Les premiers cafés
Cafés divers
[La gravure ci-contre représente le café Procope au 18e siècle. Au second plan, de gauche à droite : Condorcet, La Harpe, Voltaire et Diderot].
Le café est une denrée coloniale, donc chère. Cependant, on le déguste de plus en plus souvent dans de nouveaux endroits baptisés… « Cafés ».
Le Café de la Régence, au Palais-Royal, est mis à la mode par Diderot. Il n'a rien d'extraordinaire : longue salle au plafond bas, quelques lustres et miroirs modestes. Mais c’est le rendez-vous des joueurs d’échec de la capitale : Philidor (compositeur d’opéras-comiques), Rousseau, Diderot. Ce dernier y rencontre un jour un singulier personnage, un soi-disant neveu de Rameau (le musicien), dont il parle en ces termes : « Un après-dîner, j’étais là, regardant beaucoup, parlant peu et écoutant le moins que je pouvais, lorsque je fus abordé par un des plus bizarres personnages de ce pays où Dieu n’en a pas laissé manquer […]. » (Le Neveu de Rameau)
Le Café Procope est fréquenté par tous. Il tire son nom de son fondateur, Francesco Procopio dei Coltelli, un Sicilien. Notons que l’apparition des cafés concorde avec celle des quotidiens. Le Procope vient tout juste d’ouvrir (à la fin du 17e siècle) quand le premier quotidien français, le Journal de François Colleret, appelé ainsi parce qu’il relate « l’histoire de chaque jour » paraît le 27 juin 1676 ; ce quotidien ne survit qu’une semaine. En 1686, le Procope commence à afficher les nouvelles du jour sur un bulletin accroché au niveau des fourneaux qui servent à faire bouillir l’eau. Par ailleurs, des vendeurs de journaux font le tour des cafés avec notamment le premier journal de mode, Le Mercure galant. Chez Procope, il est interdit de fumer, l’on n’y sert pas de bière, le café est servi dans des cafetières en argent, les tables sont en marbre, des lustres sont suspendus au plafond et il y a des miroirs. Y fréquentent notamment Fontenelle, Duclos, Voltaire, Diderot, Marmontel et bien d'autres. Après la rue de Tournon, Procope s’installe rue des Fossés-Saint-Germain, actuellement rue de l’Ancienne-Comédie, où l’établissement se trouve encore : c’est actuellement le plus vieux café du monde en exercice.
Procope propose diverses manières de déguster le café : infusion à froid, café bouilli sans être grillé, autoclave… Brillat-Savarin préconise la préparation « à la Dubelloy » qui consiste à verser de l’eau bouillante sur les grains concassés mis dans un vase de porcelaine ou d’argent percé de très petits trous. On prend cette première décoction, on la chauffe et on obtient un café aussi clair et bon que possible. Mais on prépare le plus souvent le café à la turque : on ajoute une once de café à un demi-litre d’eau, et on fait bouillir le mélange dix fois. Ensuite, on le passe avant de le servir. Ce n’est qu’autour de 1760 que l’on se met à infuser le café. Les Parisiens peuvent aussi se procurer cette boisson à la mode auprès de vendeurs ambulants vêtus « à l’arménienne » qui proposent leur breuvage, contenu dans un pot ventru et réchauffé sur un petit réchaud, dans une tasse commune.
Citons également le Café Gradot (situé quai des Écoles, beaucoup moins clinquant et fréquenté par les savants comme Maupertuis), le Café de la veuve Laurent, le Café de Chartres ou le Café Militaire du Palais-Royal qui date de 1762 et dont Fréron parle de l’inauguration dans L’Année littéraire : les boiseries y sont de Ledoux selon un style néo-classique et un retour à l’antique assez nouveau. On peut prendre une limonade ou une bavaroise au « rhum des Isles » au Café De Foye sis au Palais-Royal qui bénéficie d’un petit pavillon de dégustation sur l’allée.
En 1715 il y a entre 300 et 350 cafés à Paris. On s’accorde à dire que le luxe est le secret de leur réussite. En 1759, le Dictionnaire universel du commerce déclare que « quasiment tous les cafés parisiens sont somptueusement décorés. » Les femmes n’hésitent pas à s’y rendre seules car ils ont une aura de respectabilité et de bonne tenue. Au fil du temps, les cafés envahissent la ville : en 1728 il y en a 380, en 1788 on en compte 1800, et 4000 en 1807.
Tous ces cafés proposent également des pâtisseries, préparées sur place ou en provenance de boutiques spécialisées, des glaces et des sorbets aux parfums surprenants : sorbets au musc ou à l’ambre, crème glacée aux œillets. On y déguste aussi du chocolat, toujours mousseux et onctueux : on malaxe le cacao avec de la cannelle, du sucre et de la vanille et on mélange la pâte ainsi obtenue à de l’eau et du lait. On peut y consommer d’autres boissons comme du thé et des « limonades alcoolisés » (nos cocktails actuels). Prenons l’exemple du Rossoli (Rosée du soleil), la boisson préférée de Louis XIV. Pour le préparer, on fait sécher au soleil des graines de fenouil, d’anis, de coriandre, d’aneth et de carvi, puis on les fait macérer dans de l’eau-de-vie. Il y a également un cocktail appelé « Populo » : un mélange d’ambre, de poivre, de sucre, d’anis, de coriandre, d’huile de citron et d’alcool. Lorsque l’huile de citron est teintée de rouge grâce à des cochenilles séchées, le Populo devient « l’Élixir de l’amour parfait ». Dans la même veine, on trouve « l’Huile de Vénus », un mélange d’eau de cannelle, d’eau d’œillet, de vanille et de sucre, très apprécié des dames. N’oublions pas que les eaux utilisées ont été distillées dans de l’eau-de-vie ou du vin et ont vieilli pendant dix ans, ce qui en fait des boissons très fortes.
Ces cafés élégants sont très chers. Une tasse de café coûte deux sous et demi, soit un peu plus de 6 euros, à une époque où une livre de viande chez le meilleur boucher coûte tout juste le double.
Remarque 1
C'est à Londres que le premier café a été fondé en 1650. Depuis, ces établissements se sont multipliés au point de devenir de véritables institutions. L’on en trouve un ou deux dans chaque quartier ou presque. On s’y rend afin d’apprendre les dernières nouvelles, d’y lire les gazettes, d’y rencontrer des amis ou des relations d’affaires, d’y prendre le courrier qu’on préfère ne pas se faire adresser chez soi ou, tout simplement afin d’y passer le temps. Certains cafés londoniens s’efforcent d’attirer les clients par la beauté de leurs serveuses, sinon leurs complaisances. Le Saint-James, situé près du palais royal, jouit de sa réputation pour des raisons plus solides : on y rencontre courtisans et commis de ministères et on y glane des nouvelles. On fréquente le Lloyd’s pour se tenir informé des nouvelles maritimes ; au Jonathan’s se réunissent banquiers et négociants ; Garraway’s s’enorgueillit de servir le meilleurs vins de Londres. Child’s est le rendez-vous préféré des savants et des philosophes, de même que Will’s attire les poètes et les littérateurs, surtout les satiriques. Paris suivra ce modèle en se spécialisant dans sa clientèle.
Sources : Du style, Joan DeJean.
Remarque 2
Dans les Lettres persanes, Montesquieu trace ce tableau des cafés de Paris (lettre XXXVI) : « Le café est très en usage à Paris ; il y a un grand nombre de maisons publiques où on le distribue. Dans quelques-unes de ces maisons, on dit des nouvelles ; dans d'autres, on joue aux échecs. Il y en a une [allusion probable au Procope] où l'on apprête le café de telle manière qu'il donne de l'esprit à ceux qui en prennent : au moins, de tous ceux qui en sortent, il n'y a personne qui ne croie qu'il en a quatre fois plus que lorsqu'il y est entré. »
Remarque 3
Dans ses Tableaux de Paris, Sébastien Mercier écrit : « On courtise les cafetières : toujours environnées d'hommes, il leur faut un plus haut degré de vertu, pour résister aux tentations fréquentes qui les sollicitent. Elles sont toutes fort coquettes ; mais la coquetterie semble un attribut indispensable de leur métier. »
Plus sérieusement, il décrit ainsi les cafés parisiens à la fin du siècle :
« On compte six à sept cents cafés ; c’est le refuge ordinaire des oisifs et l’asile des indigents ; ils s’y chauffent l’hiver pour épargner le bois chez eux. Dans quelques-uns de ces cafés, on tient bureau académique ; on y juge les auteurs, les pièces de théâtre ; on y assigne leur rang et leur valeur ; et les s poètes qui vont débuter y font ordinairement plus de bruit, ainsi que ceux qui, chassés de la carrière par les sifflets, deviennent ordinairement satiriques, car le plus impitoyable des critiques est toujours un auteur méprisé.
Les cabales, pour ou contre les ouvrages, s’y forment, et il y a des chefs de part qui ne laissent pas de se rendre redoutables car ils vous déchirent un écrivain qu’ils n’aiment pas, du matin au soir ; souvent, ils ne l’ont pas compris, mais ils déclament toujours ; et il faut que la réputation littéraire essuie paisiblement toutes ces bourrasques.
Dans le pus grand nombre de cafés, le bavardage est encore plus ennuyeux : il roule incessamment sur la gazette ; la crédulité parisienne n’a pas de bornes en ce genre ; elle gobe tout ce qu’on lui présente ; et, mille fois abusée elle retourne au pamphlet ministériel.
Chaque café a son orateur en chef ; tel, dans les faubourgs, est présidé par un garçon tailleur ou par un garçon cordonnier ; et pourquoi pas ? Ne faut-il pas que l’amour-propre de chaque individu soit à peu près content ? »
Le Club de l'Entresol
Créé en 1720. Y participent l’abbé Alary, son créateur (membre de l’Académie française), le marquis d’Argenson (secrétaire), l’abbé de Saint-Pierre (auteur d’un célèbre traité sur la paix perpétuelle), Montesquieu, jeunes nobles soucieux de réformes. Le club disparaît en 1731 devant l’hostilité du cardinal de Fleury.
Dans ses Mémoires, d’Argenson écrit :
« C’était une espèce de club à l’anglaise, ou de société politique parfaitement libre, composé de gens qui aimaient à raisonner sur ce qui se passait, pouvaient se réunir et dire leur avis sans crainte d’être compromis parce qu’ils se connaissaient tous les uns les autres et savaient devant qui et avec qui ils parlaient. Cette société s’appelait l’Entresol parce que le lieu où elle s’assemblait était un entresol dans lequel logeait l’abbé Alary. On y trouvait toute sorte des commodités : bons sièges, bon feu en hiver, et, en été, des fenêtres ouvertes sur un joli jardin. On n’y dînait ni n’y soupait mais on pouvait y prendre du thé en hiver, et en été de la limonade et des liqueurs fraîches. En tout temps, on y trouvait les gazettes de France, de Hollande et même les papiers anglais. En un mot c’était un café d’honnêtes gens.
On s’assemblait une fois par semaine, tous les samedis. On était ou l’on devait être en place à cinq heures, et l’on y restait jusqu’à huit. L’hiver, chacun s’en retournait chez soi avec une nouvelle curiosité. L’été, on allait en corps se promener aux Tuileries sur les terrasses ou dans quelque allée couverte et à l’écart, pendant les grandes chaleurs, confabulant [s’entretenir familièrement] volontiers de ce qui nous venait d’occuper plus sérieusement.
La conférence qui durait trois heures, était divisée en trois parties assez égales. La première comprenait la lecture de mes extraits de gazettes, la réponse aux questions et la conversation curieuse sur les nouvelles publiques, les raisonnements, les conjectures politiques, les éclaircissements que nous fournissaient principalement nos anciens ambassadeurs. Nous avions toujours un grand atlas sur la table pour suivre la position locale des événements.
La seconde heure était consacrée à suppléer par la conversation aux nouvelles écrites. On débitait sans aucune réserve et avec une entière confiance tout ce qui se disait dans le monde sur les affaires de quelque importance. Jamais cette partie de la conférence n’a cessé d’être soutenue et animé ; car la première avait mis la curiosité et le raisonnement dans une grande action, et l’on a toujours eu de la peine à terminer cette causerie pour donner place au troisième exercice.
Celui-ci consistait à lire, à peu près tour à tour, et pendant une heure, les ouvrages des académiciens sur les matières déduites ci-dessus.... »
Déjà, sous louis XIV...
Dès 1701 environ, Paris compte environ quatre cents cafés : lieux de réunion où l’in parle, discute, lit les gazettes en se délectant de ce nouveau breuvage, le café.
Louis XIV s’inquiète : les cafés, à la différence des cabarets fréquentés par les gens du peuple, attirent nobles, bourgeois et voyageurs étrangers. Ces cafés où l’on cause constituent trop souvent des centres d’opposition où l’on critique les actes et les décisions du gouvernement.
Son ministre de l’Intérieur a déjà écrit au préfet de Police :
« La Roy a été informé que, dans plusieurs endroits de Paris où l’on donne à boire du café, il se fait des assemblées de toutes sortes de gens, et particulièrement des étrangers. Sur quoi Sa Majesté ordonne de vous écrire de bien vouloir m’adresser un mémoire de tous ceux qui en vendent, et de vous demander si vous ne croyez pas qu’il soit à propos, le cas échéant, de les en empêcher à l’avenir. »
Plus tard :
« Vous me parlez d’une limonadière hollandaise qui tient boutique devant la porte de la Comédie, où beaucoup d’étrangers se rassemblent. Le Roy est curieux de savoir si cette femme est naturalisée, à quel titre elle tient cette boutique, et pourquoi vous ne l’avez pas fait fermer puisqu’on s’y conduit si mal. Cela étant, vous avez fort bien fait d’introduire des inspecteurs dans les principaux cafés. »
Arrestations et lettres de cachet ne vont pas tarder à suivre.
Du reste, une ordonnance de police édictée le 16 février 1695, nous apprend que tous les cafés seront désormais fermés chaque soir à cinq heures, du 1er novembre au 31 mars et à neuf huers du 1er avril au 31 octobre.
Légende sur l'origine du café
La première référence au café apparaît dans une histoire éthiopienne vieille de mille cinq cents ans. Un jour, un berger constata que ses chèvres avaient un comportement étrange depuis qu’elles avaient mangé des baies rouges. Elles ne dormaient plus. Il alla voir un sage. Son histoire ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd car le sage luttait pour ne pas s’endormir pendant sa méditation. Celui-ci décida donc de mettre ces baies dans de l’eau bouillante puis de la boire.
Ainsi naquit le café.
Sources : Une histoire des abeilles, Maja Lunde, Les Presses de la Cité, 2017.
Date de dernière mise à jour : 17/11/2023