La princesse Palatine et l'argent
Pauvreté... relative !
La princesse Palatine arrive avec une dot fort maigre constituée avant tout de ses bijoux mais le contrat de mariage comporte une clause intéressante pour la France : elle renonce à ses droits sur le Palatinat, ce qui permettra plus tard à Louis XIV d’en revendiquer une partie. Elle sera donc réduite à un maigre budget et elle s’en plaint souvent dans ses lettres. D’autant que Monsieur dépense sans compter pour ses favoris.
« Vous ne pouvez vous faire une idée de la misère où je suis moi-même ; je n’ai que cent pistoles par moi, je ne puis jamais donner moins d’une pistole ; au bout de huit jours il ne me reste plus rien ; tout mon argent a passé en fruits, en ports de lettres et en fleurs. Quand le roi me donne quelque chose, il faut que je l’emploie à payer les vieilles dettes et il ne me donne qu’au nouvel an. Monsieur ne me donne jamais un seul denier. Si je veux acheter la moindre bagatelle, il faut que j’emprunte : il m’est donc absolument impossible de faire des cadeaux. » (20 mai 1689)
Bien entendu, il faut relativiser : elle vit dans le luxe, dispose d’une foule de domestiques, a une table raffinée, des toilettes somptueuses, des carrosses, des chevaux, etc. Cent pistoles, soit 1 100 livres, correspondent au salaire mensuel de vingt ouvriers… Pas mal pour de l’argent de poche !
« Après les vêpres, le roi m’a fait la grâce de m‘envoyer deux mille pistoles. Bien que ce soit du pain mangé d’avance et que je ne puisse en profiter, vu que je n’ai employé cet argent qu’à payer mes vieilles dettes, la chose ne m’en a pas moins fait plaisir, d’abord parce que je vois par là que cette année-ci je ne suis plus autant en disgrâce que l’année dernière et secondement cela soutient mon crédit auprès de ceux qui me prêtent de l’argent, de voir que je paie mes dettes. » (7 janvier 1691)
« Commençons par Monsieur. Il n’a absolument rien d’autre en tête que ses jeunes garçons. Il passe des nuits entières à manger et à boire avec eux, il leur donne d’énormes sommes d’argent. Pour eux, rien ne lui coûte, rien n’est trop cher, et pendant ce temps-là, ses enfants et moi nous avons à peine le nécessaire. Quand j’ai besoin de chemises et de draps, il me faut les mendier pendant un temps infini, tandis qu’il donne dix mille écus à La Carte [1] pour acheter son linge en Flandre. Et comme il sait parfaitement que je ne dois pas ignorer où il passe tout l’argent, il se méfie de moi et craint que je ne raconte la chose au roi, qui pourrait bien chasser les jeunes drôles […].
Monsieur a fait fondre et vendre toute l’argenterie qui est venue du Palatinat [2], et il en a distribué l’argent à ses mignons. Chaque jour, on lui en amène de nouveaux, et, pour leur faire des cadeaux, il vend ou met en gage tous ses bijoux. Aussi, j’en prends Dieu à témoin, si Monsieur venait à mourir aujourd’hui, demain il me faudrait vivre uniquement des grâces du roi, et je ne trouverais pas de pain. Monsieur dit hautement, et il ne l’a caché ni à sa fille ni à moi, que, comme il commence à se faire vieux, il n’a pas de temps à perdre ; qu’il veut tout employer et ne rien épargner pour s’amuser jusqu’à la fin ; que ceux qui lui survivront verront à passer le temps à leur guise ; mais qu’il s’aime mieux que moi et ses enfants, et qu’en conséquence il veut, tant qu’il vivra, ne s’occuper que de lui. Et il le fait comme il le dit […].
Pour m’ôter de la tête ces tristes réflexions, je chasse tant que je peux ; mais bientôt mes pauvres chevaux ne pourront plus aller, car Monsieur ne m’en a jamais acheté de nouveaux, et à coup sûr il ne m’en achètera pas. Jusqu’ici le roi me les a donnés, mais maintenant les temps sont durs. » (7 mars 1696)
« Malheureusement on m’a mariée selon les us et coutumes de Paris. Il peut se faire quoiqu’on m’attribue un grand avoir, que j’en sois réduite à vivre un jour uniquement des grâces, car que Monsieur dissipe son bien et le mien et qu’il vienne à mourir avant moi, il ne me reviendra rien d’aucune part, l’apanage ne peut pas m’échoir, vu que, si mon fils décédait sans laisser d’héritier mâle, il ferait retour au roi comme fief masculin ; il ne me restera donc pas un liard. L’apanage écherra à mon fils, je n’y peux prétendre. » (3 avril 1699)
« Pendant les cinq premières années que j’ai passées en France, le roi ne m’a pas donné d’étrennes ; mais à partir de la sixième il m’en donna tous les ans jusqu’à l’époque où l’on me mit en pénitence pour n’avoir pas voulu vendre mes enfants [allusion au mariage de son fils]. Mais depuis j’en reçus de nouveau ; d’abord trois mille, ensuite deux mille, et depuis six ans mille seulement. » (27 janvier 1700)
« La princesse Palatine [Anne de Gonzague] est cause que je suis si pauvre. Elle a fait faire mon contrat de mariage plus mal que celui d’une bourgeoise […]. Qu’est-ce que cela peut me faire que mon fils soit régent ? L’argent du roi n’est pas à lui et je n’en voudrais pas un louis : « Je sommes pauvres mais j’avons de l’honneur » comme dit le proverbe de paysans, que citait souvent mon bon ami le pauvre duc de Créqui. Mon fils va encore plus loin. Comme régent il a droit à de grosses sommes : il n’a jamais voulu les toucher. » (24 juillet 1718)
« A l’exception de Mme de Châteautiers, je ne connais personne en ce pays qui ne soit intéressé : tout le monde veut gouverner pour devenir riche. Quoique, à considérer mon état, je sois pauvre, je ne me donnerais aucune peine pour augmenter mon revenu. Mme du Berry [morte dans la nuit du 20 au 21 juillet 1719, après une courte existence marquée d’excès de tous ordres] qui en avait le double du mien laisse, outre ce qu’on pourra payer avec l’argent qui lui restait, quatre cent mille livres de dettes, à mon fils. S’il plaît à Dieu, on ne trouvera pas mes affaires en cet état-là après ma mort. » (6 août 1719)
« C’est aujourd’hui la fête de Saint-Cloud […], c’est pourquoi je vous envoie mon visage de chat-singe-ours, comme S.G. l’électeur notre père avait coutume de dire ; je pense que mon portrait vous sera tout aussi agréable que la petite boîte que j’ai coutume de vous envoyer chaque année. Je vais à l’avenir pouvoir vous faire de plus beaux cadeaux, car mon fils a augmenté mon revenu de cinquante mille écus français, ce qui fait cent soixante mille francs ; me voilà donc riche, comme vous voyez, chère Louise. » (7 septembre 1719)
« L’augmentation de pension que mon fils m’a accordée m’est venue à point, car on m’avait fort mal traitée à la mort de mon mari. Ce n’avait pas été la faute de mon fils mais bien celle de la vieille ordure [Mme de Maintenon]. Elle m’avait fait malmener par les gens de mon fils, en leur disant que telle était la volonté du roi. Ce n’était là qu’un mensonge et la preuve est que le roi augmenta ma pension de quarante mille livres dès que je lui fis savoir qu’elle ne permettait pas de joindre les deux bouts. » (1er octobre 1719).
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Notes
[1] Un de ses favoris.
[2] Ravagé par les troupes françaises.
Le système de Law dans les lettres de la princesse Palatine
Le système de l'Ecossais Law [prononcé Lass par les Français] fait fureur. La Palatine en profite, comme bien d'autres :
« Mon fils m’a fait remettre quatre cents actions pour ma maison. Quoique cela fasse deux millions, il n’y en a eu que pour ceux de mes gens qui sont en quartier [le service s'effectuait par trimestre ou quartier] et pour les domestiques ordinaires. » (23 novembre 1719)
« Tout devient horriblement cher ; il faut donner le double de toute chose, n’importe laquelle. D’Angleterre on envoie tous les diamants, tous les joyaux, tous les bijoux : ceux qui ont fait des gains si colossaux avec les actions achètent tout sans marchander. Il se passe d’étranges histoires. Il y a quelques jours, une dame était à l‘Opéra. Elle en vit venir une autre fort laide, mais ayant les plus beaux habits du monde et couverte de diamants. La fille de Mme Begond se met à dire à sa mère : « Ma mère regardez bien cette dame parée : il me semble que c’est notre cuisinière Marie. – Eh, taisez-vous, ma fille répond la mère ; cela ne peut être. – Eh, ma mère, reprend la fille, au nom de Dieu, regardez ! » Elle la regarde fixement et dit : « Je ne sais plus que penser ; elle lui ressemble bien. » Tout le monde à l’amphithéâtre commence à murmurer : « Marie, la cuisinière. » Celle-ci se lève et dit tout haut : « Hé bien oui, je suis Marie, la cuisinière de Mme Begond. Je suis devenue riche, je me pare de mon bien : je n’en dois rien à personne ; j’aime me parer, je me pare ; cela ne fait tort à personne. Qu’a donc (sic) à relire à cela ? » Vous pensez comme on a ri. » (3 décembre 1719)
Mais la princesse Palatine est clairvoyante : « L'or est devenu une divinité ici, on n'a plus d'autre préoccupation. Cette grande folie me paraît affreuse », écrit-elle le 9 décembre 1719.
L'effroyable banqueroute aura lieu en 1720, comme en témoigne la Palatine :
« Je ne dirai plus rien des millions d’ici ; j’en suis si lasse que je ne peux plus en entendre parler, et j’ai honte que des princesses du sang se bousculent et se battent à la banque par pur intérêt et pour ramasser de l’argent. Je trouve cela ignominieux. » (18 janvier 1720)
« Paris n’est plus tellement rempli de monde qu’il l’était ; la cherté des vivres en fait partir beaucoup. Aujourd’hui l’on a défendu de payer en or et en argent ; les louis et les écus ne valent plus rie ; il n’y a plus que des billets de banque et des pièces de vingt sous. Je ne permets pas qu’on me parle de millions, d’actions, de primes et de souscriptions. Je n’y comprends rien et cela me paraît ennuyeux. Je ne connais personne en France qui soit absolument désintéressé si ce n’est mon fils et Mme de Châteautiers. Tous les autres sont affreusement intéressés, en particulier les princes et princesses du sang : ce monde-là échange des horions avec les commis de la banque. » (4 février 1720)
« Je trouve fort ennuyeux qu’on ne voie plus d’or. Il y a quarante-huit ans que j’en avais toujours en poche et maintenant je n’ai plus que des pièces d’argent. » (31 mars 1720)
« Tous les jours, il me faut entendre des choses désagréables. Tantôt on vient me dire que je n’aurai plus rien à manger, mes officiers et mes pourvoyeurs ne pouvant plus endurer de n’avoir que des billets et pas d’argent, tantôt on me prévient que je ne peux avoir ni bas ni habits vu que les marchands n’acceptent plus en paiement des billets de banque, tantôt encore on dit que Paris va se soulever [...].
Il faut que je vous conte l’horrible frayeur que j’ai eue hier. J’allai à mon ordinaire, en voiture, aux Carmélites [Madame était à Saint-Cloud] ; j’y trouvai la duchesse de Lude et nous étions bien tranquilles quand entra Mme de Châteautiers, pâle comme une morte, qui me dit : « Madame, on ne saurait vous cacher ce qui se passe, vous trouverez toutes les cours du Palais-Royal remplies de peuple, ils vont porter des corps morts écrasés à la banque ; Law a été obligé de se sauver au Palais-Royal, on a déchiré son carrosse après qu’il en a été sorti, en mille pièces, ils ont forcé les portes à six heures du matin. » Je vous laisse à penser quelle émotion je ressentis, mais je n’en laissai rien paraître, car il ne faut pas qu’on ait l’air d’avoir peur. J’allai donc voir le roi comme à l’ordinaire. Je dus horriblement me contraindre. En arrivant à la rue saint-Honoré, il me fallut attendre une demi-heure avant de pouvoir passer, tellement la presse était grande. J’entendais le peuple qui murmurait, mais contre Law seul, ils ne disaient rien de mon fils et me bénissaient, moi. Enfin j’arrivai au Palais mais le calme était déjà rétabli et le peuple s’était retiré. Mon fils vint chez moi et me raconta que toute cette histoire avait commencé à propos de dix sous. Ceux qui ont été étouffés dans la presse n’étaient pas de pauvres diables. L’un d’eux avait cent écus en poche et aucun des écrasés, n’était sans argent. C’était donc par pure cupidité qu’ils en étaient venus. Qu’on ait envahi le Palais-Royal, cela s’est fait certainement à l’instigation de méchantes gens qui détestent horriblement mon pauvre fils. » (14 juillet 1720).
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Date de dernière mise à jour : 16/10/2017