Analyse du grand portrait de Mme de Pompadour par Boucher
(François Boucher, 1756, Munich, Alte Pinakothek)
- Salon de 1757, huile sur toile, 201 x 157 cm -
Les dimensions (relativement importantes) indiquent que ce portrait appartient à la catégorie des portraits dits d’apparat, faits pour être exposés, vus et admirés, témoins de la grandeur du personnage. On peut relever ici une première contradiction car Boucher a participé notamment à la création des petits appartements de Versailles et s’est révélé un spécialiste de l’intime, des toiles de petit format adaptées aux petites pièces et décorant ces nouveaux espaces de vie, typiques du 18e siècle. Mais cette contradiction n’est qu’apparente car le peintre nous livre ici Madame de Pompadour en son particulier comme on disait alors et parvient ainsi à ne trahir ni la commande, ni le modèle, ni son art propre.
- Impression générale : Boucher saisit Madame de Pompadour entre deux pages de lecture, mettant ainsi en évidence son activité intellectuelle mais également - son regard se détourne du livre - un moment de repos ou de réflexion. Ceci est confirmé par l’heure au cadran : c’est l’après-midi (quatre heures moins vingt), l’heure de la méridienne (la bougie est éteinte). Mme de Pompadour au repos met à profit cette heure nonchalante pour lire mais aussi rêver et démontre ainsi qu’elle n’est pas uniquement une intellectuelle ou un bas-bleu - qui aurait une connotation péjorative -.
- Composition en diagonale avec une intensité particulière dans la partie droite en bas. Ceci révèle l’importance du sol, de l’élément terrien (on sait que Mme de Pompadour avait les pieds sur terre et le sens de ses intérêts), de la table (le bois en tant que symbole de la solidité), de la chute pesante de la robe.
- Une glace immense (signe de luxe) à l’arrière-plan allège la scène et lui donne sa profondeur : on y aperçoit le reflet de la tête et celui d’une imposante bibliothèque (que de lectures savantes !) surmontée d’une lourde pendule de bronze qui, dans le miroir, s’allègent. Par ailleurs, la verticalité s’oppose à la rondeur générale des formes (rideaux, robes). On peut y lire l’existence de deux univers différents : le sérieux et le plaisir de vivre.
- Le fond sombre met en valeur les couleurs claires et chatoyantes de la robe (rose et vert) et des rais de soleil. La présence de son chien - Mimi - accentue la gaieté de l’instant.
- Les roses de la robe (cf. goût de la nature de Boucher) rappellent les roses dispersées sur le sol ou bien égrenées sur un livre. Il s’agit ici d’un naturel étudié, raison pour laquelle Diderot critique Boucher et écrit dans le Salon de 1761 qu’il « a tout, excepté la vérité ». La table est remarquable dans ses détails avec son tiroir ouvert pour l’encrier et la plume d’oie. Il s’agit d’une table dite volante, table à écrire (spécialisation des meubles au 18e). On voit aussi une lettre décachetée, un bâton de cire à cacheter rouge, un sceau. Vient-elle d’écrire, va-t-elle écrire ?
- Elle ne porte pas de bijoux, sauf deux bracelets de perles, assez habituels à l’époque. Elle fait donc preuve d’une relative simplicité.
- Elle porte des mules à talons (mode de l’époque) et ses jambes sont croisées. Il serait intéressant d’analyser la position des jambes dans les portraits de l’époque : jamais les femmes ne croisent les jambes l’une sur l’autre comme nous le faisons et comme elle le fait (signe de décontraction).
- Elle a une petite tête - la mode n’est pas encore aux immenses perruques - avec les cheveux près du crâne, du rose aux joues et sur les lèvres, un ruban de cou, des dentelles légères aux manches et offre le léger désordre vestimentaire d’une favorite au naturel, dans une pose détendue. La robe est certes luxueuse car Mme de Pompadour doit être toujours prête à recevoir le roi qui arrive sans prévenir : il faut qu’elle soit disponible pour lui, n’importe quand et n’importe où ; mais le luxe est ici relatif.
- Le canapé (caché en partie par la robe) inspire le repos et le confort (ce terme, issu de l’anglais, n’existe pas encore au 18e siècle). Mais c’est un gros meuble (trop imposant) qui disparaît sous l’ampleur des jupes que Mme de Pompadour n’hésite pas à froisser, tout comme les pages du livre entrouvert, apparemment déjà bien feuilleté (quelle grande lectrice !). Le livre (léger) rappelle les gros ouvrages reliés en cuir (cf. sa bibliothèque et le choix précis des reliures de couleur) posés comme au hasard et en désordre, ce qui tend à montrer qu’elle les ouvre souvent (quelle intellectuelle !). On distingue également le feuillet froissé d’une gazette (elle lit AUSSI les gazettes !) et, à gauche, un portefeuille empli de papiers, esquisses et rouleaux de musique (c’est une passionnée de musique).
- Trois points clairs attirent l’œil : le visage, le décolleté et les bras (mains). L’œil est ainsi attiré par la chair nacrée de la favorite et son teint de lys et de rose(s).
- Elle n’a pas de poudre dans les cheveux (il s’agit d’un moment privé), elle est d’une blondeur non agressive (plutôt châtain clair), la couleur des yeux est difficile à percevoir (gris-bleu selon les témoignages du temps).
- Nous avons l’impression d’une femme à l’élégance raffinée naturellement, si l’on peut dire… Car rien n’est naturel ici, c’est certain. On comprend Diderot. La mise en scène est remarquable. Quel message veut faire passer Mme de Pompadour ? « Je suis cultivée, intelligente, élégante, j’aime les animaux et la nature, je sais aussi jouir de la vie et être simple. » La majesté et le sérieux sont suggérés (dans la glace), non imposés. Notons aussi la mise en valeur, par les détails (Boucher est excellent dans les détails), de l’existence quotidienne de la marquise. Le peintre ne cherche pas ici à faire une étude psychologique de la marquise (son caractère n’apparaît pas dans son visage, somme toute assez banal) mais la peint dans un moment de délassement. Ajoutons toutefois qu’il s’agit d’un repos actif (la favorite ne se laisse pas vivre) : lecture, écriture, etc.
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Date de dernière mise à jour : 15/09/2019