Bon à savoir sur Manon Lescaut
Ce récit bref et dépouillé (appartenant aux Mémoires d’un Homme de qualité) fut publié séparément à partir de 1753. Un chef-d’œuvre dans la mesure où il est liée à son auteur et à son époque ainsi qu’à sa valeur humaine.
I. TÉMOIGNAGE INTIME
Prévost a mis dans cet ouvrage beaucoup de lui-même. Comme Prévost, des Grieux s’enfuit du séminaire, succombe aisément aux tentations sans renier toutefois sa formation morale et religieuse. Mais il a transposé son drame personnel et il est difficile de démêler la part de fiction et de réalité. Cependant, du point de vue psychologique, l’ouvrage contient de nombreux éléments autobiographiques.
II. ROMAN DE MŒURS
Prévost restitue un milieu social immoral et corrompu, caractéristique de l’époque, qui n‘est pas sana rapport avec Les Liaisons dangereuses de la fin du siècle. Mano et des Grieux vivent parmi des êtres dénués de tous principes, sans aucun sens du bien et du mal. Leur seule raison de vivre est le plaisir. Le plaisir coûte cher, il faut donc se procurer de l’argent par tous les moyens. Des Grieux subit progressivement l’influence de Manon et le lecteur assiste à sa déchéance progressive et consciente.
III. VALEUR HUMAINE
Il s’agit, en dépit de tout, d’une histoire d’amour : élan de deux jeunes gens et passion. On croit même à l’amour sincère de Manon, malgré ses infidélités. Certes, Manon est frivole, certes des Grieux est faible ; et pourtant, cette passion garde une sorte d’innocence : elle est instinctive, naturelle et vraie.
1/ Passion fatale
Fatale aux deux sens du terme : la passion apparaît comme un entraînement irrésistible et transforme sur-le-champ l’être qu’elle envahit (cf. scène de première vue entre Manon et des Grieux) ; ensuite parque qu’elle conduit les deux amants à leur perte. Des Grieux s’écrie : « Par quelle fatalité suis-je devenu criminel ? L’amour est une passion innocente ; comment s’est-il changé, pour moi, en une source de misères et de désordres ? »
2/ Portée morale
Prévost affirme que son roman pout servir à l’instruction des mœurs : « Le public verra dans la conduite de M. des Grieux un exemple terrible de la force des passions. J’ai à peindre un jeune aveugle qui refuse d’être heureux pour se précipiter volontairement dans les dernières infortunes... ; qui prévoit ses malheurs sans vouloir les éviter ; qui les sent et qui en est accablé sans profiter des remèdes qu’on lui offre sans cesse... » Cette impuissance à triompher de la passion rappelle les héros de Racine. Selon Paul Hazard, Manon Lescaut est d’inspiration janséniste : la Providence interviendrait dans l‘action et, pour avoir confié toutes ses espérances à un amour trop humain, des Grieux se verrait condamnée à demeurer à jamais insatisfait. Ceci dit, on est frappé par l’immoralisme des personnages et, en même temps, de ce charme que garde Manon en dépit de ses défauts. Peut-on croire dans ce cas à une revendication en faveur de la nature et de l’instinct contre les contraintes, y compris la loi morale ?
Thèse ou non, Prévost n’a pas écrit un livre moralisateur mais, selon la tradition des moralistes français, il présente une peinture fidèle de la réalité psychologique, sans complaisance : tel est le meilleur enseignement moral de la littérature.
3/ Classicisme et romantisme
L’élément autobiographique et la description de la passion fatale invitent à considérer l’ouvrage comme une œuvre préromantique : cf. l’apologie de la passion par Rousseau dans La Nouvelle Héloïse puis par les romantiques. Pourtant, l’œuvre reste classique : la passion y est analysée. Prévost ne la réhabilite pas mais constate lucidement son pouvoir et ses ravages. En outre, Prévost ne recherche pas le pittoresque : certes, la fin du roman nous transporte en Amérique mais sans aucune notation exotique (cf. la mort de Manon). Quant au style, il reste sobre, dépouillé, précis, naturel : l’émotion reste discrète et contenue.
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