Nouvelle cuisine au 18e siècle
En titrant son ouvrage Le Cuisinier moderne (1735), Vincent La Chapelle annonce une volonté de rupture avec la cuisine des décennies précédentes. En son temps, certes, l’ouvrage de La Varenne Le Cuisinier français (1651) avait ouvert une nouvelle ère culinaire. Mais dans les années 1730, un vent de modernité souffle.
La Chapelle écrit notamment : « Son art, comme tous les autres, étant sujet au changement, le cuisinier de génie inventera de nouveaux mets délicats pour flatter le palais de ceux qui l’emploient : car si l’on garnit la table d’une grand selon le goût qui prévalait vingt ans plus tôt, quoique conforme aux principes établis à ce temps, elle ne plaira point à l’invité. »
Peu à peu se forge le concept de « nouvelle cuisine » que Menon formalise en 1742 dans le troisième volume de son Nouveau Traité de la cuisine.
Les Dons de Comus, Marin
En 1739 paraissent Les Dons de Comus (avec comme sous-titre Les délices de la table, ouvrage non seulement utile aux officiers de bouche, mais principalement à l’usage des personnes qui sont curieuses de savoir donner à manger et d’être servies délicatement tant en gras qu’en maigre suivant les saisons et le goût nouveau) de François Marin.
Exemples pour sourire : « Prenez des alouettes bien grasses que vous désossez le mieux que vous pouvez. Prenez autant de coquilles d’œuf que vous videz sans casser le dessus. Mettez vos alouettes dedans. Recouvrez et soudez le dessus. Faites-les cuire dans un coquetier au bain-marie. » (???) ou encore : « Accommodez six pigeons, troussez-les en dedans. » (???)
Voici ce qu’on lit dans les « Avertissements » : « Il y a cependant plus de deux siècles qu’on connaît la bonne chère en France, mais on peut assurer sans prévention, qu’elle n’a jamais été si délicate, ce qu’on n’a point encore travaillé, ni si proprement, ni d’un goût si fin. On distingue aujourd’hui chez les gens du métier et chez les personnes qui se piquent d’avoir une bonne table, la cuisine ancienne et la cuisine moderne. La cuisine ancienne est celle que les Français ont mise en vogue par toute l’Europe, et qu’on suivait généralement il n’y a pas encore vingt ans. La cuisine moderne établie sur les fondements de l’ancienne, avec moins d’embarras, moins d’appareil, et avec autant de variété, est plus simple, plus propre, et peut-être encore plus savante. »
En fait, on ne peut pas vraiment parler de rupture entre les deux cuisines puisque l’ancienne reste la base de la nouvelle. Mais pour les auteurs de l’époque, la cuisine moderne est une « espèce de chimie ». C’est la recherche de l’infiniment petit, de la quintessence, de la substance la plus pure, du « suc vital » des aliments, car la science du cuisinier consiste à « décomposer, à faire digérer et à quintessencier des viandes, à tirer des sucs nourrissants et légers, à les mêler et les confondre ensemble, de façon que rien ne domine et que tous se fassent sentir », afin d’atteindre « l’harmonie de tous les goûts réunis ensemble. » Cette perfection culinaire renvoie à l’alchimie. Le cuisinier des Lumières devient un médecin qui agit sur la santé de ses convives, en rendant la nourriture plus digeste et plus saine. Par son action, il dépouille l’aliment de son côté terrestre ; d’une certaine façon, il le spiritualise en le débarrassant de ses impuretés.
Les traités de cuisine témoignent de la montée de la bourgeoisie dans la société française. Dès la fin du 17e siècle, la cuisine bourgeoise prend son essor : en 1691, Le Cuisinier royal et bourgeois de François Massialot, fut le deuxième best-seller après Le Cuisiner français (La Varenne) sans cesse réédité jusqu’au milieu du 18e, et confirme l’intérêt que cette classe sociale porte à la cuisine de cour. L’auteur fut un grand innovateur en matière de desserts : meringues et crème brûlées. Et c’est dans son ouvrage qu’apparaît pour la première fois l’ingrédient essentiel à tout dessert un peu raffiné : le chocolat. Massialot proposait une recette de « crème de chocolat ». On commença à utiliser la glace, à confectionner des sorbets et des crèmes glacées. On doit à La Chapelle la première recette de crème glacée au chocolat, en 1735. « Ce livre ne sera pas inutile dans les maisons bourgeoises, où l’on est réduit à peu de choses », écrit Massialot dans sa préface. Ses lecteurs trouveront « mille manières de choses assez communes », tels poulets, pigeons et viande de boucherie.
Il faut cependant attendre un demi-siècle pour disposer d’un Abrégé de la cuisine bourgeoise, qui est un chapitre de la Suite des dons de Comus (1742), de Marin. L’auteur y propose trente-neuf recettes.
Quatre ans plus tard paraît le premier livre qui s’adresse explicitement au public bourgeois : La Cuisinière bourgeoise (1746) de Menon : un énorme succès réédité d’ailleurs au milieu du siècle suivant. « Ce livre ne sera pas inutile dans les maisons bourgeoises, où l'on est réduit à peu de choses », écrit Massialot dans sa préface. Ses lecteurs trouveront « mille manières de choses assez communes », tels poulets, pigeons et viande de boucherie. Mme de la Tour du Pin nous dit dans ses Mémoires qu'elle emporta l'ouvrage dans ses bagages lors de son émigration en Amérique et s'en servit pour cuisiner ses coqs d'Inde...
C’est la reconnaissance d’une cuisine bourgeoise qui se construit par rapport au modèle aristocratique.
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Date de dernière mise à jour : 24/11/2023