La Guirlande de Julie
Origine de La Guirlande de Julie
L’une des filles de la marquise de Rambouillet, Julie d’Angennes, est hostile au mariage, comme un certain nombre de précieuses. Le duc de Montausier doit lui faire une cour assidue de quinze années avant de la convaincre de l’épouser. Julie capitule à la quarantaine : le mariage est célébré le 5 juillet 1645 dans le château de Rueil appartenant à Mme d’Aiguillon ; la régente Anne d’Autriche envoie pour l’occasion les vingt-quatre violons du roi.
Pour la convaincre de son amour, Montausier a fait à Julie un cadeau original : reprenant une mode italienne, il compose, en collaboration avec les autres habitués de l’Hôtel de Rambouillet, un recueil de pièces de vers célébrant, chacun sous le symbole d’une fleur allégorique, la beauté de la jeune fille. Offerte probablement le 1er janvier 1642 – le manuscrit porte la date de 1641 - ou pour sa fête le 22 mai 1641, La Guirlande de Julie figure le nec plus ultra de la galanterie du temps où la poésie se fait amoureuse et mondaine.
La guirlande est formée de 29 planches, accompagnées chacune d’un madrigal et d’un ou plusieurs sonnets. Le manuscrit est calligraphié par Nicolas Jarry et les fleurs peintes par Nicolas Robert. La reliure en maroquin rouge du Levant (avec les initiales de Julie gravées au dos en caractères dorés) est de Le Gascon. L'ouvrage est enfermé dans un étui de bois parfumé. La Guirlande a appartenu à la duchesse d’Uzès qui l’a gardée jusqu’à sa mort (1933) dans son château de Bonnelles.
Ce choix de la calligraphie, à une époque où les manuscrits enluminés sont supplantés par l’imprimerie, est délibéré : Julie étant unique, l’hommage doit l’être aussi. Par ailleurs, il rend ainsi hommage à Mme de Rambouillet qui introduit en France la coutume d’égayer la maison avec des corbeilles de fleurs et de parfumer les pièces avec des pots-pourris de pétales parfumés, selon la mode italienne.
Julie y est célébrée sous la forme - entre autres - du narcisse, de l’hyacinthe, de l’héliotrope (Montausier(1), de la tulipe (Godeau), de la rose (Cerisy), du lys (Tallemant des Réaux), de la violette (Desmarets), de la fleur d’Adonis – sans doute l’anémone – (Malleville).
Mlle de Scudéry se réserve le pavot et écrit :
« Accordez-moi le privilège
D’approcher de ce front de neige :
Et si je suis placé, comme il est à propos,
Auprès de ces soleils que le Soleil seconde,
Je leur donnerai le repos
Qu’ils dérobent à tout le monde. »
*
La Tulipe dénommée flamboyante et Godeau *
Permettez-moi, belle Julie,
De mêler mes vives couleurs
A celle de ces rares fleurs
Dont votre tête est embellie :
Je porte le nom glorieux
Qu'on doit donner à vos beaux yeux.
*
L'héliotrope et Montausier
A ce coup les Destins ont exaucé mes vœux ;
Leur bonté me permet de parer les cheveux
De l'incomparable Julie ;
Pour elle, Apollon (2), je t'oublie ;
Je n'adore plus que ses yeux.
C'est avecque leurs traits qu'Amour me fait la guerre ;
Je quitte le soleil des cieux
Pour suivre celui de la terre.
*
L'amarante (ou amaranthe) et Gombauld
Je suis la fleur d'amour qu'Amarante on appelle
Et qui viens de Julie adorer les beaux yeux.
Roses, retirez-vous, j'ai le nom d'immortelle (3) !
Il n'appartient qu'à moi de couronner les dieux.
*
La violette et Desmarets de Saint-Sorlin
Franche d'ambition, je me cache sous l'herbe,
Modeste en ma couleur, modeste en mon séjour ;
Mais, si sur votre front je puis me voir un jour,
La plus humble des fleurs sera la plus superbe (4)
*
Notes :
(1) Sans compter la dédicace en vers, Montausier s'était réservé quinze fleurs.
(2) Apollon : le dieu du soleil, vers qui l'héliotrope se tourne comme l'indique l'étymologie du mot titré du grec (soleil + je me tourne).
(3) L'amarante, chez les Anciens, était le symbole de l'immortalité.
* Peut-être de Montausier.
Opinions diverses sur Julie d'Angennes
Dans Le Grand Cyrus, Mlle de Scudéry dresse ainsi le portrait de Julie d’Angennes :
« Philonide est une personne dont la naissance est des plus heureuses du monde. Sa taille est des plus grandes et des mieux faites ; sa beauté est de bonne mine ; sa grâce est la plus naturelle qui sera jamais ; son esprit est le plus charmant, le plus aisé et le plus galant du monde ; elle écrit aussi bien qu’elle parle et elle parle aussi bien qu’on peut parler. Elle est merveilleusement éclairée en toutes les belles choses et n’ignore rien de ce qu’une personne de sa condition doit savoir. Mais ce qu’il y a de merveilleux est qu’elle est tellement née pour le monde, pour les grandes fêtes et pour faire les honneurs d’une grande cour, qu’on ne peut pas l’être davantage. La parure lui sied si bien et l’embarrasse si peu qu’on dirait qu’elle ne peut être autrement, et les plaisirs la cherchent de telle sorte que je ne pense pas qu’elle ait jamais été enrhumée en un jour où il y ait eu un divertissement à recevoir ; et, si je l’ai vue quelquefois malade, ç’a été en certains temps mélancoliques où il n’y avait rien d’agréable à faire ; encore ne l’était-elle qu’autant qu’il le fallait être pour attirer toute la cour dans sa chambre et non pas assez pour se priver de la conversation. »
Toutefois, Mlle de Scudéry s’interroge : comment Philonide peut-elle répondre à l’amitié de tant de personnes ? Julie, à la différence de sa mère, est ambitieuse et avide de succès mondains. Quels sentiments véritables cache-t-elle derrière son amabilité ? L’auteur conclut en disant : « elle seule sait positivement qui elle aime et combien elle aime. » Lucide, Mlle de Scudéry est au fait de la nature artificielle de la représentation mondaine, modèle de comportement fort codifié.
Tallemant des Réaux (Historiettes) nous dit que sa beauté est célébrée par tous mais il ajoute : « Cependant ce n'a jamais été une beauté. »
Selon Mme de Motteville (Mémoires), elle montre « de l'âpreté pour tout ce qu'on appelle la faveur. » Elle poursuit : « Elle traitait ses amis et amies d’une manière si honnête, qu’il était impossible de ne pas désirer de lui plaire. […] Les obligeantes démonstrations quelle donnait de son amitié flattaient toutes les personnes qui la voyaient ; et par elle chacun croyait y trouver son compte. On disait néanmoins qu’elle avait un défaut : mais elle était quelquefois la confidente du murmure qui se faisait contre elle. On lui reprochait qu’elle voulait toujours contenter par sa civilité ceux mêmes qui n’avaient pas de part à son estime ; et ceux qui croyaient la mériter se plaignaient de ce qu’il semblait qu’elle la donnait à tous également, et disaient qu’elle entrait dans les intérêts de plusieurs ; et que pour vouloir trop d’amis, elle n’en avait pas un. »
Après son mariage avec Montausier qui a une charge à la cour, elle s'intéresse aux querelles et intrigues de palais et est nommée dame d'honneur de la reine en 1664.
Lettre de Mme de Sablé à Mlle de Rambouillet (1642)
Cette lettre de Mme de Sablé à Mlle de Rambouillet porte la simple mention 1642 :
« Je vous ai trouvée si bien instruite dans toutes les précautions de la poltronnerie que je doute un peu si j’avais raison, il y a deux jours, de disputer avec une personne de vos amies que vous aviez vu Mlle de Bourbon sans frayeur. Ce n’est pas, comme vous pouvez juger, que je veuille ôter à votre générosité tous les avantages qu’elle mérite ; car je sais fort bien que si vous en aviez besoin, elle vous ferait surmonter toutes ces choses pour ne manquer jamais à aucun devoir ; mais je vous avoue que je ne suis guère plus persuadée de l’amitié que vous avez pour vos amis que je le suis de votre hardiesse. Néanmoins vous avez fait de si belles réflexions sur la timidité que j’ai sujet d’espérer que, puisque vous connaissez si bien les dangers, vous pourrez un jour les craindre, et qu’enfin vous ferez ce plaisir à vos amis de vous conserver mieux à l’avenir. Au reste vous avez dit tout ce qui se peut penser sur la frayeur, et vous n’avez jamais rien écrit de plus mignon ; mais je vous réponds que, quoique vous en pensiez, vous avez été bien au-delà de mes précautions. Je ne prends pas plus de sûreté avec mon médecin que vous m’en offrez, en me promettant de changer d’habit ; car lorsque j’ai besoin de lui, je me résous fort bien à la voir en sortant[1] de la petite vérole, pourvu qu’il quitte une soutane grasse qui est plus capable de prendre du mauvais air qu’une robe bien nette , et tout de bon, j’ai lu vos lettres à Mme de Maure et les miennes sans les faire chauffer ; enfin je sais, et j’en suis ravie, que mademoiselle de Bourbon est guérie. En toutes façons j’aurai une joie sans pareille d’avoir l’honneur de vous voir. »
Pérennité de l'esprit précieux : Julie d'Angennes et Bussy-Rabutin
Dans les années 1663-1664, Mme de Montausier (l’ex-Julie d’Angennes) assiste, en compagnie de Monsieur (Philippe, duc d’Orléans, frère du roi), et la jeune marquise de Montespan à la lecture des Maximes d’amour de Bussy-Rabutin, cousin de Mme de Sévigné. Celui-ci nous raconte l’événement.
« Je lisais d’abord la question, et avant que de passer outre, Monsieur et puis ces dames la résolvaient suivant leurs sentiments ; après cela, je lisais la maxime. Mais je remarquai que madame de Montespan, toute jeune qu’elle était, avait déjà un bon sens sur l’amour, et bien droit, qui lui faisait toujours décider la question comme je l’avais décidée, moi qui y avais longtemps pensé.
Après que j’eus achevé cette lecture, « Il y a bien de l’esprit là-dedans, dit madame de Montausier. – Il y a bien de l’amour, dit madame de Montespan. – Il n’est pas possible, dit Monsieur, que Bussy ait écrit cela sans avoir une grande passion. – Aussi avais-je, Monsieur », répondis-je. Après quelques autres discours sur cette matière, Monsieur me fit un petit remercîment et se leva pour aller porter au Roi le manuscrit de ces Maximes. »
Julie est alors âgée d’une soixantaine d’années. Elle mourra en 1671. On peut noter que, même dans la seconde partie du siècle, la mentalité des salons et ruelles, dont elle fut un symbole éclatant, est encore à l’honneur et si Mme de Montespan remarque « l’amour », Julie évoque « l’esprit » de ces maximes.
Sources de ce paragraphe : Mémoires du comte de Bussy-Rabutin, Mercure de France, 2010.
* * *
Défense du mot « car »
En 1637, Mlle de Rambouillet (Julie d’Angennes) reçoit cette lettre de Voiture. Gomberville s’étant déclaré entre le mot car, qu’il voulait remplacer par pour ce que, « on conclut de son discours, dit Pellisson, que l’Académie voulait bannir le car, et bien qu’elle n’en ait jamais eu la moindre pensée, on en fit mille railleries. Tel est le sujet de cette lettre.
« ...Mademoiselle, car étant d’une si grande considération[1] dans notre langue, j’approuve extrêmement le ressentiment que vous avez du tort que l’on veut lui faire, et je ne puis bien espérer de l’Académie dont vous me parlez, voyant qu’elle se veut établir par une si grande violence. En un temps où la fortune juge des tragédies par tous les endroits de l’Europe, je ne vois rien si digne de pitié que quand je vois que l’on est prêt de chasser et de faire le procès à un mot qui a si utilement servi cette monarchie[2], et qui, dans toutes les brouilleries de royaume, s’est toujours montré bon Français. Pour moi, je ne puis comprendre quelles raisons ils pourront alléguer contre une diction[3] qui marche toujours à la tête de la raison, et qui n’a point d’autre charge que de l’introduire. Je ne sais pour quel intérêt ils tâchent d’ôter à car ce qui lui appartient pour le donner à pour ce que, ni pourquoi ils veulent dire avec trois mots ce qu’ils peuvent dire avec trois lettres. Ce qui est le plus à craindre, Mademoiselle, c’est qu’après cette injustice, on en entreprendra d’autres. On ne fera point de difficulté d’attaquer mais, et je ne sais si si demeurera en sûreté. De sorte qu’après nous avoir ôté toutes les paroles qui lient les autres, les beaux esprits nous voudront réduire au langage des anges, ou, si cela ne se peut, ils nous obligeront au moins à ne parler que par signes. Certes, j’avoue qu’il est vrai que ce que vous dites, qu’on ne peut mieux connaître par aucun exemple l’incertitude des choses humaines. Qui m’eût dit, il y a quelques année, que j’eusse dû vivre plus longtemps que car, j’eusse cru qu’il m’eût promis une vie plus longue que celles des patriarches. Cependant, il se trouve qu’après avoir vécu onze cents ans, plein de force et de crédit, après avoir été employé dans les plus importants traités, et assisté toujours honorablement dans le conseil de nos rois, il tombe tout d’un coup en disgrâce et est menacé d’une fin violente. Je n’attends plus que l’heure d’entendre en l’air des voix lamentables qui diront : le grand car est mort, et le trépas du grand Cam[4] ni du grand Pan[5] ne me semblerait pas si important ni si étrange. Je sais que si l’on consulte là-dessus un des plus beaux esprits de notre siècle[6] et que j’aime extrêmement, il dira qu’il faut condamner cette nouveauté, qu’il faut user du car de nos pères, aussi bien que de leur terre et de leur soleil, et que l’on ne doit point chasser un mot qui a été dans la bouche de Charlemagne et de saint Louis. Mais c’est vous principalement, Mademoiselle, qui êtes obligée d’en prendre la protection. Puisque la plus grande force et la plus parfaite beauté de notre langue est en la vôtre, vous y devez avoir une souveraine puissance, et faire vivre ou mourir les paroles comme il vous plaît. Aussi crois-je que vous avez déjà sauvé celle-ci du hasard qu’elle courait, et qu’en l’enfermant dans votre lettre, vous l’avez mise comme dans un asile et dans un lieu de gloire, où le temps et l’envie ne la sauraient toucher[7].
Vincent Voiture
[1] Importance.
[2] Allusion à la formule des actes royaux « car tel est notre bon plaisir ».
[3] Mot.
[4] Khan : prince tartare ou persan.
[5] D’après un récit de Suétone et de Plutarque, les passagers d’un navire, en longeant une île, avaient entendu une voix qui répétait ces mots entremêlés à des gémissements : « le grand Pan est mort ».
[6] Guez de Balzac.
[7] Car, ainsi défendu par Voiture, en même temps que par Vaugelas et Desmarets, échappa à la proscription dont il était menacé. La Bruyère, dans ses Caractères (chap. XIV, « De quelques usages »), se félicite qu’il n’ait pas disparu : « Quelle persécution le car n’a-t-il pas essuyé ! et s’il n’eût trouvé de la protection parmi les gens polis, n’était-il pas banni honteusement d’une langue à qui il a rendu de si longs services, sans qu’on sût que mot lui substituer ? »
Un acrostiche
Voici un madrigal précieux tiré de La Guirlande de Julie :
Je ne saurais nommer celle sui sait me plaire
Un fat peut se vanter, un amant doit se taire
La pudeur qu'alarmait l'impétueux désir
Inventa sagement le voile du mystère
Et l'amour étonné connut le vrai plaisir.
(Anonyme)
Date de dernière mise à jour : 27/04/2020