Genèse des Liaisons
Selon le prince de Ligne et le comte Alexandre de Tilly
Le prince de Ligne écrit à propos de l'ouvrage :
"Une partie de ces caractères et aventures, a-t-il [Laclos] noté dans les parges de la Correspondance de La Harpe, s'est trouvée dans une société de Grenoble que je connais. Mme de Merteuil est un composé de plusieurs femmes, dont l'auteur a résumé en elle toutes les méchancetés." (cité par Georges Poisson, Choderlos de Laclos ou l'Obstination, Grasset, 2005).
Le comte de Tilly écrit dans ses Mémoires :
« ... J’essayais donc, à Londres, une ou deux fois, de savoir de lui-même [Laclos] tout le mystère de son livre, parce que j’étais persuadé qu’un tel ouvrage ne vient dans la tête de personne sans des données préliminaires [...]. Voici à peu près ce qu’il me dit :
J’étais en garnison à l’île de Ré (1) et après avoir écrit quelques élégies de morts qui n’en entendront rien, quelques épitres en vers dont la plupart ne seront jamais imprimées, très heureusement pour le public et pour moi, étudié un métier qui ne devait me mener ni à un grand avancement ni à une grande considération, je résolus de faire un ouvrage qui sortît de la route ordinaire, qui fît du bruit et qui retentît encore sur le terre quand j’y aurais passé (2). [...]
Un de mes camarades qui porte un nom célèbre dans les sciences avait eu plusieurs aventures d’un grand éclat, auxquelles il ne manquait qu’un autre théâtre. C’était un homme né spécialement pour les femmes et pour les perfidies dans lesquelles elles sont maîtresses passées ; en un mot, si c’eût été un homme de cour, il aurait eu la réputation de Lovelace et aurait été de meilleure compagnie que lui. Il m’avait pris pour son confident ; je riais de ses espiègleries et l’aidais quelquefois de mes conseils. Je lui avais connu une maîtresse qui valait bien Mme de Merteuil, mais c’est à Grenoble que je vis l’original, dont la mienne n’est qu’une faible copie ; une marquise de L. T. D. P. M. ; dont toute la ville racontait des traits dignes des jours des impératrices romaines les plus insatiables. Je pris des notes et je me promis bien de les réaliser en temps et en lieu. L’histoire de Prévan était arrivé il y a longtemps à M. de Rochech**, officier supérieur des mousquetaires, il en fut déshonoré ; on en rirait à présent. J’avais bien par-devers moi quelques petites historiettes de ma jeunesse, qui étaient assez piquantes ; je fondis ensemble toutes ces parties hétérogènes ; j’inventai le reste, le caractère de Mme de Tourvel surtout, qui n’est pas commun. Je soignai mon style autant que j’en suis capable et, après quelques mois d’un dernier travail, je jetai mon livre dans le public ; je n’ai presque pas su depuis sa fortune, mais on me dit qu’il vit encore. »
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Notes
(1) Erreur de Tilly. Laclos était en garnison à l’île d’Aix.
(2) Les phrases en italique sont soulignées par Tilly lui-même.
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Date de dernière mise à jour : 01/07/2018