même titre que La Nouvelle Héloïse ou Les Liaisons dangereuses, romans épistolaires que j'étudierai en classe de première. Quant aux Confessions, c'est la première autobiographie « in cute. »
À ce stade de ma progression, je propose une évaluation intermédiaire effectuée chez eux par les élèves, qui servira de premier bilan des acquis. La question est la suivante : « Quelle évolution voyez-vous dans le roman à travers les trois extraits que nous venons d'étudier ? »
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Ce bilan permettra d'établir une transition avec la quatrième séance consacrée aux deux textes de Stendhal et qui durera deux heures. L'objectif en sera de montrer l'évolution continue du genre romanesque au 19e siècle [...]
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La correction de ce questionnaire fera l'objet de la cinquième séance, consacrée aux figures de rhétorique laudatives et aux isotopies mélioratives.
Le texte de Madame de La Fayette, nous l'avons vu, reste discret et utilise des images, périphrases et hyperboles. J'attends des élèves qu'ils aient relevé notamment « Ce prince était fait d'une sorte qu'il était difficile de n'être pas surpris de le voir quand on ne l'avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne. »
Le texte de l'abbé Prévost établit une gradation que les élèves doivent remarquer, gradation qui correspond au passage d'un siècle à l'autre : le 18e siècle se veut plus ouvertement libertin : « charmante », « différence des sexes », « une fille », « je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport », « la maîtresse de mon cœur », tels sont les vocables utilisés par le chevalier des Grieux, vocables également hyperboliques, tels le « coup mortel ». Le sentiment amoureux se déclare.
Quant au texte de Rousseau, je fais remarquer à la classe le rythme ternaire de la phrase : « Je la vois, je l'atteins, je lui parle » et l'effet de gradation crescendo qui induit une progression sensorielle : la vue, le toucher ou la proximité et la parole, première « liaison dangereuse », pour paraphraser Laclos.
L'extrait du Rouge et le Noir [...]
Plus explicite à cet égard est l'extrait de La Chartreuse de Parme. [...].
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La sixième séance est consacrée à L'Éducation sentimentale de Flaubert, mon objectif étant de commencer à construire la notion de réalisme dans le roman [...]
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La septième et dernière séance sera une évaluation sommative où je demanderai à la classe une écriture d'invention « à la manière de » avec comme objectif une première rencontre amoureuse au XXIe siècle. Le texte devra obligatoirement comporter une séquence narrative et descriptive, la séquence dialoguée restant facultative.
Les diverses approches des élèves donneront l'occasion de revenir sur l'évolution de l'expression du sentiment amoureux au cours des siècles et d'aborder peut-être les différentes visions de la femme selon l'esthétique choisie.
L'apport d'un document iconographique - un portrait féminin - permettra de terminer la séquence sur une visualisation effective en rapport avec les nombreuses descriptions relevées tout au long de l'étude.
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Six portraits de femmes et six scènes de première vue nous amènent à définir un des topoï de la littérature amoureuse dans le genre romanesque et le registre laudatif, voire lyrique. Il faut noter une évolution en accord avec l'époque : la retenue et la pudeur classiques chez Madame de La Fayette, une approche libertine de la femme avec l'abbé Prévost, un lyrisme préromantique chez Rousseau et, chez Stendhal et Flaubert, une vision romantique et réaliste. Telle est la femme dans le roman jusqu'au milieu du XIXe siècle.
Je proposerai à la classe une lecture complémentaire, celle d'une œuvre théâtrale, autre genre à étudier en seconde, avec le même registre laudatif, par exemple le théâtre de Marivaux qui foisonne de nombreuses rencontres amoureuses ; à ce moment-là, c'est la spécificité de l'écriture théâtrale de la rencontre qui peut être soulignée. J'attends des élèves qu'ils retiennent cet aspect essentiel : les registres parcourent les genres.
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Date de dernière mise à jour : 18/10/2019