Révolution : libération féminine ?
Les droits de la femme sous la Révolution
Condorcet est à peu près le seul à défendre les femmes : « Les femmes ont les mêmes droits que les hommes ; elles ont donc celui d'obtenir les mêmes facilités pour obtenir les mêmes lumières qui seules peuvent leur donner les moyens d'exercer réeellement ces droits avec une même indépendance et dans une égale étendue. » (Sur l'admission des femmes au droit de cité, 1790).
En proclamant les droits de l’homme, les tribuns révolutionnaires n’oublient-ils donc pas les droits de la femme ? S’ils se soucient peu d’elles, c’est sans doute par une réaction contre ce 18e siècle qui fut un siècle de quasi-souveraineté féminine, toutes proportions gardées.
1) Elles régnèrent à la cour et à la ville, sur les mœurs et les lettres. Le roi de Prusse, Frédéric II, évoquait « le règne du cotillon ». C’était bien davantage le règne des salons : Mme du Deffand, Mme Geoffrin, Mlle de Lespinasse (pour ne citer qu’elles) firent la loi sur les beaux – et les grands –esprits. Si, au siècle précédent, Mlle de Scudéry ne dictait la mode que chez les Précieuses, on peut affirmer que Mme du Châtelet éblouit Voltaire et Mme d’Épinay, Rousseau.
Le Persan de Montesquieu admirait, à Versailles comme à Paris, le poids politique des femmes : c’est par leurs mains que « passent toutes les grâces et quelquefois les injustices. » Les femmes « forment une espèce de république dont les membres, toujours actifs, se secourent et se servent mutuellement ; c’est comme un nouvel état dans l’État. [...] On se plaint en Perse de ce que le royaume est gouverné par deux ou trois femmes. C’est bien pis en France, où les femmes en général gouvernent, et non seulement prennent en gros, mais même se partagent en détail toute l’autorité. »
2) À l‘inverse, à l’imitation de Rousseau, la Révolution est antiféministe. Il dit en effet : « La dépendance est un état naturel aux femmes » et encore : « La femme est faite pour céder à l’homme. » (Émile). Condorcet plaide certes la cause des femmes avant la Révolution mais reste muet pendant la tourmente.
Les cahiers de doléances, en 1789, présentent fort peu de revendications féminines. Seule Olympe de Gouges présente une « déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » dont on peut retenir cette phrase : « Puisque la femmes a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir celui de montre à la tribune. » Robespierre, qui lui refuse ce dernier droit, lu reconnaît le premier : il la fait arrêter et guillotiner.
D’autres femmes tiennent leur place dans la Révolution. Elles sont émeutières lors des journées d’octobre, victimes (Mme Roland ou Lucile Desmoulins), agitatrices (Claire Lacombe, Théroigne de Méricourt), figurantes des grands spectacles lorsqu’on les fait déesses de la Liberté ou de la Raison. Mais ce ne sont là que des seconds rôles. Les femmes d’action sont dans l’autre camp, avec Charlotte Corday ou les amazones de la guerre de Vendée.
Bon disciple de Rousseau, Robespierre est farouchement antiféministe (refoulement sexuel). Chaumette, de son côté, s’indigne lorsque des femmes viennent se présenter au Conseil général de la commune, coiffées du bonnet rouge des sans-culottes : « Femmes impudentes, depuis quand est-il permis à des femmes d’abjurer leur sexe, de se faire hommes ? Depuis quand est-il d’usage de voir les femmes abandonner les soins pieux du ménage, le berceau de leurs enfants, pour venir sur la place publique ? » Un Conventionnel, Dupont de Bigorre (élu des Hautes-Pyrénées), présente un projet de décret dont l’article 10 est ainsi libellé : « L’homme qui épouserait une femme qui exercerait le métier des hommes perdra son droit de citoyen. »
Passé Thermidor, Thérésa Cabarrus, devenue Mme Tallien, ne règnera que sur les alcôves du Directoire et ne donnera le ton qu’aux Merveilleuses, en compagnie de son amie Joséphine de Beauharnais.
Couronnant l’œuvre misogyne de la Révolution, Napoléon apportera sur le continent les traditions patriarcales de son île : en Corse, la femme sert le repas et mange debout. L’empereur respecte sa mère mais tient ses sœurs pour des sottes. Dans son Code civil, la femme reste une mineure. Elle doit obéissance à son mari (article 213). Sans lui, elle ne peut ni aller en justice, ni aliéner ses avoirs. Cette incapacité est conforme au sentiment de Napoléon sur les femmes : « Pour une qui nous inspire quelque chose de bien, il en est cent qui nous font faire des sottises. » S’il inscrit le divorce dans le Code, c’est pour permettre à l’homme de se libérer, et sans doute pour se le permettre à lui-même... Joséphine et Marie-Louise ne sont bonnes que pour l’amour et pour enfanter. À Mme de Staël qui lui demande quelle est la première femme du monde, il répond : « Celle qui a fait le plus d’enfants. » Du reste, il l’exilera.
Sources : Le Coût de la Révolution française (René Sédillot, Perrin, 1987).
Divorce et prostitution légaux
La Révolution institue le divorce le 20 septembre 1792, modifiant ainsi la perception du couple et de la vie sexuelle. En même temps, on fait la dissociation juridique entre le mariage civil et le mariage religieux.
Les femmes semblent désormais libres de leurs actes et se marient puis divorcent tout aussi vite en ce temps.
La Révolution légalise également la prostitution (ce qui doit fortement déplaire à Robespierre). En 1792 paraît en effet l’Almanach des demoiselles de Paris, de tout genre et de toutes les classes, ou Calendrier du plaisir, contenant leurs noms, demeures, âges, taille,, figures et leurs autres appas ; leurs caractères, talents, origines, aventures, et le prix de leurs charmes.
La prostitution sera rayée par Napoléon qui veut une France vertueuse.
La Révolution élève la maternité en vertu civique
La Révolution blâme autant Marie-Antoinette que Manon Roland ou Olympe de Gouges, condamnées en tant que contre-révolutionnaires et en tant que fausses femmes car mauvaises mères, la maternité étant alors quasiment élevée au rang d’institution pour fournir une armée de citoyens…
Le Moniteur universel écrit, dans un article titré « Aux Républicaines », le 19 novembre 1793 : « En peu de temps le tribunal vient de donner aux femmes un grand exemple qui ne sera sans doute pas perdu pour elles ; car la justice, toujours impartiale, place sans cesse la leçon à côté de la sévérité. Marie-Antoinette […] fut mauvaise mère, épouse débauchée, et elle est morte, chargée des imprécations de ceux dont elle avait voulu consommer la ruine […]. Olympe de Gouges, née avec une inspiration exaltée, prit son délire pour une inspiration de la nature […]. La femme Roland, bel esprit à grands projets, philosophe à petits billets, reine d’un moment […], fut un monstre sous tous les rapports […]. Cependant elle était mère, mais elle avait sacrifié la nature, en voulant s’élever au-dessus d’elle ; le désir d’être savante la conduisit à l’oubli des vertus de son sexe, et cet oubli, toujours dangereux, finit par la faire périr sur l’échafaud. »
Être enceinte en prison sous la Révolution
Les femmes enceintes ont le droit d’accoucher avant d’être guillotinées. Bien entendu, certaines mentent.
« C’était à l’Évêché [prison] qu’on envoyait les condamnées qui faisaient une déclaration de grossesse. Les médecins, assistés de la citoyenne Prioux, sage-femme, dressaient un procès-verbal dont les conclusions étaient soumises à l’accusateur public. Si elles étaient défavorables, on passait outre, et le bourreau remplissait son office. Si les condamnées étaient reconnues être en état de grossesse, on accordait aux futures mamans un sursis jusqu’à l’accouchement. Puis on envoyait l’enfant à peine dans les langes à l’hospice, et la mère, toute chancelante encore, à l’échafaud, c’est dire assez que nous touchons ici aux plus grands crimes de la Révolution, à des crimes qui resteront une souillure à l’honneur de la République. »
Sources : Max Billard, Les Femmes enceintes devant le Tribunal révolutionnaire (1911), cité par Gonzague Saint-Bris in Déshabillons l’Histoire de France (XO Éditions, 2017).
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Date de dernière mise à jour : 13/03/2018