Louis XVI bafoué par Figaro et Marie-Antoinette
Madame Campan, dans ses Mémoires – à lire avec un certain recul car elle a tendance à enjoliver les choses – raconte qu’elle a lu à Louis XVI et Marie-Antoinette Le Mariage de Figaro, de Beaumarchais en avril 1782. Catastrophe ! Elle rapporte les paroles du couple royal : « C’est détestable, ce ne sera jamais joué, il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de cette pièce ne soit pas une inconvenance dangereuse. Cet homme se joue de tout ce qu’il faut respecter dans un gouvernement. – On ne la jouera donc point ? dit la Reine. – Non, certainement, répondit Louis XVI, vous pouvez en être sûre. »
Madame Campan écrit plus loin : « Cette défense du roi parut une atteinte à la liberté publique. Toutes les espérances déçues excitèrent le mécontentement à tel point que les mots d’oppression et de tyrannie ne furent jamais prononcés, dans les jours qui précédèrent la chute du trône - années, devrait-elle dire -, avec plus de passion et de véhémence. »
On peut douter de la véracité des paroles de Mme Campan concernant la reine. En effet, malgré l'interdiction de la pièce par le roi, elle est jouée lors d'une représentation privée au château de Gennevilliers avec pour acteurs principaux la reine elle-même dans le rôle de la comtesse, et son beau-frère, le comte d’Artois, dans le rôle de Figaro.
En fin de compte, Louis XVI cède. La première représentation a lieu le 27 avril 1784 à la Comédie-Française, place de l'Odéon : c’est un triomphe (12 rappels). Durant quatre heures et demie, les aristocrates - qui se disent éclairés - se gaussent de la déconfiture d’un comte libertin et de l’habileté de son barbier.
Le 19 août 1785, Le Barbier de Séville (joué à la Comédie-Française dès 1775) est donné à Trianon dans le théâtre privé de Marie-Antoinette : le comte d’Artois joue encore Figaro, le comte de Vaudreuil (amant de Mme de Polignac, favorite de la reine) interprète Almaviva et… Marie-Antoinette Rosine.
Dans Le Mariage, « tout finit par des chansons », ainsi que le déclame Brid'oison, mais l'Histoire attend les comédiens travestis pour en faire des victimes.
Si Louis XVI a compris l'impact politique du Mariage, Napoléon aussi, qui dira à Sainte-Hélène : « Le Mariage de Figaro, c'est déjà la Révolution en action. »
À propos du théâtre de la reine
Elle juge qu'un théâtre est nécessaire à Trianon. Il est inauguré le 1er juin 1780 : ornementations dorées, motifs en trompe-l’œil, clinquant, il revient moins cher qu’on ne le pense. Les murs sont tendus de moire bleue, le rideau est en gros-bleu de Tours et son plafond illustré d’un Apollon voguant dans les nuages, entouré de Muses, Grâces et amours. On y donne des comédies légères : dans Le Roi et le Fermier (Sedaine), un roi égaré pendant la chasse est recueilli par un fermier qui lui fait la satire de la cour ; la reine joue le rôle d’une bergère amoureuse du fermier mais poursuivie par les assiduités d’une jeune libertin. Dans La Gageure imprévue (Sedaine également), elle joue le rôle d’une soubrette complice d’une marquise désœuvrée qui a recueilli un beau chevalier et l’enferme dans un placard lors du retour inopiné de son mari. Puis c’est le tour de On ne s’avise jamais de tout (Sedaine), Les Fausses Infidélités (Barthe), L’Anglais à Bordeaux (Favart), Le Sorcier (Poinsinet), Rose et Colas (Sedaine), Le Devin du village (Rousseau) et bien d’autres. Un sage répertoire. La reine endosse toujours les rôles de soubrettes, de paysannes ou de jeunes ingénues. Il s’agit pour elle d’échapper à sa fonction. Les choses se corsent avec Beaumarchais et son Mariage de Figaro, nous venons de le voir. Mais la reine, qui admire Beaumarchais, décide de jouer Le Barbier de Séville, qui n’a rien de subversif pour le pouvoir. Elle y endosse le rôle de Rosine, jeune noble espagnole qui déjoue la surveillance d’un vieux tuteur libidineux pour convoler avec un sémillant prétendant éperdu d’amour pour elle. Et puis ce sera le Mariage... (Sources : C'était Marie-Antoinette, Evelyne Lever).
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Date de dernière mise à jour : 18/11/2017