Mme du Barry et la mort du roi
Le baron de Besenval qui déteste Mme du Barry, raconte ce qui suit dans ses Mémoires :
« Le roi se trouva mal le 28 avril 1774, au petit Trianon, dans un de ces voyages de deux ou trois jours dont il essayait sans cesse de remplir l'inutilité de sa vie, pour chasser le désœuvrement et l'ennui qui le suivaient partout. Madame du Barry, craignant que la moindre inquiétude sur son état ne rappelât en lui cette terreur du diable, qui se réveillait au plus petit prétexte, et ne lui fît demander un confesseur, voulait le déterminer à rester à Trianon. Là, entourée de cette vile partie de courtisans qui s'était déclarée en sa faveur, elle n'avait rien à craindre de la famille royale, ni des intrigues qu'on aurait pu faire contre elle. Mais M. d'Aiguillon [ministre], trouvant cette conduite trop hasardée, l'engagea à ramener le roi à Versailles, où il revint, d'après l'avis de La Martinière, premier chirurgien de S.M. qui opina pour ce retour, avec son honnêteté, sa franchise et sa brutalité ordinaires [...]. La petite vérole se déclara. Les médecins l'annoncèrent.
Cette nouvelle causa une grande agitation à la cour et à la ville. M. d'Aiguillon, madame du Barry, les courtisans qui s'étaient déclarés pour eux, ainsi que la multitude de fripons, d'intrigants et d'espions dont ils avaient peuplé la cour, et qui formaient la leur, éprouvèrent les plus vives alarmes sur l'état du roi. Une petite vérole à soixante-quatre ans était une raison suffisante pour leur en causer. A cette inquiétude se joignait encore celle du moment des sacrements. Ils se rappelaient Metz, la pusillanimité du roi, la manière dont madame de Châteauroux avait été chassée ; et calculaient juste en redoutant cet instant, et en craignant encore davantage la mort du roi, qui mettait sur le trône un jeune prince et une jeune princesse, bravés par madame du Barry, que M. d'Aiguillon délaissait pour cette maîtresse, et qui étaient journellement éclairés et aigris par leurs entours, sur les outrages qu'on leur faisait, et l'abandon où ils vivaient. Ce qu'on appelait les barriens et les aiguillonistes avaient donc contre eux deux chances à redouter. L'une des deux était presque inévitable [...].
M. d'Aiguillon, qui était parvenu à prendre tout le crédit, n'accordait aucune grâce, qu'elle n'eût passé par madame du Barry, et qu'on ne se fût adressé à elle pour l'obtenir [...].
Madame du Barry ayant été, à son ordinaire, introduite dans la chambre par Laborde [valet du roi], le 4 au soir, elle fut un peu surprise d'entendre le roi lui dire : « Madame, je suis mal ; je sais ce que j'ai à faire. Je ne veux pas recommencer la scène de Metz ; il faut nous séparer. Allez-vous en à Ruel [Rueil], chez M. d'Aiguillon ; soyez sûre que j'aurai toujours pour vous l'amitié la plus tendre. » On peut juger de l'impression que ce discours fit sur elle : le trouble qu'on remarqua sur son visage en sortant de la chambre apprit plus sur son arrêt que le propos du roi, qui a été répété tel que je le rapporte, sans certitude qu'il se soit servi des mêmes paroles [...].
La perplexité dura jusqu'au lendemain 5, à trois heures après midi, que madame du Barry monta en voiture [...].
[Le roi se confesse].
Il ordonna qu'on allât chercher M. d'Aiguillon. Fort peu de gens ont su que c'était pour lui confier que son confesseur avait déclaré qu'il ne lui donnerait point l'absolution tant que sa maîtresse serait aussi près de lui, et pour ordonner à ce ministre de dire de sa part à madame du Barry de s'en aller à Chinon, terre appartenant à M. de Richelieu. »
[Le roi meurt le 10 mai].
Besenval rapporte alors un long pamphlet contre Louis XV, écrit en manière d'épitaphe dont voici la dernière strophe :
« Ami des propos libertins,
Buveur fameux et roi célèbre
Par la chasse et par les catins :
Voilà ton oraison funèbre. »
Sources : Besenval, Mémoires du baron de Besenval sur la cour de France, Mercure de France, 1987.
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