Cour de Louis XV
Dans son ouvrage Louis XV et sa cour (P.U.F., 2002), Bernard Hours fait part des difficultés à cerner le règne de de Louis XV. Pourquoi ?
L'auteur fait part de l'un des axiomes de l'Histoire de France : il y a deux Louis XV, le personnage privé et le personnage public, ce qui en fait un monarque déroutant. Il semble que le personnage privé l'emporte en intérêt : de son temps, il est critiqué par les courtisans car il ne prend pas comme favorites des femmes de qualité, sauf les sœurs de Nesle, en sa jeunesse. Le voilà qui se démarque donc de son prédécesseur.
De ce fait, le discrédit porté sur la vie privée du roi rejaillit sur le 18e siècle où le terrain de la cour est souvent occupé par la « petite histoire ». L'histoire politique et l'histoire culturelle ont imposé l'idée que les évolutions essentielles ne passent plus par Versailles.
L'immédiateté de nombreux Mémoires prouve aisément l'authenticité des témoignages. Le problème n'est pas que l'on utilise les témoignages de contemporains, il est dans la façon dont on le fait : on choisit tel témoignage lacunaire et partiel, on puise ce qui convient à chacun, comme pour écrire une biographie du siècle, parfaitement subjective, en parallèle avec le déclin de l'histoire sérielle et quantitative.
Il faut donc trouver une méthode d'utilisation de ces Mémoires. Avant d'extraire des citations, il faut objectiver le discours du mémorialiste comme le support d'une représentation du monde. Pour chaque œuvre, il est bon de répondre à cinq questions : qui parle ? quand ? d'où ? comment ? pourquoi ?
Voici un bref aperçu de mémorialistes du milieu du 18e siècle : Journal et Mémoires du marquis d'Argenson, Chroniques de la régence et du règne de Louis XV de Barbier, Mémoires de la cour de Louis XV (1735-1758) du duc de Luynes, Journal inédit du duc de Croÿ, Mémoires de Marmontel, Mémoires de Madame du Hausset, Mémoires secrets de Duclos, Mémoires du baron de Besenval.
Ces ouvrages qui correspondent à la décennie 1750-1760 sont précisément d'excellentes sources car c'est à ce moment que se nouent les grands problèmes avec le renversement des alliances suivi de la Guerre de Sept Ans qui se termine par le Traité de Paris en 1763.
Outre la politique extérieure en effet, c'est l'époque des grands affrontements entre encyclopédistes et apologistes catholiques qui défendent vivement le Journal de Trévoux. À la suite de la parution de L'esprit, Helvétius est obligé de se rétracter en 1758 sur ordre de la reine. En mars 1759, un arrêt du conseil du roi révoque le privilège de l'Encyclopédie.
On note en même temps une évolution, voire un déclin de la cour ; les critiques vont bon train et des études sur la notion de politesse mettent en évidence le passage de l'idéal du courtisan à un autre, plus universaliste.
Le rôle de l’anecdote
On traite souvent les anecdotes de détails secondaires. Mais le récit anecdotique est porteur d'un sens qui transcende l'apparente vanité du propos. Les petits faits qui touchent au pouvoir sont rarement anodins. Moins complexes que le grand jeu politique, ils n'en sont pas moins significatifs car ils donnent à lire, dans une trame simplifiée, les modalités d'exercice et de manifestation du pouvoir qui n'existera jamais qu'en actes. Ils ont également une valeur métaphorique en raison du décalage entre la gravité des enjeux réels et le caractère superficiel et sans conséquence apparente de l'épisode relaté.
Les apparences ont pu tromper les contemporains toujours en quête d'une explication d'autant plus opératoire qu'elle est réductrice. L'anecdote est récit. On pourrait répéter une fois de plus qu'elle nous instruit autant sur le narrateur lui-même que sur son objet. Mais le regard du narrateur a été lui-même attiré et orienté. Il ne pourra jamais raconter que le spectacle qu' « on » lui a donné et exprime l'intentionnalité qui organise l'événement : à la cour, il faut savoir décrypter le message du roi pour tenter d'approcher un autre pouvoir qui sait jouer du secret, celui de Louis XV.
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