A table
Du sucre pour les enfants
Les friandises sont associées au monde de l’enfance, comme le confirment les lexicologues Furetière ou Richelet. Produits de luxe, elles sont distribuées aux fêtes religieuses, petits pains, gâteaux ou beignets de Carnaval ; en témoigne cette gravure d’Abraham Bosse (1637) ci-dessus, illustrant l’hiver et portant ces quatrains :
« Icy viennent à la haste
Les Enfans de Mardy Gras
Mettre la main à la paste,
S’escrimant à tous de bras.
*
La Cuisine les attire,
Soit par coustume ou par jeu ;
Et les beignets les font rire,
Tandis qu’ils sont pres du feu. »
La Saint-Nicolas est célébrée en Allemagne et aux Pays-Bas. On doit au peintre hollandais Jan Steen la Saint-Nicolas ci-dessous : une fillette tient ses cadeaux, un enfant dans les bras d’un adolescent cramponne un pain d’épice et, au premier plan, une corbeille en osier déborde de beignets, pain d’épices, gaufres, biscuits, noix et une pomme.
Dans son Dictionnaire, (1680), Furetière désigne le verbe « affriander » comme l’action « d’attirer par quelque chose d’agréable au goût » et donne pour exemple « donner des confitures à des enfants pour les affriander » ; le dictionnaire de l’Académie (1694) propose « Ma petite, ne pleurez pas, soyez sage, et vous aurez du bonbon. »
Au 17e siècle, les traités d’éducation se multiplient. De l’éducation chrétienne des enfants (Varet, 1666) conseille de donner aux enfants « des confitures ou des poupées ». Mais le Traité du choix et de la méthode des études (Fleury, 1687) s’y oppose car « on leur nuit souvent par là plus qu’on ne leur sert. » Quant à Fénelon, dans son traité De l’éducation des filles (1687), il déclare : « Ne promettez jamais aux enfants, pour récompenses, des ajustements ou des friandises [...] afin de ne pas leur inspirer l’estime de ce qu’ils doivent mépriser. »
L’origine du mot bonbon
Ce terme enfantin marqué par le doublement d’une syllabe transparente désigne à l’origine un médicament enrobé de sucre destiné aux enfants et apparaît pour la première fois en 1604 dans le Journal de Jean Héroard, médecin du jeune Louis XIII. Richelet et Furetière le lient exclusivement au monde de l’enfance. Dans son Roman bourgeois (1666), Furetière voit le passage du sucré au salé comme le moment où l’on quitte l’enfance : « Ce n’était plus le temps qu’on l’amusait avec dragées ou du pain d’épices : il lui fallait des perdreaux et des ragoûts. »
C’est la faute des femmes !
Les femmes, ayant une prédilection naturelle pour le sucre, élèvent les enfants jusqu’à l’âge de raison (7 ans) et influent sur leur goût pour le sucré, dit-on. En témoigne cette gravure d’Abraham Bosse de 1635, représentant le fournil d’un pâtissier et accompagné du poème ci-dessous :
« Par excès de friandises
Ici l’on donne en ragoût
Et l’on vend pour plaire au goust
Toutes sortes de marchandises
[...]
Cette boutique a des délices
Qui charment en mille façons
Les filles, les petits garçons
Les servantes et les nourrices. »
Le pays de Cocagne
Le pays de Cocagne entre dans les traités d’éducation. La fable Voyage dans l’île des plaisirs, écrite par Fénelon pour son élève, le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, et père du futur Louis XV, parodie le pays de Cocagne afin de condamner la vaine recherche des plaisirs de la bonne chère et ses conséquences sur l’amollissement du caractère, thème que l’on retrouve d’ailleurs dans Télémaque (1699).
Extrait :
« Après avoir longtemps vogué sur la mer Pacifique, nous aperçûmes de loin une île de sucre avec des montagnes de compote, des rochers de sucre candi et de caramel, des rivières de sirop, qui coulaient dans la campagne. Les habitants, qui étaient fort friands, léchaient tous les chemins, et suçaient leurs doigts après les avoir trempés dans les fleuves.
Il y avait aussi des forêts de réglisse, et de grands arbres d'où tombaient des gaufres qui tombaient dans la bouche des voyageurs, si peu qu'elle fût ouverte. Comme tant de douceurs nous parurent fades, nous voulûmes passer en quelque autre pays où l'on pût trouver des mets d'un goût plus relevé. On nous assura qu'il y avait, à dix lieues de là, une autre île où il y a avait des mines de jambon, de saucisses et de ragoûts poivrés. On les creusait comme on creuse les mines d'or dans le Pérou. On y trouvait aussi des ruisseaux de sauces à 1'oignon. Les murailles des maisons sont des croûtes de pâté. Il y pleut du vin couvert quand le temps est chargé, et, dans les plus beaux jours, la rosée du matin est toujours du vin blanc, semblable au vin grec ou à celui de Saint-Laurent… »
Il achète à un marchand d’appétit douze petits sacs servant d’estomac afin d’avaler douze festins dans la journée. Mais le soir il « fut lassé d’avoir passé toute la journée à table comme un cheval à son râtelier » et décide de ne se nourrir, le lendemain, que de bonnes odeurs. Le surlendemain, il visite une ville étrange où chaque habitant est pourvu de « souhaits », petits esprits fluets et voltigeants, qui donnent à chacun tout ce qu’il désire à l’instant même ; mais ainsi servis les hommes sont devenus lâches et paresseux, leurs mœurs s’amollissent… au point de laisser le gouvernement à leurs épouses.
Morale de la fable : « Touché de ce spectacle, et fatigué de tant de festins et d'amusements, je conclus que les plaisirs des sens, quelque variés, quelque faciles qu'ils soient, avilissent et ne rendent point heureux. Je m'éloignai donc de ces contrées en apparence si délicieuses, et de retour chez moi, je trouvai dans une vie sobre, dans un travail modéré, dans des mœurs pures, dans la pratique de la vertu, le bonheur et la santé que n'avaient pu me procurer la continuité de la bonne chère et la variété des plaisirs. »
Remarques sur le pays de Cocagne
C’est surtout du Moyen-Âge au 17e siècle que se développent les fabliaux de cet imaginaire gustatif, avec des couleurs locales révélatrices de l’évolution des goûts. Le goût des épices marque toute la cuisine aristocratique européenne, gingembre, souchet, zédoaire, muscade, clous de girofle et cannelle. Le fleuve du pays de cocagne français répand du vin rouge de Beaune et du vin blanc d’Auxerre, de La Rochelle ou de Tonnerre. L’oie, qualifiée de grasse, est le volatile privilégié qui n’est pas mis au pot (bouilli) mais rôti : mets des puissants, le rôti gaspille la graisse à la différence de la cuisson au pot : le pays de Cocagne est une société utopique de l’abondance. À l’oie s’ajoutent volailles et oiseaux comme perdrix, faisans, alouettes, bécasses, chapons et poulets, ainsi que les ortolans, petits passereaux capturés vivants, gavés de baies et de graines jusqu’à tripler de volume, puis noyés dans du Cognac, plumés et rôtis. Chaque convive, la tête sous une serviette, décapite l’oiseau d’un coup de dent puis l’avale en une seule bouchée. Le mode de préparation relevait de la barbarie et l’espèce est désormais protégée.
S’y ajoute bien sûr le cochon, animal emblématique du gras pour l’Occident chrétien, d’autant que le sacrifice hivernal du cochon est l’une des rares occasions de se gaver de viande fraiche dans le monde rural.
On est loin de la nourriture ordinaire du paysan en Occident, bouillie de céréales ou pain noir, soupe d’herbes et de racines (raves, châtaignes, glands, fèves, pois et légumes bouillis) et piquette infâme.
En France, le sud du département du Tarn est surnommé « pays de Cocagne ». On y cultivait le pastel (pour les teintures) ou guède, qu'on enrichissait avec de la fiente de pigeon, d'où la présence de nombreux pigeonniers dans le Midi toulousain, dans un territoire compris entre Albi, Toulouse et Carcassonne. Le pastel a longtemps été la seule plante source de teinture bleue. Ses fleurs sont jaunes, mais ce sont les feuilles qui produisent la teinture après séchage, sous forme de boulettes appelées « cocagnes » et finalement broyées. Le déclin de la culture du pastel s'était amorcé dès la fin du XVIe siècle avec l'arrivée de l'indigo en provenance d'Extrême-Orient.
Sources : Gourmandise, histoire d’un péché capital, Florent Quellier, Armand Colin, 2010.
Le goût et la sensualité
Au chocolat, jugé aphrodisiaque, il faut ajouter les artichauts, les asperges, les huîtres, les figues et le vin. La gravure ci-dessus d’Abraham Bosse, qui illustre Le Goût, représente au premier plan une dame tendant sagement (hypocritement) la main vers un artichaut alors que la servante et le serviteur échangent de regards complices.
Dans Le Roman bourgeois (1666), Furetière écrit : « Il n’est que trop vrai que le monde est perverti ; quand nous étions filles, il nous fallait vivre avec tant de retenue que la plus hardie n’aurait pas osé lever les yeux sur un garçon. [...] Si quelqu’une de nous eut mangé des asperges ou des artichauts, on l’aurait montrée du doigt ; mais les filles d’aujourd’hui sont presque aussi effrontées que des pages de cour. »
Charles Sorel, dans Le Roman comique de Francion, utilise l’expression « échardonner » pour désigner l’acte sexuel ; on dit également, au 17e siècle, « aller à la chardonnette ». En effet, la chardonnette est un artichaut sauvage conseillé aux femmes stériles ; on achète des tiges d’artichaut confites pour « dénouer l’aiguillette ».
Même connotation érotique de l’huître, par exemple dans La Jeune Fille mangeant des huîtres (Jean Steen, vers 1656-1660) ci-dessous qui fixe le spectateur avec effronterie, l’air gourmand...
Quant aux bouteilles et aux verres de vin, renversés ou non, présents dans de nombreuses scènes galantes du 17e siècle (et du 18e), ils évoquent les effets libérateurs du vin sur les femmes.
Mentionnons également les quatrains accompagnant les gravures des métiers de bouche, comme celles du graveur Bonnart, notamment Le Pâtissier :
« Je suis le Patissier des Dames,
Je leur fais cent petits ragouts ;
Et je suis si bien dans leurs ames,
Qu’elles m’ont baptisé l’entre-en-goust ».
Ou encore La Crieuse de petit fromage :
« Je vends du laict, fromages crème,
Aux belles filles de Paris ;
Pour régaler leurs favoris,
Qui de leur côté font de même. »
La métaphore alimentaire exprime le désir sexuel. Furetière, dans son Dictionnaire (1690), utilise le terme « friand » pour désigner une jolie femme : « Voilà une fort belle femme, c’est un morceau bien friand. » A l’origine, l’adjectif friand qualifie un plat appétissant.
Les protestants au régime contre l'hypocrite maigre catholique
Dans ses Mémoires, Sully (1559-1641), compagnon de Henri IV, refuse les « friandises, sopiquets [sauces épicées], pâtisseries, confitures, desguisements de viandes, yvrogneries, (sic) gourmandises, crapules de tables longues et superflues. »
Déjà présente chez Socrate, cette critique de l’art du cuisinier (le terme « gastronomie » n’a été inventé qu’en 1801, suivi de près par « gastronome » l’année suivante) comme art de la fausseté est la condamnation morale des mœurs de la cour des Valois (qui reste valable pour celle des Bourbons) et la stigmatisation de l’hypocrisie des « papistes ».
En effet, le « maigre » catholique est le symbole d’une foi superficielle et hypocrite : les élites catholiques avalent les poissons les plus fins et des aliments ambigus, comme la tortue, le castor, la macreuse, la bernache, l’escargot ou la grenouille.
Les recueils de cuisine proposent des versions de plats de viandes adaptées pour les jours maigres. Le Cuisinier français (1651), traité culinaire le plus célèbre du 17e siècle propose ainsi des potages aux écrevisses, aux huitres ou aux asperges, des homards et des langoustes cuits au court-bouillon, des huitres gratinées relevées d’un point de muscade ou en ragoût revenues avec de soignons, du persil, des câpres et de la chapelure, des soles rôties farcies à l’oseille, etc.
Par ailleurs, les communautés religieuses participent à la production de denrées alimentaires et spécialités gourmandes : distillation d’herbes et de fleurs, confection de confitures ou de fruits confits, jardinage… On trouve ainsi le sucre tors de Poissy, le sucre d’orge de Moret, la marmelade de fleurs d’oranger de Lyon, les olives farcies d’Aix-en-Provence, les gâteaux d’amandes et le jus de réglisse blanc des feuillantines de Paris.
On peut noter aussi le rôle essentiel joué par l’Église catholique dans la diffusion du chocolat en Europe. L’idée d’ajouter du sucre de canne au cacao amer des Aztèques est attribuée à une communauté de carmélites installée au Mexique. D’ailleurs, la consommation du chocolat rompt-elle le jeune ? Est-ce une gourmandise ou un médicament ? S’agit-il d’une simple boisson tolérée afin d’étancher sa soif, comme l’eau, la bière ou le vin, ou bien un breuvage interdit car nourrissant et échauffant ? L’Occident fantasme sur cette boisson du Nouveau Monde, l’associant à un imaginaire de sensualité, de luxure et de volupté. D’autant que l’usage espagnol le rend épais et savoureux car, après avoir délayé le cacao dans de l’eau ou du lait, on y ajoute du sucre, des noisettes, des amandes en poudre, de la vanille, de la cannelle voire des œufs. Au motif de la faiblesse de leur estomac, les femmes de la bonne société créole de Chipas, en Nouvelle Espagne (Mexique) se font servir une tasse de chocolat chaud au cours de la messe…
L’abbaye janséniste de Port-Royal reste un exemple d’austérité : carême perpétuel et consommation de viande exclue. Les religieuses e se nourrissent que de légumes (bouillon ou salade), de fruits, œufs et poissons. Durant le Carême, il leur est interdit de manger avant 18 heures, où elles prennent un repas constitué d’un bouillon et de « racines », légumes grossiers. Jeanne-Françoise de Chantal jeûne quant à elle tous les vendredis et samedis après le décès accidentel de son époux en 1601 et choisit des aliments qu’elle n’aime pas. Même chose pour les trappistes (réformés par Rancé) qui excluent viande, poisson, œuf, pain blanc et vin.
Mais…
Une collation s’impose comme second repas dans la journée, occasion de savourer des friandises sucrées, comme gaufres et fruits confits. En outre, les dispenses abondent : enfants jusqu’à 21 ans, femmes enceintes, femmes allaitant, vieillards, malade, etc. Dans sa cinquième lettre des Provinciales aux jésuites, Pascal prend l’exemple des accommodements de jeûne complaisamment accordés par « les bons Pères », s’appuyant sur une compilation d’un traité de casuistique rédigé par le jésuite espagnol Escobar y Mendoza : « Peut-on, sans rompre le jeûne, boire du vin à telle heure qu’on voudra, et même en grande quantité ? On le peut, et même de hypocras. Je ne me souvenais pas de cet hypocras, dit-il ; il faut que je le mette sur mon recueil. Voilà un honnête homme, lui dis-je, qu’Escobar. Tout le monde l’aime, répondit le Père. Il fait de si jolies questions ! »
Sources : Gourmandise, histoire d'un péché capital, Florent Quellier, Armand Colin, 2010.
Rappel de la gastronomie au 17e siècle
Que mangent ces dames ?
Le premier ouvrage de cuisine parut en 1651 sous le titre Le Cuisinier français, écrit par François Pierre, qui prit le nom de La Varenne, le cuisinier d'Henri IV. Il fut réédité douze fois au cours des cinq premières années, quarante-six fois jusqu'en 1700 et traduit dans toute l'Europe. L'auteur codifia techniques et recettes, expliqua comment préparer et utiliser les fonds de sauce, les mélanges d'herbes – nos bouquets garnis -. Dans la deuxième édition, La Varenne introduisit un index des recettes citées par ordre alphabétique, grande innovation ! Il inventa la recette du bœuf à la mode, du poisson au bleu et des œufs à la neige.
En 1653, un ouvrage tout aussi révolutionnaire vit le jour : Le Pâtissier français (auteur anonyme) : codification des recettes de base, comme « la crème de pâtissier » – notre crème pâtissière -, la « glace de sucre » – les glaçages -, la pâte feuilletée, les beignets, les chaussons aux pommes, les choux, les gaufres. L'auteur (plus précis que La Varenne) donne des indications sur le temps, la température de cuisson et sur les quantités des ingrédients.
À retenir
- élimination progressive des épices venues d'Orient – sauf le poivre – comme la noix de muscade, la cannelle, le gingembre.
- utilisation des herbes locales comme le thym, la ciboulette et l'échalote.
- apparition du sucre qui remplace le miel, bien qu'il coûte encore très cher. Jusqu’au 17e siècle, les sucreries sont considérées comme une médecine. Le sucre de canne (encore rare) est vendu par les apothicaires. Il est censé favoriser la digestion, tout comme les confitures, dragées et épices de chambre (épices confites) que l’on sert à la fin du repas. On avale donc – pour se soigner – des gelées ou des pâtes de coing, des bonbons au sucre ou au miel parfumés à l’anis, au clou de girofle ou au musc.
- utilisation du beurre.
- les sauces commencèrent alors à jouer un rôle crucial. Elle ne furent plus servies à part, mais incorporées peu à peu aux plats grâce à de nouvelles techniques qui permettaient de les épaissir.
- apparition des légumes et des fruits grâce aux deux ouvrages de Nicolas de Bonnefons, Le Jardinier français et Les Délices de la campagne. À la fin du XVIIe, on cultivait 400 variétés de poires. On consommait asperges, artichauts et épinards. Il faut noter l'engouement pour les petits pois, dont Louis XIV était très friand. Madame de Sévigné écrivit à ce sujet une lettre restée célèbre. La fabrication de gelées et de confitures augmenta de même, grâce au sucre et à la qualité des fruits (Cf. infra).
- et n'oublions pas que... la cocotte-minute fut inventée par Papin en 1682 !
Mode des fruits
Dans l'ordonnancement des mets, une plus grande séparation du salé et du sucré se confirme dès le 17e siècle.
L'usage veut que l'on présente les fruits après les viandes, alors qu'on les a longtemps servis en début de repas. Le service du « fruit » est d'ailleurs appelé dessert.
Le perfectionnement des techniques horticoles permet d'obtenir des produits de belle qualité : c'est le triomphe du fruit cru présenté en corbeilles ou en pyramides. Ces dernières peuvent être composées de quelques fruits disposés en dôme sur une assiette, ou d'un plus grand nombre dressé à une hauteur qui peut être assez considérable.
C'est aussi le succès des confitures, qui désignent à l'époque des préparations comme les compotes, les gelées, les marmelades, les fruits confits, au sirop ou en pâte.
Le service du dessert peut ainsi se composer, entre autres, d'un mélange de fruits frais et de confitures variées arrangés d'une manière harmonieuse.
Le Grand d’Aussy écrit dans Histoire de la vie privée des Français depuis l'origine de la nation jusqu'à nos jours (1782) : « En arrangeant artistement ensemble des fruits confits et des fruits crus, ou même en disposant entre eux, avec art, des fruits crus, mais différents de forme et de couleur, on pouvait quelquefois procurer à l'œil un spectacle agréable ; et, considéré ainsi, la coutume nouvelle n'avait rien que le bon goût ne pût approuver. Mais l'excès et le ridicule, qui insensiblement se glissent dans toutes les modes, et qui finissent toujours par les faire abandonner s'introduisirent de même dans celle-ci. Aux grandes tables, la construction de pyramides regardait les chefs d'offices. Par la suite de cet amour-propre que chacun attache à sa possession, ceux-ci se piquèrent à l'envi de les faire plus hautes que leurs confrères. Ce fut à qui les élèverait davantage. Enfin, ils en vinrent au point qu'il fallut « hausser les portes » : c'est l'expression de madame de Sévigné… »
Notons que les fruits et légumes ont désormais droit de cité dans le domaine artistique, comme en témoigne cette nature morte de Louise Moillon ci-dessous :
Au siècle suivant, à Versailles, on utilise toujours le potager que Jean-Baptiste de la Quintinie a créé pour satisfaire les goûts de Louis XIV, situé à deux pas du château. Il se caractérise par une succession de microclimats et l'on y cultive potimarrons et petits pois dans les carrés du centre, tandis qu'en contrebas se trouvent la prunelaie et les enclos aux asperges, abricots, fraises et cerises. Une grande variété de pommes et de poires sont cultivées en espaliers. Cet engouement pour les fruits deviendra à la mode avec Rousseau qui préconise une nourriture saine et naturelle : fruits et légumes du jardin.
Vins et alcools au XVIIe siècle
La boisson favorite des Français du Grand Siècle est le vin et tous les paysans vivant sous des cieux cléments (ou non !) tentent d’en produire, même en Bretagne ou dans le Nord. Ils ne le consomment pas tout : s’il est bon, il est vendu et les vignerons ne boivent que de la piquette (eau légèrement colorée et alcoolisée par fermentation ultime des marcs de pressurage). On confectionne également des piquettes à partir de fruits divers que l’on met à fermenter dans de l’eau.
Les crus les plus réputés sont ceux de Bourgogne, de la vallée du Rhône, du Jura, mais aussi de l’étranger : vin du Rhin ou de Tokay en Hongrie.
La fabrication du champagne se perfectionne mais n’est pas courant à Versailles car le médecin de Louis XIV, Fagon, lui impose des vins rouges de la côte de Nuits (Romanée). Il sera la boisson favorite au siècle suivant.
Lors des festins, on consomme volontiers des sirops variés étendus d’eau glacée (on dit « à la glace »). Les grandes maisons sont équipées de glacières qui permettent de conserver de la neige ou de la glace brisée à la surface des étangs jusqu’au cœur de l’été. C’est également ainsi que l’on prépare les sorbets, venus d’Italie.
L’usage de l’eau-de-vie est d'abord médical. Au milieu du siècle se généralise la pratique de la distillation en Aunis et Saintonge. Le cognac devient un produit d’exportation destiné aux Européens du Nord (les Anglais l’appellent brandy). On invente aussi des procédés de distillation des fruits, des marcs ou du vin. Le succès des eaux-de-vie est tel qu’il faut en réglementer la consommation : un droit de 50 livres est imposé aux portes de Paris en 1686. Se multiplient également les liqueurs provenant de macération dans l’eau-de-vie de fruits et d’herbes additionnée ensuite de sucre.
Sources : Dictionnaire du Grand Siècle, François Bluche, Fayard, nouvelle édition 2005, Article de Jean-Robert Pitte.
Comment se tenir à table ?
À la fin du 17e siècle, on note un plus grand raffinement dans les manières à table. En voici un exemple [1] :
« Jadis le potage on mangeait
Dans le plat sans cérémonie,
Et sa cuillère on essuyait
Souvent sur la poule bouillie
Das la fricassée d’autrefois
On saussait (sic) son pain et ses doigts
Chacun mange présentement
Son potage sur son assiette
Il faut se servir poliment
Et de cuillère et de fourchette
Et de temps en temps qu’un valet
Les aille laver au buffet
Tant qu’on peut il faut éviter
Sur la nappe de rien répandre
Tirer au plat sans hésiter
Le morceau que l’on veut prendre
Et votre assiette jamais
Ne serve pour différents mets
Très souvent il faut en changer
Pour changer elles sont faites
Tout ainsi que pour s’essuyer
On vous donne des serviettes
À table comme ailleurs enfin
Il faut songer à son prochain. »
_ _ _
Notes
[1] Histoire des choses banales, Daniel Roche.
Le Melon (Saint-Amant)
"Le melon", exemple de poésie réaliste au XVIIe siècle (Saint-Amant)
Saint-Amant (1594-1661) a composé des vers sur les cabarets, les goinfres, le fromage, la vigne ou le melon. Théophile Gautier voit en lui un « grotesque » et le définit ainsi : « Ce n’était pas chez lui l’amour des pasquinades[1], des équivoques et des plaisanteries plus ou moins grossières, mais un sentiment pittoresque semblable à celui des Jan Steen, des Ostade, des Téniers[2] et des Callot[3]. »
En effet, on peut mieux comprendre le réalisme savoureux de ce poème si on le rapproche des tableaux flamands et de ces natures mortes de l’époque, que Louis XIV méprisera un peu plus tard. Une orientation esthétique dont se détournent en effet l’esprit et l’art classique.
Sachons enfin que, bien que la poésie ne se prête pas avec autant de facilité que le roman aux peintures réalistes, certains poètes du XVIIe siècle, les uns, comme Régnier et Théophile de Viau, par opposition à Malherbe, les autres, comme Cyrano de Bergerac, Saint-Amant et Boileau, par réaction contre la préciosité, se sont attachés à décrire en vers pittoresque des scènes familières de la nature ou de la vie.
Quelle odeur sens-je en cette chambre ?
Quel doux parfum de musc et d'ambre
Me vient le cerveau réjouir
Et tout le cœur épanouir
Ha ! bon Dieu ! j'en tombe en extase :
Ces belles fleurs qui dans ce vase
Parent le haut de ce buffet
Feraient-elles bien cet effet ?
A-t-on brûlé de la pastille ?
N'est-ce point ce vin qui pétille
Dans le cristal, que l'art humain
A fait pour couronner la main,
Et d'où sort, quand on le veut boire,
Un air de framboise[4] à la gloire
Du bon terroir qui l'a porté
Pour notre éternelle santé ?
Non, ce n'est rien d'entre ces choses,
Mon penser, que tu me proposes.
Qu'est-ce donc ? je l'ai découvert
Dans ce panier rempli de vert :
C'est un melon où la nature,
Par une admirable structure,
A voulu graver à l'entour
Mille plaisants chiffres d'amour,
Pour claire marque à tout le monde
Que, d'une amitié sans seconde,
Elle chérit ce doux manger
Et que, d'un souci ménager,
Travaillant aux biens de la terre,
Dans ce beau fruit seul elle enserre
Toutes les aimables vertus
Dont les autres sont revêtus.
Baillez-le-moi, je vous en prie,
Que j’en commette idolâtrie :
Oh ! quelle odeur ! qu’il est pesant !
Et qu’il me charme en le baisant !
Page, un couteau, que je l’entame ;
Mais qu’auparavant on réclame,
Par des soins au devoir instruits,
Pomone[5], qui préside aux fruits,
Afin qu’au goût il se rencontre
Aussi bon qu’il a balle montre
Et qu’on ne trouve point en lui
Le défaut des gens d’aujourd’hui.
Notre prière est exaucée ;
Elle a reconnu ma pensée :
C’en est fait, le voilà coupé,
Et mon espoir n’est point trompé.
O dieux ! Que l’éclat qu’il me lance
M’en confirme bien l’excellence !
Qui vit jamais un si beau teint !
D’un jaune sanguin il se peint ;
Il est massif jusques au centre,
Il a peu de grains dans le ventre,
Et ce eu là, je pense encor’
Que ce soient autant de grains d’or ;
Il est sec ; son écorce est mince ;
Bref, c’est un vrai manger de prince ;
Mais, bien que je ne le sois pas,
J’en ferai pourtant un repas...
*
Non, le coco, fruit délectable,
Qui lui tout seul fournit la table
De tous ces mets que le désir
Puisse imaginer et choisir...
Ni le cher abricot, que j’aime,
Ni la fraise avecque la crème,
Ni la manne qui vient du ciel,
Ni le pur aliment du miel,
Ni la poire de Tours sacrée,
Ni la verte figue sucrée,
Ni la prune au jus délicat,
Ni même le raisin muscat
(Parole pour moi bien étrange[6])
Ne sont qu’amertume et que fange
Au prix de ce melon divin
Honneur du climat angevin...
Saint-Amant, « Le Melon », 1634 (Œuvres)
[1] Pitreries.
[2] Peintres hollandais du 17e siècle.
[3] Graveur et dessinateur français.
[4] Vin framboisé de Bourgueil.
[5] Nymphe romaine veillant sur les fruits.
[6] Saint-Amant avait un faible pour ce fruit.
* * *
Le repas ridicule (Boileau), exemple de poésie réaliste au XVIIe siècle
Boileau (1636-1711) fait partie de ces poètes réalistes du XVIIe siècle qui décrivent en vers pittoresques des scènes de la vie quotidienne. Voici un extrait du « Repas ridicule ».
Le repas ridicule
... Cependant on apporte un potage[1].
Un coq y paraissait n pompeux équipage[2],
Qui, changeant sur ce plat et d’état et de nom,
Par tous les conviés s’est appelé chapon[3].
Deux assiettes suivaient, dont l’une était ornée
D’une langue en ragoût de persil couronné ;
L’autre d’un godiveau[4] tout brûlé par dehors,
Dont un beurre gluant inondait tous les bords...
J’allais sortir enfin, quand le rôt a paru.
Sur un lièvre flanqué de six poulets étiques
S’élevaient trois lapins, animaux domestiques,
Qui, dès leur tendre enfance élevés dans Paris,
Sentaient encor le chou dont ils furent nourris.
Autour de cet amas de viandes entassées
Régnait un long cordon d’alouettes pressées,
Et sur les bords du plat six pigeons étalés
Présentaient pour renfort leurs squelettes brûlés.
À côté de ce plat paraissaient deux salades,
L’une de pourpier[5] jaune, et l’autre d’herbes fades,
Dont l’huile de fort loin saisissait l’odorat,
Et nageait dans des flots de vinaigre rosat[6]...
Sur ce point[7], un jambon d’assez maigre apparence
Arrive sous le nom de jambon de Mayence.
Un valet le portait, marchant à pas comptés,
Comme un recteur suivi des autres facultés[8],
Deux marmitons crasseux, revêtus de serviettes,
Lui servaient de massiers[9], et portaient deux assiettes,
L’une de champignons avec des ris de veau,
Et l’autre de pois verts qui se noyaient dans l’eau...
Boileau, Satire III.
[1] Ce mot ne désignait pas, comme aujourd’hui, le bouillon seul, mais tout ce qui cuit dans le pot-au-feu, bouillon, viande et légumes.
[2] Présenté solennellement.
[3] On dirait aujourd’hui a été appelé (passif au lieu du réfléchi).
[4] Pâté chaud, composé de viande hachée et de champignons.
[5] Herbe aux feuilles charnues, dont la variété dite pourpier commun, à fleurs jaunes, est mangée comme salade.
[6] Vinaigre de vin rouge.
[7] À ce moment.
[8] Les quatre facultés étaient la Théologie, la Médecine, le Droit et les Arts (Lettres et Sciences).
[9] Dans les grandes cérémonies universitaires, le recteur était précédé d’huissiers portant des masses, bâtons surmontés d’une boule d’argent.
Gnathon (La Bruyère)
Si Ménalque était comique, Gnathon l’égoïste et odieux. Quittant le ton de la libre fantaisie, La Bruyère dépeint ce personnage avec un réalisme acerbe et cru qui traduit son indignation et son dégoût. Le sans-gêne de Gnathon et la grossièreté de son comportement traduisent de façon concrète son égoïsme.
« Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard[1] comme s'ils n'étaient point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait son propre[2] de chaque service : il ne s'attache à aucun des mets, qu'il n'ait achevé d'essayer de tous ; il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne se sert à table que de ses mains ; il manie les viandes, les remanie, démembre, déchire, et en use[3] de manière qu'il faut que les conviés, s'ils veulent manger, mangent ses restes. Il ne leur épargne aucune de ces malpropretés dégoûtantes, capables d'ôter l'appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe ; s'il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la nappe ; on le suit à la trace. Il mange haut[4] et avec grand bruit ; il roule les yeux en mangeant ; la table est pour lui un râtelier[5] ; il écure ses dents, et il continue à manger. Il se fait, quelque part où il se trouve, une manière d'établissement[6] [...] S'il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient[7] dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans la meilleure chambre le meilleur lit. Il tourne tout à son usage ... ».
La Bruyère, Les Caractères, Livre XI «De l’Homme », 121 (« Gnathon »)
A table avec...
Remarque : Soupe Fontanges
Il s'agit d'une soupe d’oseille et de petits-pois frais en consommé lié à la crème et aux jaunes d’œufs. Elle porte le nom de Mlle de Fontanges, Marie Angélique de Scorailles (1659-1681), maîtresse de Louis XIV entre Mme de Montespan et Mme de Maintenon.
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Quelques plats typiques du 17e siècle
- La tourte de faisan : une tourte garnie de morceaux de faisan, de jambon, de champignons, de truffes, de foie gras, de crème et d’épices.
- Le potage Saint-Germain : un potage de purée de pois verts, aromatisé au bouillon, au beurre, à la menthe et au sucre.
- Le navarin d’agneau : un ragoût d’agneau avec des carottes, des navets, des oignons, du vin blanc, du bouillon et du persil.
- Le blanc-manger : un dessert à base de lait, de crème, d’amandes, de sucre et de gélatine, servi avec du coulis de fruits.
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Date de dernière mise à jour : 27/02/2024