Instruction des femmes
Etat des lieux
Par-delà les débats et les projets, quel était dans les faits le degré d'instruction des femmes des Lumières ? À la fin du 17e siècle, 14 Françaises sur 100 savaient signer ; cent ans plus tard, la proportion a presque doublé (27).
Il faut tenir compte des disparités régionales. Ainsi, dans la France du Sud, au sud de la fameuse ligne Saint-Malo-Genève, l'alphabétisation générale est inférieure à la moyenne nationale.
Si les parents sont acquis aux idées du siècle, la jeune fille pourra bénéficier d'une excellente éducation familiale plutôt que d'aller dans un de ces couvents à juste titre décriés. On a l'exemple d'une Victorine de Chastenay qui reçoit des leçons d'histoire, de géographie, de grammaire, d'arithmétique, de latin et d'anglais. La musique, le dessin et le catéchisme complètent ce programme. Elle se considère comme une « jeune philosophe à qui la parure, les plaisirs légers, les vains amusements importent peu » face à la lecture et à l'étude.
Ces femmes de culture sont de grandes lectrices : romans à la mode, auteurs classiques, traités d'éducation, revues, pamphlets politiques, écrits philosophiques ou livres d'histoire, rien ne leur échappe. Leurs lettres fourmillent de comptes rendus du dernier ouvrage lu, des réflexions qu'il leur inspire. Cependant, la femme qui lit est facilement considérée comme une pédante orgueilleuse ou une paresseuse car elle transgresse son rôle traditionnel.
Elles écrivent beaucoup : correspondances, notes de lecture, traductions personnelles d'un auteur antique ou étranger, journal intime. Certaines passent à la publication, souvent en restant dans l'ombre de l'anonymat ou d'un pseudonyme. D'autres n'hésitent pas à affronter l'opinion : Les ouvrages de Mme de Genlis ou de Mme d'Épinay font alors référence en matière d'éducation. Mme du Châtelet, par ailleurs traductrice de Newton, publie des Institutions de physique. Et n'oublions pas les difficultés rencontrées par Olympe de Gouges pour se faire accepter comme dramaturge à Paris dans les années 1780.
Sources : L'Homme des Lumières, collectif sous la direction de Michel Vovelle (Seuil, 1996).
Allons plus loin
On note la parution de nombreux traités pédagogiques. Ils ne sont pas tous à l'intention des femmes mais on peut citer :
- Emile (Rousseau). La part faite à sa compagne Sophie est surprenante...
- Projet pour perfectionner l'éducation (abbé de Saint-Pierre, 1728)
- Traité des études (Rollin, 1726-1728)
- Avis d'une mère à son fils, Avis d'une mère à sa fille (Mme de Lambert, 1728)
- Lettres à mon fils (1758), Les Conversations d'Emilie (1774) de Mme d'Epinay
- Traité de l'éducation corporelle des enfants en bas âge (C. Desessarts, 1760)
- Le Magasin des enfants (1757), Le Magasin des adolescents (1760), Le Mentor moderne (1772), Le Nouveau magasin français (1780) de Mme Leprince de Beaumont
- Adèle et Théodore ou Lettres sur l'éducation (Mme de Genlis, 1782).
Diderot, qui a fait paraître un Essai sur les femmes en 1772, s'est occupé de l'éducation de sa fille et Voltaire de celle de Mlle Corneille. Restif de la Bretonne publie La Femme dans les trois états de fille, d'épouse et de mère en 1773. Laclos écrit également sur l'éducation des femmes.
Rions un peu
L'orthographe, non encore vraiment fixée, est souvent déficiente. J'en veux pour preuve cette lettre d'une des filles du Régent à son père : «Avant iere le roy, la Raine et le prince me vinre voire et je n'étoie pas encore arivée ici ; le lendemein ji arriver et je fut marié le même jour, cepandant, ili a eu aujourduit encore des ceremonie à faire. Le Roy et la Reine me traite fort bien, pour le prince vous en avés acé oui dire. Je suis avec un tré profond repec Votre trè heumble et trè obissante file Louise Elisabeth. » (sic)
Et, pour le plaisir, ces lignes écrites par la comtesse d'Uzès le 3 mars 1733 au lieutenant de police : « Lesesimement que ma cause la venture qui mes arrive ce matin menpeuche davoire lhonneur de vous voire.Jay prie un second laquet qui pour premier propos ma saute au coup... » (sic)
Et comment ne pas sourire lorsqu'on lit dans l'Encyclopédie ces lignes concernant la bonne position pour écrire : « Lorsqu'elles - les filles - sont assises sur une siège proportionnel à leur grandeur naturelle et à leur table, il faut qu'elles tiennent le corps droit, et que les épaules soient élevées à la même hauteur. Que leurs bras à une égale distance du corps n'avancent dur la table que des deux tiers de l'avant-bras, et que l'autre tiers la déborde. Que le corps ne la touche point et en soit éloigné d'un travers de doigt. Que leur tête, qui ne doit incliner d'aucun côté, soit un peu baissée sur le devant, de manière que les yeux se fixent sur le bec de la plume pour conduire tous les mouvements qu'elle fera sur le papier, lequel doit être positivement en face de la tête, et que les doigts de la main gauche dirigent en le tenant par en bas. Que les jambes posent toutes deux à terre vis-à-vis le corps, qu'elles soient un peu éloignées l'une de l'autre et que leurs pieds soient tournées en dehors. »
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