Victoire de France gourmande
Sophie, Louise et Victoire, Mesdames, filles de Louis XV (1), passèrent dix ans à l'abbaye de Fontevrault. Louis XV fit faire leurs portraits par Nattier en 1747-1748. Pierre de Nolhac, longtemps conservateur du musée de Versailles, décrit Mme Victoire en ces termes :
« Ses yeux sombres ont une douceur inquiétante ; la longue frange de cils ombre ses joues ; la bouche est sensuelle, le menton étroit, le front large ; les cheveux noirs s'harmonisent au teint mat et doré. La robe brodée d'or, l'écharpe de soie jaune, les dentelles blanches semblent parer un corps voluptueux. » (Source de la citation : Bruno Cortequisse, Mesdames de France (Perrin, 2010).
Comme ses sœurs, elle vieillit mal et s'empâte rapidement. Il faut dire que la gourmandise est son péché mignon contre lequel elle lutte lors du Carême où l'on doit « faire maigre ». Mme Campan (lectrice de Mesdames) raconte dans ses Mémoires :
« Madame Victoire n'était point insensible à la bonne chère, mais elle avait les scrupules les plus religieux sur les plats qu'elle pouvait manger au temps de la pénitence. Je la vis un jour très tourmentée de ses doutes sur un oiseau qu'on lui servait souvent pendant le Carême. Il s'agissait de décider irrévocablement si cet oiseau était maigre ou gras. Elle consulta un évêque qui se trouvait à son dîner ; le prélat prit aussitôt le son de sa voix positif, l'attitude grave d'un juge en dernier ressort. Il répondit à la princesse qu'il avait décidé, qu'en un semblable doute, après avoir fait cuire l'oiseau, il fallait le piquer sur un plat d'argent très froid ; que si le jus de l'animal se figeait dans l'espace d'un quart d'heure, l'animal était réputé gras ; que si le jus restait en huile, on pouvait le manger en tout temps sans inquiétude. Madame Victoire fit aussitôt faire l'épreuve, le jus ne se figea point ; ce fut une joie pour la princesse qui aimait beaucoup cette espèce de gibier. Le maigre qui occupait tant Mme Victoire l'incommodait, aussi attendait-elle avec impatience le coup de minuit du samedi saint ; on lui servait aussitôt une bonne volaille au riz et plusieurs autres mets succulents. Elle avouait avec une si aimable franchise son goût pour la bonne chère et pour les commodités de la vie, qu'il aurait fallu être aussi sévère en principes qu'insensible aux excellentes qualités de cette princesse, pour lui en faire un crime. »
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Notes
(1) Sauf Adélaïde, la fille préfére du roi.
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