Fable contre la préciosité
Fable : « La Fille » (La Fontaine)
La fable 5 « La Fille » du Livre VII, associée par La Fontaine à celle du « Héron », semble être de son invention mais une épigramme de Martial (V, 17) a pu lui en inspirer l’idée. Il se moque ici des Précieuses.
La Fille
Certaine fille, un peu trop fière,
Prétendait trouver un mari
Jeune, bien fait et beau, d'agréable manière[1],
Point froid et point jaloux : notez ces deux points-ci.
Cette fille voulait aussi
Qu'il eût du bien, de la naissance,
De l'esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir ?
Le destin se montra soigneux de la pourvoir :
Il vint des partis d'importance.
La belle les trouva trop chétifs de moitié :
« Quoi ? moi ! quoi ? ces gens-là[2] ! l'on radote, je pense.
À moi les proposer ! hélas ! ils font pitié :
Voyez un peu la belle espèce ! »
L'un n'avait en l'esprit nulle délicatesse ;
L'autre avait le nez fait de cette façon-là :
C'était ceci, c'était cela ;
C'était tout[3], car les précieuses[4]
Font dessus tout les dédaigneuses.
Après les bons partis, les médiocres gens
Vinrent se mettre sur les rangs.
Elle de se moquer. « Ah ! vraiment je suis bonne
De leur ouvrir la porte ! Ils pensent que je suis
Fort en peine de ma personne :
Grâce à Dieu, je passe les nuits
Sans chagrin, quoique en solitude. »
La belle se sut gré de tous ces sentiments ;
L'âge la fit déchoir : adieu tous les amants.
Un an se passe, et deux, avec inquiétude ;
Le chagrin vient ensuite ; elle sent chaque jour
Déloger quelques Ris, quelques Jeux, puis l'Amour ;
Puis ses traits choquer et déplaire ;
Puis[5] cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire
Qu'elle échappât au temps, cet insigne larron[6].
Les ruines d'une maison
Se peuvent réparer : que n'est cet avantage
Pour les ruines du visage ?
Sa préciosité changea lors de langage.
Son miroir lui disait : « Prenez vite un mari. »
Je ne sais quel désir le lui disait aussi :
Le désir peut loger chez une précieuse[7].
Celle-ci fit un choix qu'on n'aurait jamais cru,
Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse
De rencontrer un malotru[8].
[1] Façon d’être, genre.
[2] Exclamations et coupes qui rendent bien l’indignation de la belle.
[3] Ici, c’est la Fontaine qui riposte en imitant le ton dédaigneux de la fille.
[4] Ce mot, primitivement favorable, ne marquait plus alors qu’une affectation et un raffinement maniéré.
[5] Puis ce sont cent sortes...
[6] Souvenir vraisemblable d’Ésope : « Un à un, les années dans leur marche nous volent tous nos biens : elles nous ont pris les plaisanteries, l’amour, les festins, le jeu. »
[7] Les Précieuses s’estiment d’un trop haut prix pour ne pas faire fi du mariage. Cf. Molière : « Pour moi, tout ce que puis vous dire, c’est que je trouve le mariage une chose tout à fait choquante. » (Les Précieuses ridicules).
[8] « Terme d’injure et de mépris ; personne misérable, maussade, mal faite, mal bâtie. » (Aca.)
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Date de dernière mise à jour : 15/09/2017