Epître à Margot (Laclos)
Épître à Margot (Choderlos de Laclos)
On connaît Laclos pour Les Liaisons dangereuses, sans doute moins pour ce poème dédié à une femme du peuple aux mœurs légères. Certains pensent que Laclos aurait écrit ces vers en songeant à Mme du Barry...
Épître à Margot
« Pourquoi craindrais-je de le dire ?
C'est Margot qui fixe mon goût :
Oui, Margot ! cela vous fait rire ?
Que fait le nom ? la chose est tout.
Margot n'a pas de la naissance
Les titres vains et fastueux ;
Ainsi que ses humbles aïeux,
Elle est encor dans l'indigence ;
Et pour l'esprit, quoique amoureux,
S'il faut dire ce que j'en pense,
À ses propos les plus heureux,
Je préférerais son silence.
Mais Margot a de si beaux yeux,
Qu'un seul de ses regards vaut mieux
Que fortune, esprit et naissance
Quoi ! dans ce monde singulier,
Triste jouet d'une chimère,
Pour apprendre qui me doit plaire,
Irai-je consulter d'Hozier (1) ?
Non, l'aimable enfant de Cythère
Craint peu de se mésallier :
Souvent pour l'amoureux mystère,
Ce Dieu, dans ses goûts roturiers,
Donne le pas à la Bergère
Sur la Dame aux seize quartiers.
Eh ! qui sait ce qu'à ma maîtresse
Garde l'avenir incertain ?
Margot, encor dans sa jeunesse,
N'est qu'à sa première faiblesse,
Laissez-la devenir catin,
Bientôt, peut-être, le destin
La fera Marquise ou Comtesse ;
Joli minois, cœur libertin
Font bien des titres de noblesse.
Margot est pauvre, j'en conviens :
Qu'a-t-elle besoin de richesse ?
Doux appas et vive tendresse,
Ne sont-ce pas d'assez grands biens ?
Trésors d'amour ce sont les siens.
Des autres biens, qu'a-t-on à faire ?
Source de peine et d'embarras,
Qui veut en jouir, les altère,
Qui les garde, n'en jouit pas.
Ainsi, malgré l'erreur commune,
Margot me prouve chaque jour
Que sans naissance et sans fortune... »
[Suite tronquée]
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Notes
(1) D'Hozier était chargé à la cour de vérifier les quartiers de noblesse.
Retraite à Louveciennes
En plein climat révolutionnaire, Laclos fait amende honorable, approuvant le style de vie calme et mesuré de l'ancienne favorite :
"Depuis qu'Elmire a dû quitter le séjour des Rois, elle a choisi une retraite paisible, où elle a vécu sans intrigues et sans projets, et sans cette inquiétude qui accompagne presque toujours les personnes qui ont joué un rôle, quel qu'il soit [...]. Vivant sans obscurité et sans dissipation, elle ouvre son ermitage enchanté à un petit nombre d'hommes qui croient que la chasteté est une convenance sociale, plutôt que la mère des vertus, et qu'on peut être fort tendre et fort aimable."
Cité par Benedetta Craveri, Les Derniers libertins, Flammarion, 2016.
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Date de dernière mise à jour : 11/04/2018