Mme de Pompadour et Choiseul
Choiseul commence par mépriser Mme de Pompadour : une bourgeoise, maîtresse royale ! Lors de sa présentation à la cour, il écrit : « Alors une pareille présentation paraissait monstrueuse car il semblait que l’on violait toutes les règles de la police, de la justice et de l’étiquette, en enlevant à un fermier général [1] sa femme au milieu de Paris et, après lui avoir fait changer son nom, en la faisant femme d’une qualité à être présentée. Madame la princesse de Conti s’offrit [2] et eut cet honneur. A cette occasion, je ne puis m’empêcher d’écrire une réflexion que j’ai faite depuis bien souvent : c’est qu’en général tous les princes de maison souveraine sont naturellement plus bas que les autres hommes et que, dans tous les princes de l’Europe, ce sont les princes de la maison de Bourbon qui ont en partage la bassesse la plus méprisable. »
Plus loin, il écrit : « Le roi d’Angleterre peut avoir, comme un autre, une fille de mauvaise vie pour maîtresse (…] ; cette fille pourra acquérir dès les premiers moments le plus grand ascendant sur son imbécile amant ; si elle parvenait à composer son ministère des espèces les plus décriées en tout genre des trois royaumes, les lois, les forces d’Angleterre, la sûreté, la liberté et la propriété de chaque individu anglais n’en seraient pas moins à l’abri de la sottise et de la méchanceté du Roi, de la maîtresse et des ministres ; de sorte que le roi d’Angleterre a l’avantage de pouvoir s’avilir, se déshonorer, sans que la puissance et la nation anglaise perdent de son lustre. En vérité je ne crois pas qu’on jouisse du même avantage en France. »
Et aussi : « Madame de Pompadour croyait qu’elle me haïssait et le disait assez ouvertement. Je m’inquiétais infiniment peu de ce qu’elle pensait et de ce qu’elle disait. »
Maurepas [3] déplaît à Mme de Pompadour, qui lui préfère d’Argenson[4]. Pour perdre davantage Maurepas aux yeux de la favorite, il lui fait envoyer « une boîte remplie d’artifices et d’eau-forte […] comme si cette boite contenait des bijoux », l’avertit de faire attention car il y a « des exemples terribles sur les ouvertures de boîte » et on y trouve « ce que ceux qui a faisaient ouvrir et qui l’avaient envoyée savaient tous bien, de la poudre, des fioles de verre qui, sen se brisant, faisaient une explosion », raconte Choiseul. Maurepas est renvoyé.
« Le mariage de monsieur de Choiseul [5] avec mademoiselle de Romanet se conclut, sans que l’on m’en parlât davantage. Tout ce qui portait le nom du marié fut prié à Bellevue à la noce, chez madame de Pompadour. Je m’aperçus que monsieur de Gontaut [6] avait dit quelque chose du mécontentement que j’avais marqué de ce mariage, car madame de Pompadour, et surtout madame d’Estrades, tante de mademoiselle de Romanet, ne me faisaient pas trop bonne mine, ce qui ne m’empêcha pas de me divertir infiniment de la nouvelle parenté que j’acquérais. Mademoiselle de Romanet [7], qui se mariait, était assez bien faite, un visage commun, l’air d’une file entretenue qui a beaucoup d’usage du monde. Je n’ai jamais vu avoir des manières si délibérées, l’on pouvait même dire libres. Elle avait une mère, madame de Romanet, qui ressemblait parfaitement à une tante d’emprunt de fille publique. Je vis, dès le premier moment, que la nouvelle mariée ferait parler d’elle. »
En effet : elle veut entrer dans le lit du roi ! Choiseul s’offusque – quelle vilenie pour une noble dame ! – et fait coup double en entrant dans les bonnes grâces de Mme du Pompadour : il la prévient ce qui se trame et lui montre une lettre écrit par le roi à la Romanet : « Je craignais par cette lettre que, si elle continuait à résister et à être bien conseillée, elle ne parvînt à tout ce qu’elle prétendait et ne fût, dans le voyage même de Fontainebleau, déclarée maîtresse en titre. Le tableau de l’horreur d’une femme de mon nom dans cette place se présenta à moi avec effroi. »
Et Mme de Pompadour devient son alliée : « Je lui dis même à cette occasion des galanteries ; mais en même temps je l’assurai que je regarderais comme déshonorant pour moi de tirer parti de cet événement pour profiter de son crédit [8]. »
Mme de Pompadour veut le récompenser en lui obtenant l’ambassade de Rome. Il hésite, prenant le prétexte de la mauvaise santé de sa femme : « D’ailleurs, j’avais épousé une enfant que j’aimais tendrement ; qui, depuis trois ans que j’étais marié, avait fait une fausse couche, avait eu une fièvre maligne horrible, dont elle n’était pas remise et qui l’avait laissée dans un état de faiblesse et d’anéantissement très inquiétant. Je ne pouvais ni ne volais la quitter et je sentais la difficulté de lui faire faire un voyage comme celui de Rome à son âge, avec une santé aussi délicate. »
Il oublie de parler de ses maîtresses et autres divertissements… Mais il accepte et le couple arrive à Rome le 5 novembre 1754. Logé au palais Cesarini, Choiseul achète de nombreux tableaux de l’école italienne, encourage le peintre Hubert Robert, soutient Greuze et Fragonard. Choiseul n’oublie pas Mme de Pompadour, lui envoie des bijoux et lui écrit beaucoup. Elle aussi. En décembre 1756, elle pressent Choiseul pour le poste d’ambassadeur à Vienne. Fin mars, l’affaire est faite. Là encore des maîtresses… notamment la princesse de Kinsky.
Rentré à Versailles début 1759, le voilà ministre des Affaires étrangères. Choiseul travaille beaucoup mais écrit à Voltaire le 20 décembre 1759 : « Je vais me consoler de l’ambition, de l’animosité, de la cruauté, de la fausseté des princes ; le cul de ma maîtresse me fait oublier tous ces objets et augmente mon mépris pour les grandes actions des personnages qui nt de paris défauts. » Et, le 22 avril 1760 : « Je jure de bonne foi que je n’ai nulle ambition, mais en revanche que j’aime mon plaisir à la folie, je suis riche ; j’ai une très belle et commode maison à Paris ; ma femme a beaucoup d’esprit ; ce qui est fort extraordinaire, elle ne me fait pas cocu. [...] On a dit que j’avais des maîtresses passables, je les trouve, moi, délicieuses. »
Mme de Pompadour meurt en 1764, léguant à la duchesse de Choiseul « une boîte d’argent garnie de diamants […], au duc de Choiseul un diamant couleur d’aigue-marine, une boîte noire piquée à pans et un gobelet [10]. » Choiseul perd son appui le plus sûr. Les favorites potentielles ses pressent, notamment la rousse Mme d’Esparbès, protégée des jésuites, ennemis de Choiseul. Il pousse sa sœur Mme de Gramont dans le lit du roi qui n’en veut pas. Une autre viendra et restera : Mme du Barry en 1768.
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Notes
1] Le Normand d’Etiolles.
[2] Le roi paya en échange ses dettes de jeu.
[3] Ministre d’État.
[4] Secrétaire d’État à la Guerre.
[5] Il s’agit d’une autre branche, les Choiseul-Beaupré.
[6] Mariage arrangé par Gontaut et Mme de Pompadour.
[7] Parente éloignée de Mme de Pompadour.
[8] On peut émettre quelques doutes…
[9] Ils disposent aussi du magnifique hôtel Crozat à Paris.
[10] Cité par Henri Verdier, Le Duc de Choiseul, la politique et les plaisirs.
Sources : Duc de Choiseul, Mémoires.
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Date de dernière mise à jour : 27/10/2017