Préciosité des sentiments
Continuant ses ravages de plus en plus profondément, la préciosité dénature les sentiments, surtout l’amour, qu’elle a obligé à s’accompagner chez l’homme d’un manège ridicule et à prendre chez la femme le masque d’une pruderie hypocrite.
Saint-Évremond, qui avant Molière avait fait la satire de cette préciosité morale dans son poème Le Cercle (1656), a rappelé à ce propos la curieuse définition des précieuses donnée un jour à la reine Christine de Suède : les précieuses sont « les jansénistes de l’amour ».Pour elles, l’amour était comme le terme d’un long voyage, dont toutes les étapes sont marquées dans la Carte de Tendre, décrite par Mlle de Scudéry dans sa Clélie. Et le mariage devait être précédé d’une série d’aventures romanesques, qu’énumère complaisamment Madelon dans Les Précieuse ridicules.
« Dans un lieu plus secret on tient la précieuse,
Occupée aux leçons de morale amoureuse.
Là, se font distinguer les fiertés des rigueurs,
Les dédains des mépris, les tourments des langueurs ;
On sait y démêler la crainte et les alarmes,
Discerner les traits, les appas et les charmes ;
On y parle du temps qu’on forme le désir :
Mouvement incertain de peine ou de plaisir.
Des premiers maux d’amour on connaît la naissance,
On a de leurs progrès une entière science,
Et toujours on ajuste à l’ordre des douleurs
Et le temps de la plainte et la saison des pleurs.
Saint-Évremond, Le Cercle.
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