Lumières
Introduction
Le terme « Lumières » désigne métaphoriquement le mouvement intellectuel qui naît en Europe au 18e siècle. La métaphore évoque le passage de l’obscurité de la nuit à la lumière d’un jour nouveau, c’est-à-dire d’une société qui repose sur la tradition et la référence aux textes sacrés à une société qui privilégie la connaissance rationnelle et l’esprit critique. « Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières », écrit Kant.
Le mouvement des Lumières commence à la mort de Louis XIV, notamment avec Montesquieu et ses Lettres persanes (1721) et connaît son apogée durant les années 1750-1772 avec la publication de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (entre autres), la plus vaste entreprise éditoriale du siècle. Après Fontenelle, Bayle et Montesquieu au début du siècle, l’Encyclopédie, œuvre collective, couronne cette entreprise de reconstruction du monde : Diderot, Voltaire, Rousseau, d’Holbach et bien d’autres y apportent leur contribution. Le but est de mettre à la portée d’un large public (toutes proportions gardées, car les nombreux volumes coûtent fort cher, sans parler des planches), du moins des têtes pensantes de la République des Lettres, entité européenne, la somme des sciences et des idées nouvelles qui renversent les préjugés au nom de la raison.
Découvrir l'Encyclopédie ici
http://enccre.academie-sciences.fr/ice/
ou
https://lejournal.cnrs.fr/articles/lencyclopedie-a-portee-de-clic
Ainsi, après l’humaniste du 16e siècle et l’honnête homme du 17e siècle, le philosophe devient l’idéal à prendre pour modèle.
On trouvera ici une bibliographie sur les Lumières afin de creuser certaines notions.
Une citation : "Le prochain siècle sera de jour en jour plus éclairé ; en comparasion, tous les siècles précédebnts ne seront que ténèbres." (Pierre Bayle, 1647-1706)
Contexte social
On assiste au 18e siècle à une profonde transformation de la vie culturelle : une véritable opinion publique se constitue, indépendante du pouvoir politique en place. Ce phénomène ne concerne évidemment pas le peuple, trop peu alphabétisé.
Écrire tend à devenir une profession indépendante. De plus en plus de d’écrivains, comme le dramaturge Beaumarchais, luttent pour faire reconnaître leurs droits. Certains parviennent à vire de leur plume (Voltaire), ce qui garantit l’indépendance de leur pensée.
Le livre a une plus large diffusion : le nombre d’ouvrages et le nombre d’exemplaires pour chaque ouvrage augmente considérablement. On voit apparaître des exemplaires brochés (comme ceux de la Bibliothèque bleue) qui circulent dans les couches sociales moins favorisées depuis le siècle précédent et perdureront jusqu'au 19e siècle.
Les lieux de rencontre et d’échange d’idées entre personnes cultivées se multiplient, autant dans la sphère privée (par exemple le salon de Mme du Deffand ou celui de Mme Geoffrin) que dans la sphère publique (cafés comme le café de la Régence évoqué par Diderot au début du Neveu de Rameau, ou clubs à la mode anglaise).
Les gazettes et les périodiques prennent le relais des conversations : les débats d’idées sortent ainsi du milieu restreint des salons privés. Le premier quotidien en France, Le Journal de Paris, paraît en 1777.
La correspondance a également une large place dans la diffusion des idées nouvelles, à l’intérieur et à l’extérieur du territoire français. Elle prolonge par écrit les conversations. Voltaire écrit plus de vingt mille lettres à plus de sept cents destinataires différents, parmi lesquels Catherine II, impératrice de Russie, et Frédéric II de Prusse.
Les conversations trouvent un écho dans la littérature sous la forme de dialogues philosophiques. Diderot affectionne ce genre : Supplément au voyage de Bougainville, Le Neveu de Rameau, Entretiens avec d’Alembert (1760), Jacques le Fataliste (1763). Il faut ajouter ses Pensées philosophiques. Quant à Voltaire, il est le spécialiste des contes philosophiques. On note donc un renouvellement des thèmes et formes littéraires. Les ouvrages deviennent une arme au service de la vulgarisation des idées et de nouveaux genres apparaissent. C'est surtout Diderot qui remet en cause les règles classiques qui séparent les genres au théâtre et crée le drame bourgeois. Rousseau écrit la première autobiographie. Par ailleurs, la littérature des Lumières n’est pas seulement une littérature d’idées : la sensibilité préromantique s’épanouit dans le roman : La Nouvelle Héloïse, Paul et Virginie, Manon Lescaut, pour ne citer qu’eux.
Donc, la philosophie des Lumières ne constitue pas un système de pensée élaboré par un seul auteur de référence mais un mouvement qui regroupe des intellectuels de formations diverses et partageant des valeurs communes. Les collaborateurs de l’Encyclopédie viennent de tous les horizons : d’Alembert est mathématicien, Buffon biologiste, Montesquieu juriste, Voltaire et Diderot sont avant tout des écrivains. Tous partagent les mêmes convictions fondamentales mais chacun a une personnalité marquée : en matière de religion, Voltaire est déiste, Diderot et Helvétius sont matérialistes (proches de l’athéisme). Le plus connu pour son engagement est Voltaire (affaire Calas), mais tous sont, à leur façon, des militants.
Les valeurs communes aux philosophes des Lumières
* Le rejet du despotisme et de l’Église qui imposent des préjugés aux peuples pour mieux les soumettre à leur pouvoir.
Les philosophes sont favorables à une monarchie éclairée, constitutionnelle et portent un regard bienveillant sur les autres monarchies : Voltaire écrit ses Lettres anglaises dites encore Lettres philosophiques après son exil en Angleterre ; il séjourne également en Prusse en 1750, Diderot à la cour de Russie en 1773. Montesquieu prend pour modèle la monarchie anglaise. On parle des « despotes éclairés » (Catherine II, Frédéric II, Joseph II).
Le peuple est jugé trop ignorant pour participer au pouvoir. Seul Rousseau développe l’idée de la souveraineté populaire (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité). Ils combattent en faveur de la tolérance et pour la liberté de culte en matière de religion sauf peut-être Rousseau avec sa Lettre à Voltaire sur la Providence.
On se dirige vers une religion « raisonnable », c’est à dire purifiée de tout fanatisme et vers une morale de plus en plus laïque : on se met à penser que le goût de l’honneur peut aussi bien que l’amour de Dieu guider les actions des hommes vers le Bien. Certains, comme d’Holbach, vont jusqu’à l’athéisme mais la plupart des « philosophes » restent croyants tout en dénonçant le fanatisme religieux : on peut citer à cet égard le fameux texte de Fontenelle « La dent d’or ». À la religion, on reproche son intolérance, ses superstitions, ses abus commis par un clergé plus soucieux de richesse que de valeurs morales.
Il faut insister sur Voltaire et son Poème sur le désastre de Lisbonne (1763), inspiré par le tremblement de terre meurtrier, où il rejette la Divine Providence : comment concilier en effet bonté divine et existence du mal ? Les réponses des théologiens (c’est la punition des péchés), des matérialistes (c’est ainsi, la nature aide à la propagation de l’espèce sans s’occuper de l’individu) et des philosophes de l’optimisme (le mal dans sa particularité n’empêche pas la bienveillance générale du Créateur et « tout est bien dans le meilleur des mondes », selon la formule de Pangloss raillée par l’auteur de Candide) ne lui donnent pas satisfaction.
* La confiance en la raison humaine
Progrès scientifiques et techniques, relativité des civilisations, excès de l’absolutisme de Louis XIV conduisent les intellectuels à pratiquer systématiquement l’esprit d’examen et à contester les fondements de la société. Les philosophes cherchent à développer par tous les moyens l’esprit critique de leurs contemporains : contes philosophiques de Voltaire ou articles de l’Encyclopédie où le lecteur doit savoir déchiffrer les idées subversives que cachent certains articles apparemment anodins (système de renvois). Ils condamnent la censure et affirment le droit la liberté d’expression, facteur de progrès social.
Retenons ici cette phrase du Discours sur les sciences et les arts de Rousseau, qui résume bien l'esprit philosophique du siècle des Lumières : « C'est un grand et beau spectacle de voir l'homme sorti en quelque manière du néant par ses propres efforts, dissiper, par les lumières de sa raison, les ténèbres dans lesquelles la nature l'avait enveloppé. » En effet, « l'astronomie est née de la superstition [l'astrologie] ; l'éloquence, de l'ambition, de la haine, de la flatterie, du mensonge ; la géométrie de l'avarice ; la physique, d'une vaine curiosité ; toutes, et la morale même, de l'orgueil humain. Les sciences et les arts doivent leur naissance à nos vices. »
* La foi dans le progrès de l’humanité
Les philosophes des Lumières croient en effet au progrès : l’homme, pensent-ils, a son avenir entre ses mains (Voltaire, Candide, « Il faut cultiver son jardin. »). L’amélioration de la condition humaine dépend donc de la diffusion des idées philosophiques dans la société et du développement d’une économie libérale à visage humain (refus de l’esclavage). La Théodicée de Leibniz, philosophie optimiste, est caricaturée dans Candide (Voltaire).
Les philosophes reconnaissent à l’être humain le droit à un bonheur immédiat, conforme à la nature, qui est un épanouissement à la fois individuel et collectif. Ils réhabilitent le plaisir. Leurs idées vont donc à l’encontre de la religion chrétienne qui voit dans la vie terrestre une preuve et une purification par la souffrance. Mme du Châtelet, amie de Voltaire, écrit également un Discours sur le bonheur. Il faut citer aussi Condillac et La Mettrie (bonheur des sensations immédiates).
* Le thème de la liberté est omniprésent : le développement de la liberté économique qui se manifeste par la montée de la bourgeoisie et l’enrichissement des négociants (la carrière d’homme d’affaires de Beaumarchais) ainsi que la recherche d’une plus grande liberté politique entraînent dans leur sillage la liberté de pensée et de dire malgré la censure, les autodafés et les mesures d’exil. L’expression rencontre en effet maints obstacles : écrire est un combat et les auteurs risquent leur liberté. Ce mouvement libertaire gagne également les mœurs et la littérature dite libertine.
* On note une attirance très forte pour la science : ainsi, Montesquieu est considéré comme le fondateur de la sociologie. Son oeuvre est très variée ; il écrit d’abord des traités sur, par exemple, l’écho, puis un texte satirique, et son oeuvre majeure en 1748, L’Esprit des lois. Autre personnalité scientifique importante, Buffon ouvre les portes de la biologie avec ses trente-six volumes de L’Histoire naturelle.
Dans ce laboratoire d’idées nouvelles, les débats sont vifs : déisme ou athéisme ? Contrat social qui associe le peuple au pouvoir (Rousseau) ? Despotisme éclairé (Voltaire) ? Nature bonne et civilisation dépravée (Rousseau) ou bien glorification du confort et de la prospérité (Voltaire) ?
Mais...
Les Lumières ? Oui, mais elles ont aussi leur part d’ombre. Montesquieu en a conscience dès 1721 dans les Lettres persanes : implicitement, il dresse le portrait de ces hommes éclairés et enthousiastes, tels le Persan Usbek, qui prônent une libération de la société mais incapables, dans leur vie privée, de comprendre le besoin d’émancipation de leurs épouses (Roxane), libéraux en public mais despotiques chez eux. Même chose pour les contradictions que l’on retrouve dans la vie et l’œuvre de Voltaire et Rousseau. En 1784, Mendelssohn publie « Que signifie éclairer ? » Il répond : « L’abus des Lumières affaiblit le sens moral, conduit à la dureté, l’égoïsme, l’irréligion et l’anarchie. »
Sources du paragraphe : Les 100 mythes de la culture générale, Éric Cobats, PUF « Que sais-je », première édition 2010.
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Date de dernière mise à jour : 12/07/2021