Héroïnes littéraires
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Beaumarchais, censuré en son temps est devenu un classique dans les manuels scolaires. Il fricote pas mal dans divers milieux plus ou moins louches mais enfin, mais enfin... L'auteur du Barbier et du Mariage sait de quoi il parle et analyse finement la psychologie féminine.
Sans doute Beaumarchais a-t-il mis beaucoup de lui-même dans cette tirade de Figaro (Le Mariage) : « Ô bizarre suite d'événements ! Comment cela m'est-il arrivé ? Pourquoi ces choses et non pas d'autres ? Qui les a fixées sur ma tête ? Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j'en sortirai sans le vouloir, je l'ai jonchée d'autant de fleurs que ma gaieté me l'a permis : encore je dis ma gaieté sans savoir si elle est à moi plus que le reste, ni même quel est ce moi dont je m'occupe : un assemblage informe de parties inconnues ; puis un chétif être imbécile ; un petit animal folâtre ; un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les goûts pour jouir, faisant tous les métiers pour vivre ; maître ici, valet là, selon qu'il plaît à la fortune ; ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais paresseux... avec délices ! orateur selon le danger ; poète par délassement ; musicien par occasion ; amoureux par folles bouffées, j'ai tout vu, tout fait, tout usé. »
Certains, quelque peu inconséquents, analysent ses textes comme des prémisses à la Révolution... Il faudrait nuancer ce jugement.
« Que s’est-il passé au théâtre entre l’âge d’or du classicisme et la bataille d’Hernani ? Un inventaire superficiel de l’histoire littéraire ne laisse apercevoir que ceci : deux génies de la comédie, un projet ambitieux, mais voué à l’échec et l’interminable décadence du classicisme. Marivaux et Beaumarchais paraissent isolés par leur réussite même, par leur singularité qui interdit de les rattacher trop nettement à quelque mouvement que ce soit ; le projet ambitieux, moral, esthétique, et pour tout dire, philosophique qui se perd dans les sables est celui de Diderot, l’invention du drame (…) Mais si, détournant le regard et le portant vers l’histoire du théâtre et l’esthétique dramatique, on considère la place du spectacle dans la vie sociale et intellectuelle du XVIIIe siècle, le contraste est frappant. » (Pierre Frantz, L’esthétique du tableau dans le théâtre du XVIIIème siècle, PUF, Paris 1998)
Et, pour conclure, deux citations de Beaumarchais :
« Boire sans soif et faire l'amour en tous temps, madame, il n'y a que ça qui nous distingue des autres bêtes.»
« J’ai pensé, je pense encore qu'on n'obtient ni grand pathétique, ni profonde moralité, ni bon et vrai comique au théâtre, sans des situations fortes qui naissent toujours d'une disconvenance sociale dans le sujet qu'on veut traiter. » (Préface du Mariage de Figaro).
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Au programme de l'agrégation de Lettres 2019 :
- La Dispute
- La Fausse suivante
- La Double inconstance
Le terme « marivaudage » a pris une connotation légèrement péjorative (échange de propos galants et précieux). C'est bien dommage pour Marivaux, qui inventa « la métaphysique des cœurs » ! Cependant, il ne fut pas toujours apprécié à sa juste valeur en son temps par les « grands » auteurs et il ne fut admis à l'Académie française en 1742 (soutenu par Mme de Tencin) non pas en raison de « la multitude d'ouvrages que le public a lus avec avidité » mais de « l'amabilité de son caractère. »
Qu'est-ce donc que le marivaudage ? À la finesse de l’analyse correspond une extrême subtilité du langage. Le spectateur doit être sensible aux moindres nuances dans les termes, dans l’intonation, comme le sont les personnages eux-mêmes. Les maîtres ont le langage des salons, tandis que les valets font renaître la préciosité ridicule. Mais le marivaudage n’est pas une affectation car il n’est pas seulement un style : « C’est la solidité du fond qui soutient la précieuse fragilité de la forme », écrit Brunetière. Diderot, dans sa Lettre sur les Aveugles, écrit à propos des « écrivains qui ont l’imagination vive », songeant surtout à Marivaux : « Les situations qu’ils inventent, les nuances délicates qu’ils aperçoivent dans les caractères, la naïveté (vérité) des peintures qu’ils ont à faire, les écartent à tout moment des façons de parler ordinaires, et leur font adopter des tours de phrases qui sont admirables toutes les fois qu’ils ne sont ni précieux ni obscurs. »
On a souvent reproché à Marivaux de traiter toujours le même sujet, à savoir la surprise de l’amour, avec de légères variantes. Il écrit lui-même : « J’ai guetté dans le cœur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l’amour lorsqu’il craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet de le faire sortir d’une de ses niches. Dans mes pièces, c’est tantôt un amour ignoré des deux amants ; tantôt un amour qu’ils sentent et qu’ils veulent se cacher l’un à l’autre ; tantôt un amour timide qui n’ose se déclarer ; tantôt enfin un amour incertain et comme indécis, un amour à demi-né, pour ainsi dire, dont ils se doutent sans en être bien sûrs et qu’ils épient au dedans d’eux-mêmes avant de lui laisser prendre l’essor. » L'obstacle à l'amour n'est donc plus extérieur (Molière) ou fatal (Racine) mais psychologique (peur, scrupule, souvenir d'une amère expérience).
Voltaire lui reproche de « trop détailler les passions et de manquer quelquefois le chemin du cœur en prenant des routes un peu détournées » et de « peser des œufs de mouche dans des balances de toile d’araignée. »
Ce qui n'empêche pas que sa pièce La Mère confidente soit jouée à Vienne, lors des fêtes précédant le mariage de Marie-Antoinette et du dauphin de France (15 avril 1770)...
Après un long oubli au 19e siècle, ses œuvres ont à nouveau droit de cité sur nos scènes de théâtre. Quant à son roman La Vie de Marianne, il figurait au programme de l'agrégation de Lettres en 2015. Il en serait sans doute le premier surpris, lui dont la nonchalance n'égalait que - il faut bien le dire - l'amertume.
Une citation : « J'ai guetté dans le cœur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l'amour lorsqu'il craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet de le faire sortir d'une de ces niches. » (Marivaux).
Une autre : « Lorsque je l'ai aimé, c'était d'un amour qui m'était venu ; à cette heure je ne l'aime plus, c'est un amour qui s'en est allé ; il est venu sans mon avis, il s'en retourne de même ; je ne crois pas être blâmable. » (La Double Inconstance, III, 8).
Dans ses Pensées sur la clarté du discours (1719), Marivaux énonce son projet : il s'agit, selon lui, de « faire entrevoir » les perpétuelles et rapides « modifications » du sentiment et leur « étendue non exprimable de vivacité » par un art de la suggestion et du demi-mot qui remplace la simple déclamation des passions.
Giraudoux et Anouilh entre autres seront les continuateurs de Marivaux.
Sauf mention contraire, mes sources pour Marivaux proviennent de Marivaux, Théâtre complet, Éditions du Seuil, 1964 (Préface de Jacques Scherer, Présentation et notes de Bernard Dort).
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Julie ou La Nouvelle Héloïse (Rousseau) est un best-seller absolu pour l'époque. On compte 50 000 lecteurs en trois ou quatre langues. C’est le plus grand succès de librairie du siècle : plus de cinquante éditions en quarante ans. Au sujet de cet ouvrage, le baron Melchior von Grimm écrit dans sa Correspondance littéraire : « Les femmes passaient à le lire les nuits qu’elles ne pouvaient pas mieux employer et fondaient en larmes. C’est là que Rousseau ose ce que jamais nul romancier n’avait imaginé : rendre deux amants heureux avant la fin du premier volume lorsqu’il en reste trois, dont tout autre n’aurait su que faire. »
Il est lu dans toute l’Europe cultivée, notamment en Allemagne après sa traduction, soit en 1765, où il devient le bréviaire des jeunes préromantiques allemands. « Le sentiment est tout », dira Faust et Goethe écrira son Werther. Le sentiment de la nature et la description des paysages ravissent l’âme germanique.
Rousseau écrit son roman chez Madame d’Épinay, la maîtresse de Grimm, à l’Ermitage, situé au milieu de la forêt de Montmorency. Commencée en 1756, La Nouvelle Héloïse est terminée en 1758 et paraît en 1761 sous le titre Julie ou la Nouvelle Héloïse. Lettres de deux amants, habitants d’une petite ville au pied des Alpes. Rousseau fait ici allusion à l’histoire d’Héloïse (1101-1164) qui épouse secrètement son précepteur, le théologien Abélard (1079-1142), doit renoncer à son amour et devient abbesse du Paraclet, monastère fondé par Abélard.
Ce séjour à l’Ermitage d’Ermenonville, à partir de 1756, permet à Rousseau d’expérimenter son amour de la paix et de la vie champêtre qu’il intègrera dans ses ouvrages du moment. Notamment dans ce roman, entorse à son hostilité avouée pour ce genre littéraire, qui lui est comme imposé par les circonstances et lui offre une sorte de revanche sur sa vie sentimentale (il aime vainement Sophie d’Houdetot) : « L’impossibilité d’atteindre aux êtres réels me jeta dans le pays des chimères », écrira-t-il dans les Confessions (livre IX). Et l’incipit de la préface, d’une agressivité orgueilleuse, est clair : « Il faut des spectacles aux grandes villes, et des romans aux peuples corrompus. »
Quels sont les éléments à l’origine du grand succès de l’ouvrage ? Ils sont dans l’air du temps : sensibilité, épanchement des sentiments, nature, idéal de vie rustique, solitude, vertu et conscience morale.
Une phrase à retenir : « Fatal présent du ciel qu’une âme sensible. » (Saint-Preux dans La Nouvelle Héloïse, Lettre XXVI).
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Succès de scandale lors de sa parution (les 2 000 exemplaires de la première édition sont vendus en quinze jours), l’ouvrage de Laclos est devenu un classique de notre littérature, souvent étudié dans les classes de Lycée et au-delà. Quintessence du 18e siècle, aussi bien dans sa forme (roman épistolaire) que par le fond : libertinage et cruels raffinements de l’esprit. Le film de Stephen Frears est remarquable. Voir aussi l’adaptation de Milos Forman et celle, plus ancienne, de Roger Vadim.
Grimm note dans sa Correspondance littéraire : « Depuis plusieurs années, il n’a pas encore paru de roman dont le succès ait été aussi brillant que celui des Liaisons dangereuses. »
Deux citations :
« La conversation languissait, comme il arrive toujours quand on ne dit que du bien de son prochain. »
« Où auriez-vous pris l’idée de l’âme d’un libertin ? »
Dans Le Roman épistolaire (P.U.F., 1979), Laurent Versini écrit : « L’originalité de Laclos ne réside pas plus dans la forme que dans le titre de son roman, préparé par toute la réflexion d’un siècle sur le danger des liaisons auquel expose la sociabilité ; devant l’une et l’autre à une tradition, l’alchimie de l’artiste confère à des habitudes, à des modes ou à des lieux communs une nécessité interne, et des justifications esthétiques aussi fortes que l’art de Racine à la forme familière et codifiée de la tragédie. »
André Malraux écrit également dans une préface aux Liaisons : « De tous les romanciers qui ont fait agir des personnages lucides et prémédités, Laclos est celui qui place le plus haut l'idée qu'il se fait de l'intelligence. Idée telle qu'elle le mènera à cette création sans précédent : faire agir des personnages de fiction en fonction de ce qu'ils pensent. La marquise et Valmont sont les deux premiers dont les actes soient déterminés par une idéologie. »
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La Véritable Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, pour une part autobiographique, connaît un succès considérable, au même titre que La Vie de Marianne de Marivaux ou La Nouvelle Héloïse de Rousseau. Élans du cœur, sentiments exacerbés, folles passions et larmes généreuses plaisent à la nouvelle génération de lectrices dont on ne soulignera jamais assez la dualité, partagées entre raison et sentiment, caractéristiques du siècle.
Cet ouvrage ouvre véritablement la littérature aux droits du cœur.
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