A table avec le peuple
Le peuple de France mange-t-il vraiment des racines au 17e siècle ?
Non, le peuple français ne mange pas de « racines » au sens contemporain !
Relisons La Bruyère qui écrit dans ses Caractères (De L’Homme) : « L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés de soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont des hommes ; ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d’eau et de racine ; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé. »
Quel tableau caricatural ! Mais que sont ces « racines » ?
Au 17e siècle, les racines sont « cette partie des plantes bonnes à manger qui est dans la terre » (Furetière), carottes et navets par exemple et, par extension, tout le végétal comestible : oseille, chicorée rhubarbe, etc.
Plus encore. Dans la France religieuse du siècle qui respecte le jeûne des jours maigres (sans venaison, ni viande, ni volaille ou cochonnaille), on mange volontiers des racines, comme le propose Massialot dans Le Cuisinier royal et bourgeois (1691) : il s’agit du repas de Monsieur, frère du roi, pour le vendredi saint de 1690. Il comprend six potages, six entrées de légumes et quatre plats d’huîtres, un rôt fait des meilleurs poissons (sole, turbot rouge, etc.) et de savants accompagnements de légumes où se côtoient persil, topinambours, salsifis navets, oignons, carottes, champignons, betteraves et truffes. L’entremets utilise d’autres racines : morilles, corne de cerf ; choux ; concombres, épinards à la crème, haricots à la crème et en salade, artichauts, asperges, vingt-trois salades et une tourte de lait d’amandes.
Vive les racines !
Sources : Dictionnaire du Grand Siècle, François Bluche, Fayard, nouvelle édition 2005, article de François Bluche.
Pain et soupe au menu des paysans
Le pain est à la base de la nourriture des paysans. Pain de froment (rarement), de seigle, d’orge ou de céréales mélangées (méteil), avec une partie plus ou moins grande de son. Le pain blanc reste un luxe.
Les miches (de couleur sombre), à la pâte plus ou moins bien levée, sont de taille imposante afin d’être conservées le plus longtemps possible : une semaine le plus souvent deux ou trois.
Le pain se consomme donc rassis, ce qui n’est pas gênant, puisqu’il sert à « tremper la soupe ».
Cette soupe mijote longuement dans la cheminée dans un pot de terre posé sur un trépied ou dans une marmite de fonte suspendue à une crémaillère. Elle se compose d’eau, de légumes (choux, fèves, racines, raves, carottes, navets poireaux) et de bulbes (oignons, ail), d’herbes (cives persil, estragon, orties, serpolet, sauge). Aucune viande, sauf éventuellement du porc. Il peut resservir plusieurs fois pour parfumer avant d’être consommé : on le place alors dans une boule percée. Si l’on n’a pas de viande, on tâche d’enrichir la soupe avec de la graisse de porc, de bœuf, de mouton ou d’oie, de lait, de crème, de beurre ou d’huile d’olive (pour les plus riches). On n’ajoute de la viande que les jours de fête, une poule par exemple, lapin ou perdrix (braconnage...). Le braconnage concerne également les poissons de l’étang ou de la rivière.
La volaille est abondante dans les régions ayant adopté le maïs (venu d’Amérique) au siècle précédent : il part du Pays Basque vers 1565 et arrive en Alsace vers 1750 ! Un village par an...
On consomme également des bouillies de mil ou de millet, d’orge, de châtaignes, et de millet (à base de maïs) dans le Sud-Ouest (millat) et la Saône (gaudes), ce qui confère aux habitants de la Bresse le sobriquet de « ventres jaunes ».
En Bretagne, on consomme la farine de sarrasin ou de froment sous forme de crêpes arrosées de beurre fondu.
Dans le Massif Central règnent les châtaignes : grillées, bouillies, séchées et réduites en farine pour les bouillies.
On ne mange du fromage que lorsqu’il est manqué et donc invendable.
Au fil du siècle, on consomme des tomates et des haricots venus d’Amérique dans le Midi qui invente ainsi le cassoulet, plat festif enrichi de graisse d’oie.
À cet égard, rappelons que le haricot de mouton est antérieur au cassoulet et que son nom provient, non pas du féculent, mais du verbe haricoter, qui signifie couper en petits morceaux.
La monotonie des repas (à la belle saison) est rompue par les produits de la cueillette (champignons, fruits, herbes) et du braconnage (gibier, oiseaux et poissons).On dispose aussi parfois de miel.
On mange mieux dans les auberges (voir infra) mais les paysans voyagent peu ou pas du tout. On y sert des potages gras et épicés, des cervelas, andouilles, boudins, saucisses, perdrix rôties, oignons farcis, lapins en sauce, fricassées de poulet, salades, salmigondis, hachis, macarons, biscuits, pois sucrés, noix confites, écorces de citrons. Rien de bien raffiné !
On boit de l’eau ou des piquettes faites à partir de marc (le vin étant gardé pour les grandes occasions ou vendu) ou de fruits. Le cidre se répand dans tout l‘Ouest.
Les vins sont d’horribles piquettes : on boit la rosette, le romény, le muscadet, le beaune, l’irancy, et bien sûr le vin de Suresnes. Le vin bourru est un vin blanc dont on arrête la fermentation, ce qui le rend doux mais d’aspect déplaisant. On boit aussi du chablis, vif et piquant, du vin de Reims pâle et gris. Au printemps, on apprécie le bouquet des vins blancs d’Arbois, le gannetin du Dauphiné, ceux de Touraine et d’Anjou, celui de Canteperdix apprécié par Hortense Mancini, l’une des nièces de Mazarin. Le vin d’Espagne (vin cuit), le muscat et le vin des Canaries sont plus recherchés. On trouve du bon vin de Tonnerre (un Bourgogne quand même) pour des noces populaires à dix sous la pinte : chacun peut vendre son vin, d’où l’expression « vendre à pot ». Mais, pour la famille royale, on vend du vin clairet à quatre-vingt livres le muid. Autres boissons à la mode : l’hypocras, le ratafia, le rossoli. Également de la bière anglaise surnommée godalle (good ale).
Et pourtant, c’est au 17e siècle que la France commence d’acquérir, auprès de l’élite européenne, sa réputation d’aujourd’hui, la gastronomie, née du prestige du pouvoir central : la cour se distingue du commun des mortels et la table de Louis XIV en est un moyen parmi d’autres, d’autant que le roi est un grand boulimique devant l’Éternel !
Sources : Dictionnaire du Grand Siècle, François Bluche, Fayard, nouvelle édition 2005, Article de Jean-Rober Pitte, professeur à l’université de Paris-Sorbonne.
Réputation des auberges
Les auberges sont des établissements plus recommandables que les cabarets ou tavernes car « s’il s’y trouve des assemblées par le concours des hôtes, elles sont pacifiques et non suspectes de débauche, chacun n’y pensant qu’à ses affaires ou aux sujets de son voyage », nous apprend le Traité de la police de Delamare.
Elles sont surveillées et soumises à une réglementation contraignante. Une ordonnance datant de Saint-Louis en réserve l’accès aux seuls passants étrangers. Les aubergistes doivent avertir la police locale de l’arrivée de voyageurs suspects, « gens mal famés », blasphémateurs ou vagabonds. Il leur est interdit de donner à manger gras pendant le carême, de s’approvisionner au marché en dehors des heures prescrites, de ne pas étalonner leurs pots et bouteilles, etc.
Les jugements sur nos auberges sont contrastés, mais généralement négatifs : mauvaise nourriture, vols, inconfort et saleté des chambres et des lits, servantes effrontées, cherté de services. La Fontaine, par exemple, garde un mauvais souvenir d’une auberge limousine. Par contre, Mme d’Aulnoye, auteur de contes de fées, fait l’éloge de l’auberge de Saint-Jean-de-Luz vers 1690 : gibier et matelas de plumes de coq.
Notons que les guides du temps, comme L’Ulysse français (Coulon, 1643) ou Voyageur d’Europe (A. Jouvin, 1673) font de la publicité en faveur des meilleures auberges, comme Le Mûrier à Saumur, La Poste à Carcassonne, Les Trois Rois à Lyon, et d’autres...
Sources : Dictionnaire du Grand Siècle, François Bluche, Fayard, nouvelle édition 2005, Article d'Abel Poitrineau, op. cit.
Les cris de Paris
A Paris, les marchands ambulants sont légion, notamment – mais pas que – pour la nourriture. On entend donc hurler « Hareng soret, hareng de la nuit, anis fleuri, mon bel anis. »
On vend du pain d’épice, des gaufres, des oublies (pâte roulée en cylindre) ou des cornets :
« Approchez-vous de moi, vous hommes et femmes,
Pour voir mon corbillon qui charme tout Paris.
Il a des cornets pour les dames
Et des cornes pour les maris. »
Le pâtissier chante :
« J’ai des pâtés, des darioles,
Des tartelettes, des rissoles,
Des gâteaux et des petits choux. »
Le marchand dépose souvent dans de petits paniers suspendus à de longues ficelles cinq sols de gâteaux ou encore des « bises », petits pains à deux liards. Les fruits et légumes sont à l’honneur : « Mes beaux coings ! Pêches de corbeille ! Beaux poireaux, gros navets de balle ! Beaux bouquets ! Figues de Marseille ! »
Sources : La Fleur des rues, Michel Chaillou, Fayard, 2000.
Mais... on peut parler de la misère du peuple à la fin du siècle.
À la fin du règne de Louis XIV, la misère du peuple est effroyable.
Vauban écrit dans son Projet d’une dîme royale (1707) : « Les grands chemins de la campagne et les rues des villes et des bourgs sont pleins de mendiants, que la faim et la nudité chassent de chez eux. Par toutes les recherches que j’ai pu faire depuis plusieurs années que je m’y applique, j’ai fort bien remarqué que dans ces derniers temps près de la dixième partie du peuple est réduite à la mendicité et mendie effectivement ; que des neuf autres parties il y en a cinq qui ne sont pas en état de faire l’aumône à celle-là ; des quatre autres parties qui restent les trois sont fort malaisées et embarrassées de dettes et de procès ; et que dans la dixième où je mets tous les gens d’épées, de robe, ecclésiastiques et laïques, toute la noblesse haute, la noblesse distinguée et les gens en charges militaires et civiles, les bons marchands, les bourgeois rentés et les plus accommodés, on ne peut pas compter sur cent mille familles, et je ne croirais pas mentir quand je dirais qu’il n’y en a pas dix mille qu’on puisse dire être fort à leur aise ; et qui en ôterait les gens d’affaires, leurs alliés et adhérents couverts et découverts, et ceux que le roi soutient par ses bienfaits, je m’assure que le reste en serait un très petit nombre. »
La Bruyère dans les Caractères, écrivait déjà : « Il y a des misères sur la terre qui saisissent le cœur. Il manque à quelques-uns jusqu’aux aliments ; ils redoutent l’hiver, ils appréhendent de vivre. L’on mange ailleurs des fruits précoces ; l’on force le terre et les saisons pour fournir à sa délicatesse : de simples bourgeois seulement à cause qu’ils étaient riches, ont eu l’audace d’avaler en un seul morceau la nourriture de cent familles. Tienne qui voudra contre de si grandes extrémités : je ne veux être, si je le puis, ni malheureux, ni heureux ; je me jette et me réfugie dans la médiocrité [1]. »
(Caractères, Chapitre VI, Des biens de fortune)
Du reste, le peuple est toujours pauvre... À la fin du siècle suivant, un peu avant la Révolution, l'agronome anglais Arthur Young, qui visite la France dans les années 1780, trace un portrait épouvantable des paysans français...
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Notes
[1] Juste milieu (sens du mot latin mediocris, moyen).
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Date de dernière mise à jour : 27/02/2024