La Palatine hait Mme de Maintenon
La princesse Palatine et Mme de Maintenon ou la haine du siècle
La jeune Élisabeth-Charlotte appelle Louis XIV « le grand homme » et en tombe plus ou moins amoureuse, ce qui explique en partie la haine qu’elle voue à Mme de Maintenon, qui est bien la seule à lui faire perdre son bon sens, une haine aveugle et virulente, la « haine du siècle », a-t-on pu dire. On se moque de cet amour, aussi bien les courtisans que Mme de Sévigné ou Mme de Maintenon elle-même qui écrit : « Madame se porte bien. La joie est peinte sur son visage de la guérison du roi. » La princesse Palatine n’y va pas de main morte, la traitant de « vieille ripopée », de « pantocrate » [1], de « vieille guenipe » ou simplement de « vieille ». Elle remarque, entre autres : « Ce qu’il y a de certain, c’est que le roi n’a jamais eu pour aucune maîtresse la passion qu’il a pour celle-ci ; c’est quelque chose de curieux à voir, quand ils sont ensemble. »
Voici donc quelques extraits. L'article est un peu long mais nous paraît nécessaire dans la mesure où les Lettres de la Palatine ont profondément influencé l'image très négative que la postérité se fit de Mme de Maintenon. Il semble que la réalité soit plus nuancée.
Elle remarque le changement du roi, qu’elle attribue à Mme de Maintenon : « Le roi change en tout d’une manière si effrayante que je ne le reconnais plus. Je vois bien d’où provient tout ce changement, mais je n’y puis rien faire ; il me faut donc prendre patience, et, pour que mes ennemis ne se réjouissent pas trop en me voyant triste, je ne laisse rien paraître de mon chagrin, je me montre même très gaie. Cela n’empêche pas qu’au fond je souffre de me voir traiter de la sorte […]. Si l’on est assez curieux à la poste pour ouvrir cette lettre et la lire, ils y verront mon opinion, et cela m’épargnera la peine de la leur dire avec le temps ; c’est pourquoi je vous l’écris nettement et sans périphrases. » (1er novembre 1685)
À propos de Saint-Cyr orthographié Saint-Sire : « Le Roi et Mme de Maintenon seuls ordonnent tout et j’ai entendu le roi lui-même dire que les demoiselles y seront si bien élevées qu’il souhaiterait que ses filles eussent reçu une telle éducation. Le couvent qu’on leur a bâti est grand et beau. » (11 juin 1686)
Elle accuse les dévotes : « Au reste, je souhaiterais du fond de l’âme que toutes les dévotes d’ici (j’allais presque dire les bigotes) suivissent votre sermon et cherchassent tout ce qui pourrait amener l’union et la tranquillité ; mais jusqu’à présent ce ne sont pas du tout leurs maximes. On ne cherche au contraire qu’à exciter les gens les uns contre les autres, le mari contre sa femme, le père contre son fils, les domestiques contre leurs maîtres, et tout ce qui s’ensuit, de sorte que l’on rend tout le monde mécontent et malheureux […]. Il y a aussi un vieux proverbe allemand dont je comprends le sens à présent, et qui dit : « Là où le diable ne peut pas atteindre, il envoie une vieille femme. Nous tous, les membres de la famille royale, nous nous en apercevons bien. » (26 juin 1686)
Elle reproche à Mme de Maintenon de semer la discorde dans la famille royale : « A propos de Monsieur, frère du roi, son époux : « La vieille, la Maintenon, se fait un plaisir de rendre odieux au roi tous les membres de la famille royale et de les régenter, excepté Monsieur, qu’elle flatte auprès du Roi. Elle s’arrange de manière que Sa Majesté vive bien avec lui et fasse tout ce qu’il lui demande, ce qui est facile à accorder, comme vous l’entendrez plus loin. Mais, par-derrière, cette vieille craint qu’on ne pense qu’elle estime Monsieur ; aussi dès que quelqu’un de la cour parle avec elle, elle dit de lui pis que pendre, qu’il n’est bon à rien, que c’est l’homme le plus débauché du monde, sans secret, faux et indigne de toute confiance. La dauphine est malheureuse. Bien qu’elle fasse tout son possible pour plaire au roi, elle est journellement très maltraitée à l’instigation de la vieille, et il lui faut passer sa vie entre l’ennui et la grossesse [...]. La vieille a déjà tenté plus de dix fois de me brouiller avec la dauphine en lui disant qu’elle devait absolument rompre avec moi si elle voulait qu’elle la mît bien avec le roi ; mais lorsque Mme la dauphine a voulu savoir ce qu’elle trouvait à redire sur mon compte, elle n’a rien pu lui répondre. En attendant, je n’en dois pas moins souffrir auprès du roi la haine imméritée de cette femme, et auprès de Monsieur de la haine de mes anciens ennemis. Voilà ma position. Si j’avais le temps de vous écrire tous les détails, je suis sûre que vous les tiendriez presque pour incroyables ; mais, dans ce que je dis ici, voyez à peu près le plan général de la cour telle qu’elle est maintenant […]. Mme de Maintenon se joue de la princesse de Conti et de Mme de Bourbon comme si elle les tenait dans les plateaux d’une balance ; tantôt elle élève celle-ci et abaisse celle-là, tantôt elle met l’une en faveur et congédie l’autre. En ce moment c’est Mme de Bourbon qui est en faveur et la princesse de Conti qui est en disgrâce ; mais nous verrons sous peu un changement. La raison pour laquelle la princesse de Conti est actuellement en disgrâce, c’est que les espions ont dit au roi qu’elle s’était moquée de la Maintenon avec sa cousine la duchesse de Choiseul […]. Si vous voulez avoir encore d’autres détails sur la cour, je vous dirai que tous les ministres flattent cette femme et cherchent par mille bassesses à se mettre bien avec elle. Quant au reste, tout ce qu’il y a de personnes d’un âge raisonnable et d’honnêtes gens est triste ; ils n’ont pas d’argent, ils craignent les espions qui sont innombrables, ils sont mécontents, et cependant ils n’y peuvent rien faire. Tous les jeunes gens en général sont horriblement débauchés et adonnés à tous les vices, sans en excepter le mensonge et la tromperie ; ils regarderaient comme une honte de se piquer d’être gens d’honneur. Ils ne font que boire, se vautrer dans la débauche et tenir des propos obscènes ; le plus incapable occupe parmi eux le premier rang, c’est celui-là qu’ils estiment le plus. » (11 août 1686)
Elle ignore « le mariage de conscience » de Louis XIV et Mme de Maintenon : « Vous désirez savoir si cela est vrai que le roi ait épousé Mme de Maintenon. Vraiment je ne puis vous le dire. Peu de gens en doutent. Quant à moi, tant que la chose ne sera pas déclarée, j’aurai peine à le croire. À en juger par ce que sont les unions en ce pays-ci, s’ils étaient mariés, leur amour ne serait pas si fort qu’il l’est à cette heure à moins que le secret n’y ajoute un ragoût que les autres ne trouvent pas en l’état de mariage public. » (13 mai 1687) « Que vous dirai-je encore ? Je ne sais trop. La cour devient maintenant si ennuyeuse avec ces continuelles hypocrisies, qu’on n’y peut presque plus tenir, et tandis qu’on énerve les gens et qu’on les épuise jusqu’à la moelle pour les porter comme ils disent) à la vertu y à la crainte de Dieu, le roi choisit les êtres les plus vicieux du monde, tels que le chevalier et d’Effiat pour en faire sa compagnie ordinaire. Je n’ai pas pu savoir si le roi a oui ou non épousé la Maintenon. Il y en a beaucoup qui assurent qu’elle est sa femme, et que l’archevêque de Paris les a unis en présence du confesseur du roi et du frère de la Maintenon ; mais d’autres disent que ce n’est pas vrai, et il est impossible de savoir ce qu’il en est. En tout cas, ce qu’il y a de certain, c’est que le roi n’a jamais eu pour aucune maîtresse la passion qu’il a pour celle-ci ; c’est quelque chose de curieux à voir quand ils sont ensemble. Si elle est quelque part, il ne peut pas y tenir un quart d’heure sans aller lui parler à l’oreille et l’entretenir en secret, bien qu’elle ait été toute la journée auprès d’elle. Cette femme est un méchant diable que chacun recherche et craint fort, mais elle est peu aimée. Il n’est sorte de chicanes qu’elle ne cherche à la bonne Mme la dauphine, qui est bien la meilleure princesse du monde ; pleine de franchise, caractère excellent, elle fait cependant tout son possible pour se concilier la Maintenon. Celle-ci, par contre, a entièrement gagné le dauphin pour se faire d’autant plus craindre et particulièrement de la dauphine. Voilà dans quel état la cour est à présent. » (14 avril 1688) « Il y a déjà longtemps que la vieille ripopée [2] a cet effrayant pouvoir ; elle n’est pas si folle que de se faire déclarer reine. Si elle s’en avisait, elle tomberait bientôt en disgrâce et se perdrait. Plût à Dieu qu’elle eût été déclarée il y a cinq ou six ans ! Je ne serais pas alors dans la situation misérable où je vis. Mais j’aime mieux parler d’autre chose. » (8 juin 1692)
« On dit ici que la vieille ripopée est de très mauvaise humeur dans la ville où son bien-aimée l’a laissée, ce qui me donne quelque espoir. Cela doit faire tort à sa santé, et c’est une triste chose pour elle de ne l’avoir pas vu depuis un mois ; aussi je crois que la joie sera grande de part et d’autre quand la citadelle de Namur se rendra et qu’ils pourront se revoir. Le grand homme loge bien en route dans la même maison que cette ordure, mais ils ne couchent pas dans la même chambre et tout se passe avec grand mystère. Vous voyez par là qu’il ne l’a pas encore déclarée sa femme ; mais cela n’empêche pas qu’il ne s’enferme tous les jours avec elle quand ils sont ensemble, et que toute la cour, hommes et femmes, doit attendre à la porte. » (28 juin 1692)
« Je ne dis pas que le roi soit marié, mais en supposant qu’il le fût et qu’il voulût déclarer son mariage, personne ne dirait un mot là contre [3] Vous pouvez donc hardiment croire que les princes n’ont rien fait pour empêcher cette déclaration. Des gens qui pensent bien connaître l‘affaire assurent que jusqu’ici c’est le feu confesseur du roi, le père de La Chaise, qui s’y est opposé. Le temps nous apprendra le reste. » (7 février 1709)
L’influence de Mme de Maintenon est immense : « Le galant [4] a tellement peur de la vieille ordure du grand homme que même s’il avait envie de se remarier il n’en laisserait rien paraître tant qu’il verra que la chose n’a pas l’agrément de la dame. C’est effrayant comme il la craint » (7 septembre 1691)
Elle continue : « La duchesse pourra vous dire quel faux et méchant diable c’est que la vieille ordure, et comme quoi ce n’est pas ma faute si elle m’a voué une si terrible haine, attendu que je m’applique autant que possible à être bien avec elle. Elle rend le roi cruel, quoique par lui-même il ne le soit pas ; et lui qui, auparavant, paraissait tout triste quand ses troupes faisaient du désordre, il avoue maintenant que c’est lui-même qui ordonne de tout mettre à feu et à sang. Elle le rend si dur et tyrannique qu’il n’a plus pitié de rien. Vous ne sauriez croire ni vous figurer combien cette vieille est méchante, et cela sous les apparences de dévotion et d’humilité. Quant au roi lui-même, il ne me hait pas ; mais dès que sa vielle prend ses quintes, il me fait subir toute sorte de mauvais traitements et de dures paroles. » (10 octobre 1693)
Elle critique le nouveau médecin du roi, Fagon : « Le roi a disgracié son premier médecin et mis Fagon à sa place, le même qui a si vivement expédié la reine en la béatitude éternelle. Il ne m’est pas possible de vous écrire tout ce que je pense à ce sujet. Fagon est une créature de la vieille. » (3 novembre 1693)
Elle accuse Mme de Maintenon de vouloir faire interdire le théâtre : « Nous avons failli n’avoir plus de comédie. La Sorbonne, pour plaire au roi, a voulu la faire défendre ; mais l’archevêque de Paris et le père de La Chaise doivent avoir dit au roi que ce serait trop dangereux (de bannir les divertissements honnêtes) parce que cela pousserait la jeunesse à plusieurs vices abominables. Ainsi, Dieu soit loué ! La comédie nous reste : cela contrarie extrêmement, à ce qu’on assure, la vieille ratatinée du grand homme, attendu que c’était elle qui poussait à la suppression de la comédie. Elle doit même avoir fait à ce sujet de grandes menaces à l’archevêque de Paris et au confesseur. Quant à moi, tant qu’on ne supprimera pas entièrement la comédie, on aura beau faire déblatérer contre elle les prédicateurs en chaire, je continuerai d’y aller. Il y a quinze jours, comme on prêchait contre la comédie, qui anime les passions, disait le prédicateur, le roi se tourna vers moi et me dit : « Il ne prêche pas contre moi qui ne va plus à la comédie, mais contre vous autres qui l’aiment et y allez. » Je lui dis : « Quoique j’aime la comédie et que j’y aille, M. d’Agen ne prêche pas contre moi, car il ne parle que contre ceux qui se laissent exciter des passions aux comédies et ce n’est pas moi. Elle ne fait autre effet que de me divertir, et à cela il n’y a nul mal. » Le roi ne répliqua pas un mot. » (23 décembre 1694)
Mme de Maintenon s’oppose au mariage du dauphin avec la fille de la Palatine : « Il y a deux ans de cela, M. le dauphin était dans l’intention d’épouser ma fille et il le dit à la vieille ripopée. Elle ne le contredit pas […] mais fit chercher la princesse de Conti et sa confidente Mlle Choin et leur ordonna de ne laisser de repos à M. le dauphin qu’il ne leur eût promis de ne plus penser à ce mariage. Deux mois durant elles n’eurent de cesse nuit et jour, jusqu’à ce qu’il le leur eût promis. » (6 février 1695) « Mme de Maintenon qui depuis six années pleines et entières n’était pas venue me voir m’a fait un visite en règle […]. J’espérais qu’on penserait à ma fille pour M. le dauphin ; mais Monsieur m’a totalement enlevé cet espoir car, à ce que Sa Dilection m’a dit, le roi lui a déclaré qu’il ne fallait plus du tout penser à ce mariage et cela précisément le lendemain du jour où la dame m’a fait visite. » (15 octobre 1695)
Elle accuse Mme de Maintenon de feindre la maladie : « Monsieur m‘a dit une nouvelle hier, à savoir que la vieille est atteinte d’un cancer à la matrice. Quel bonheur ce serait, mais j’ai peine à le croire : souvent déjà j’ai remarqué qu’elle fait semblant d’être malade à la mort dès qu’elle craint que son homme ne lui échappe, afin de l’attendrir et de le ramener à elle et sitôt que c’est fait, elle reparaît fraîche et bien portante. » (27 février 1695)
Une condamnation implicite : « Mme de Maintenon a un cousin, M. de Villette, qui à l’âge de plus de soixante ans s’est épris d’une belle jeune fille sans sou ni maille. Hier il a écrit à Mme de Maintenon qu’il se considérait comme tenu de lui mander l’intention où il est de se marier, puis il ajoutait : « Je vous prie, Madame, de ne point me faire de réponse, je sais bien que vous n’approuvez point mon mariage, mais c’est l’amour qui me le fait faire, aussi rien ne m’en peut empêcher et je vous prie de faire réflexion au pouvoir de l’amour et combien de folies il a fait faire aux plus grands hommes. » (7 avril 1695)
Elle l’accuse des mauvaises relations qu’elle entretient avec son époux (Monsieur) : « Quant à la Maintenon, elle est tellement jalouse de son autorité, que Monsieur lui fait grand plaisir lorsqu’il dit du mal de moi au roi. À plusieurs reprises, elle aurait bien voulu m’animer contre Monsieur, car elle m’a souvent fait dire qu’il me blâmait beaucoup auprès du roi ; mais j’ai répondu que le roi serait assez juste pour examiner ce qui était vrai ou non, et que, comme je faisais de mon mieux pour avoir une conduite irréprochable, je ne devais pas m’inquiéter des mensonges que l’on débitait sur mon compte, car les menteurs en seraient pour la honte d’avoir menti ; mais que, si l’on me condamnait sans m’entendre, je me consolerais en pensant que je suis malheureuse, mais non coupable. Vous ne pouvez vous figurer quel méchant démon c’est que cette vieille, et comme elle cherche à exciter les gens les uns contre les autres. Bien qu’elle soit maintenant plus polie avec moi, il ne faut pas croire qu’elle me rendrait jamais le moindre service. Au fond, elle me déteste, et le roi fait aveuglément tout ce qu’elle veut. » (7 mars 1696) « Je suis derechef en disgrâce sans l’avoir mérité. Dès que j’entre chez le roi, madame l’ordure s’en va ; quand je la prie de rester, elle ne répond rien et n’en sort pas moins avec une moue moqueuse. On me traite d’une façon bien impolie. Tous les jours on me fait attendre une demi-heure à la porte du roi avant de me laisser entrer, quelquefois même on me renvoie, quoique dans ce moment-là tous les bâtards du roi et Monsieur lui-même se trouvent dans la chambre […]. Je vais droit mon chemin ; cependant il y a deux jours je n’ai pu m’empêcher d’en dire un mot au roi : ma fille avait été faire une promenade en voiture avec Mme de Chartres. Monsieur me demanda devant le roi si elle n’était pas rentrée ; je lui répondis : « J’ai envoyé chez elle, Monsieur, car comme on me fait toujours attendre une demi-heure avant que je puisse savoir si j’aurai l’honneur d’entrer ici j’ai cru que ma fille pourrait voir tout le temps d’y venir. » Le roi ne souffla mot. Si l’on peut recouvrer sa virginité après n’avoir pas pendant dix-neuf ans couché avec son mari, pour sûr je suis redevenue vierge. » (2 septembre 1696)
À propos de la religion : « La vieille ordure sait très bien comment elle doit gouverner son homme pour rester maîtresse de lui. Elle l’a fréquenté tant d’années qu’elle a appris à le connaître parfaitement, et comme elle a vu qu’on peut le tenir que par la peur, elle lui a fait peur de son mieux. Quelle fantaisie prend-il donc au roi de Suède de ne plus vouloir souffrir de réformés ? Il devrait cependant profiter de l’exemple des autres à qui ce procédé a si mal réussi. Sa cour doit être terriblement ennuyeuse. Je ne puis supporter les rois qui s’imaginent plaire à Dieu en priant. Ce n’est pas pour cela qu’il les a mis sur le trône. Faire le bien, exercer le droit et la justice, contenir les prêtres, et les forcer de s’en tenir à leurs prières sans démêler d’autres choses, voilà qu’elle devrait être la varie dévotion des rois. Qu’un roi fasse sa prière matin et soir, cela suffit ; du reste, il doit songer à rendre ses sujets heureux autant qu’il est en son pouvoir. Je suis de votre avis ; tout est vanité. » (23 mai 1696)
Et encore : « Mme de Chartres [5] et Mme la duchesse ont eu la semaine passée un grand éclaircissement avec le roi ; mais Mme de Chartres, à ce qu’il paraît, s’est mieux défendue que sa sœur. La dame régnante [6] a eu pourtant la générosité, bien qu’ayant de grandes raisons d’être mécontente d’elles de leur obtenir une audience du roi. Ces drôlesses n’épargnent pas plus le père que la belle-mère, car il y a trois ans elles faisaient de singulières chansons sur son compte. Cette fois il leur a dit rudement leur fait, et il semble être plus blessé des chansons qu’on a composées contre la Maintenon que de celles qu’on a faites contre lui-même. C’est quelque chose d’inouï que la passion qu’il a pour cette femme. Tout Paris dit qu’aussitôt la paix faire, le mariage sera déclaré et que la dame prendra son rang. Raison de plus pour que je me félicite de n’être plus la première, car au moins je suivrai quelque chose de bien et je ne serai pas obligée de présenter à cette dame la chemise et les gants. Si cela doit se faire, je voudrais que cela se fît dès à présent ; au moins tout reprendrait alors la vraie forme d’une cour, et l’on ne serait pas aussi séparé qu’on l’est à cette heure. » (25 novembre 1696)
Certes, le roi est attaché à Mme de Maintenon mais cela ne l’empêche pas de regarder parfois ailleurs… La Palatine, toujours jalouse de la favorite, semble s’en réjouir et ironise : « Pour vous prouver que j’ai raison de croire que notre Jupiter aurait encore des Alcmène [séduite en l'absence de son mari Amphitryon par Zeus, elle donna naissance à Héraclès], s’il osait et si on [Mme de Maintenon] ne lui faisait peur de Pluton, il faut que je vous raconte ceci : la semaine dernière, il y avait ici [à Versailles] une fort belle femmes, cousine de la maréchale de La Mothe ; elle s’appelle Mme de La Boissière. Elle passa quelques jours ici, puis s’en retourna à Paris. Notre Jupiter alors demanda : « Où est Mme de La Boissière ? – Elle est retournée à Paris, lui répondit-on. – J’en suis fort aise, dit-il, car j’avoue que quand je la vois, je ne puis m’empêcher d’avoir toujours les yeux attachés sur elle. » (9 décembre 1696) On peut s’étonner de la franchise du roi en public !
Elle critique l’influence de Mme de Maintenon sur la future duchesse de Bourgogne : « Je me garde donc bien de parler souvent à la princesse [7]. Aujourd’hui elle ira dîner avec le roi à Marly ; ainsi vous voyez qu’on la divertit fort ; mais elle ne doit s’amuser avec personne d’autre que le roi et Mme de Maintenon. Je crois que les comédies [8] qu’on va lui faire jouer à Saint-Cyr la dégoûteront de toutes les autres, de sorte qu’elle ne pourra plus les souffrir quand elle sera grande. Quand elle est seule avec le roi et Mme de Maintenon on lui laisse toutes ses volontés, elle peut se démener tant qu’elle veut. L’avenir nous apprendra ce que vaut une pareille éducation. » (17 janvier 1697) « La Pantecrate a un grand pouvoir ; toutefois, il paraît qu’elle n’est pas la femme la plus heureuse du monde, car elle pleure souvent à chaudes larmes et parle à chaque instant de la mort. Je crois pourtant que ce qu’elle ne fait n’est que pour voir ce qu’on en dira. La duchesse de Bourgogne prend de très mauvaises habitudes. Quand elle est en voiture, elle ne reste pas une minute à la même place, elle va sans cesse d’un coin à l’autre et ne fait que tournevirer comme un petit singe ; mais on trouve cela très gentil. Elle est maîtresse absolue dans sa chambre, on fait tout ce qu’elle veut. Quelquefois il lui prend fantaisie d’aller courir à cinq heures du matin ; on lui permet tout et on l’admire. Un autre donnerait le fouet à sa fille si elle se comportait de cette manière. Je crois qu’avec le temps on se repentira d’avoir ainsi laissé faire à cet enfant toutes ses volontés. (18 septembre 1698)
À propos du quiétisme : « Tous les dévots sont maintenant accusés d’être quiétistes ; le bruit court qu’on en chassera encore plus de la cour que de chez le duc de Bourgogne. La Pantecrate n’est pas aussi constante pour les amis qu’elle a faits dans la dévotion que pour ceux qu’elle a eus au Marais [9]. Le pauvre archevêque de Cambrai [10] a été son meilleur ami, et maintenant elle est sa plus grande ennemie, et elle le poursuit à outrance lui et tous les siens, comme vous voyez. Il est vrai qu’elle ne veut plus voir les hommes qui ont été autrefois ses amis et ses amants. » (31 décembre 1698)
Et toujours : « La Pantecrate ne m’a pas rendu ma visite ; elle s’imagine qu’elle peut faire aux gens tout le mal possible et qu’on ne doit rien en dire à ceux qui vous sont le plus chers. Elle doit bien savoir une chose, c’est que lorsqu’elle me fera autant de bien qu’elle m’a fait de mal, elle ne trouvera dans mes lettres que des louanges et des remerciements à son adresse ; mais je n’ai jamais vu que de chiens couchants aimer et caresser ceux qui leur font du mal et qui les battent, cela ne convient pas à l’homme. » (15 janvier 1699)
Très attachée à ses prérogatives, elle se sent humiliée : « J’ai demandé à Monsieur comment il se faisait qu’on ne m’a offert qu’un tabouret chez la dame. Il me répond que l’on ne donnait de chaise à bras à personne, ni au dauphin, ni au duc de Bourgogne, parce que le roi y venait fort souvent. Le prétexte est bon de ne permettre à personne d’avoir une chaise à bras, si ce n’est à a dame, à qui on le permet à cause de sa mauvaise santé ! De cette façon, on ne dit pas qu’elle est reine ou qu’elle ne l’est pas et portant elle en a le rang. » (19 juillet 1699)
Elle se venge, à sa manière : « Mme de Maintenon a eu hier très mal à la tête ; Mme la duchesse de Bourgogne a, comme d’ordinaire, passé toute la journée auprès d’elle ; on ne la trouve jamais dans sa chambre, elle est toujours chez cette dame. Quant à celle-ci, je n’ai pas fait demander de ses nouvelles ; elle est la seule de toute la France qui ne m’ait pas félicitée lors de la naissance de mon petit-fils ; elle n’a pas fait dire un seul mot. Puisqu’elle s’inquiète si peu de moi, il est juste que je ne m’inquiète pas beaucoup d’elle. » (16 septembre 1699)
Et aussi : « Sans doute la reine d’Angleterre [11] ne traite pas la Maintenon comme une reine ; elle-même ne veut pas qu’on la traite ainsi, quant au rang, mais elle veut qu’on ait pour elle autant de considération et même plus que si elle était reine. Elle entend qu’on la consulte sur tout et que rien ne se fasse que sur son conseil ou par son ordre. Or cela n’est pas mon affaire. Si elle avait continué à souffrir, comme auparavant, que je lui donnasse commission de dire au roi ce que je ne pouvais lui dire moi-même, peut-être bien aurais-je eu la faiblesse de tout lui confier et de suivre ses conseils. Mais comment peut-elle me le demander maintenant près m’avoir fait défendre par le roi, publiquement, devant tout le monde, dans la chambre de la reine, de lui donner de ma vie aucune commission pour lui ? J’ai suivi les ordres du roi, il n’y a rien à dire là contre ; si le roi n’eût ordonnée depuis lors de m’adresser de nouveau à elle, je l’eusse fait ; mais il me semble qu’elle ne devrait pas m’en vouloir de ce que j’exécute les ordres du roi. » (1er novembre 1699)
Elle explique les relations de Mme de Maintenon et Mme Dangeau : « Je connais bien une dame qui monte la pantocrate contre moi, à ce qu’on m’a dit. C’est Mme Dangeau et cela pour un motif que j’ignorais : il n’y a que dix jours que je le sais. Il y a quelques années, après la mort de Mme la dauphine, un quidam vint me demander de faire ma généalogie. Je n’y voyais aucun inconvénient et le lui permis. Il écrivit l’histoire de notre maison et y dit que les comtes de Löwenstein (famille allemande de Mme Dangeau) en étaient des bâtards. Le gaillard ayant écrit qu’il avait fait ce livre – que je n’avais jamais vu – avec la permission de Madame, la dame s’est imaginé qu’on avait mis cela pour lui faire un affront ; mais elle ne m’en a pas dit un mot. Elle est la favorite de la pantocrate […]. On dit qu’elle a sur celle-ci un pouvoir aussi absolu que celui de la dame sur le roi. » (7 avril 1701)
A la mort de Monsieur, son époux : « Mme de Maintenon était également très touchée et m’adressa quelques bonnes paroles […]. En conséquence, je chargeai le duc de Noailles de dire de ma part à cette dame que j’étais tellement touchée de toute l’amitié qu’elle m’avait témoignée dans mon malheur, que je la priais de prendre la peine de venir chez moi, car je ne pouvais sortir. Elle est venue en effet à six heures. Je lui ai d’abord répété combien l’étais contente d’elle, et je lui ai demandé son amitié. Je lui ai avoué aussi que j’avais été fâchée contre elle parce que je croyais qu’elle me haïssait et m’ôtait les bonnes grâces du roi, ce que j’avais d’ailleurs appris par la dauphine. J’ai ajouté que j’étais prête à tout oublier si elle voulait seulement âtre mon amie. Là-dessus elle me dit beaucoup de belles et éloquentes choses, me promit son amitié et nous nous embrassâmes. » (12 juin 1701)
Mais ces bonnes intentions ne durent pas : « En général, on me traite bien, mais en particulier on ne veut de moi nulle part. Hier j’avais à dire quelque chose au roi, je voulus me rendre auprès de Mme de Maintenon, mais je fus poliment éconduite : elle fit dire que si j’avais à ordonner quelque chose, elle ferait prendre mes ordres dans ma chambre. Je compris bien que cela signifiait que je ne devais pas venir chez elle. C’est pourquoi je lui écrivis ce que j’avais à lui communiquer. Après le souper, il est vrai, le roi me fit venir dans son cabinet et me parla, mais dès que j’eus fini, il me renvoya. Tous les autres restèrent. Cela se fit certainement pour complaire à la duchesse de Bourgogne. Quoique de ma vie je ne lui ai rien fait, elle me hait d’une manière si atroce que ses traits s’altèrent rien qu’à me regarder. » (27 novembre 1701) « Le vrai motif pour lequel on ne me laisse pas pénétrer dans le particulier, c’est qu’on me trouve trop naturelle ; on a peur qu’il ne m’échappe des vérités qui pourraient trop ouvrir les yeux du roi. » (19 janvier 1702)
À propos de la guerre de Succession d’Espagne : « Le roi avait expressément ordonné à mon fils de ne rien faire sans prendre l’avis du maréchal de Marsin. Celui-ci était un homme timide qui n’osait rien entreprendre sans consulter Mme de Maintenon. Or elle s’entend à la guerre comme mon chien Titi […]. Quand alors un malheur arrive, elle hurle et pleure. » (28 septembre 1706) « La moitié des sommes qu’on reçoit sont en billets de monnaie, on perd un cinquième si l’on veut les changer contre de l’argent comptant […]. Le roi conserve une grande fermeté d’âme dans son malheur. La France et l’Espagne courent à leur perte, grâce à la rapacité de deux vieilles femmes, la princesses des Ursins, là-bas, et la Maintenon, ici. » (29 septembre 1706) « Le roi, M. le dauphin, le duc et la duchesse de Bourgogne, le duc de Berry et toute la cour sont venus me rendre visite et se sont réjouis avec moi [12]. La vieille dame est la seule qui ne soit pas venue […] ; elle ne m’a même pas fait dire le moindre mot. » (2 juin 1707)
Les Parisiens détestent Mme de Maintenon [13] :« Le maréchal de Boufflers et le duc de Gramont […] jetèrent de l’argent à la foule et promirent d’informer le roi qu’on leur avait promis du pain et de l’argent qu’on ne leur avait pas donné. Incontinent la révolte s’apaisa. Les gens lancèrent aussitôt leurs chapeaux en l’air en criant : « Vive le Roi et le pain ! » Les Parisiens sont pourtant de braves gens de se calmer si vite […]. Mais autant ils aiment leur roi et la famille royale, autant ils détestent Mme de Maintenon. Il faisait très chaud ; je voulus respirer un peu […]. Mais à peine étais-je à ma fenêtre [au Palais-Royal, sa résidence parisienne] qu’il se forma un grand attroupement, les gens me couvraient de bénédictions, mais ils se mirent à tenir de si horribles propos sur la dame que je dus rentrer et fermer les fenêtres. Aucun de mes gens ne peut plus se montrer, car dès qu’ils en voyaient un à la fenêtre ils recommençaient leurs discours, disant sans se gêner qu’ils voudraient la tenir pour la mettre en pièces ou la brûler comme une sorcière. » (12 août 1709)
Elle continue : « La dame toute-puissante se défie de moi, car sa vie durant elle m’a contrecarrée. Du temps de feu mon mari, les favoris de celui-ci avaient gagné la dame à leur cause […] lui disant qu’ils connaissaient son passé et la menaçant de le dévoiler au roi si elle ne prenait pas leur parti. Je tiens de la dame même qu’ils l’avaient menacée. » (9 décembre 1709)
À propos de la cour : « Je viens vous mander par M. Schoulembourg [orthographe fantaisiste] l’état où est actuellement la cour. Le roi est plus que jamais charmé de sa vielle beauté. Tout passe par ses mains et tout va de travers comme la taille de la vieille dame : elle compte faire sa pelote, tire de l’argent de tout et apprend ce métier à la duchesse de Bourgogne ; elle connaît tous les secrets d’État et les communique à celles-ci de sorte que rien ne reste caché. M. le dauphin est toujours épris de la Chouin qu’il a peut-être épousée [14] Cette Chouin est une futée, elle se refuse à paraître à la cour, car si elle y venait elle se verrait obligée de subir la férule de la belle-mère du dauphin, ce dont elle se garde bien. Elle ne voit que la duchesse de Bourgogne et ses favoris et Mme la duchesse qui est la favorite de M. le dauphin. C’est une grande grâce qu’elle leur fait quand elle leur permet de manger avec elle : c’est ce qu’on appelle ici le parvulo. C’est ce qu’il y a de plus secret et de plus privé. Cette Chouin a ses créatures partout ; le maréchal d’Ixelles, Albergotti, le conseiller d’État M. Bignon sont aussi ses conseillers. M. le duc de Bourgogne est le chef des dévots qui sont M. le duc de Beauvillier, le duc de Chevreuse, M. d’O. Cette cabale ne voit pas toujours d’un bon œil les deux autres et leur fait souvent de l’opposition au conseil ; toute la cour se partage entre les trois cabales. » (23 décembre 1710)
Le roi, on le sait, se laisse influencer en matière de religion : « Notre roi, en effet, est très pieux, mais il est fort ignorant des choses qui ont trait à la religion : jamais de sa vie il n’a lu la Bible ; il croit tout ce que lui disent les prêtres et les faux dévots (La Maintenon). Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que les choses aient pris une si mauvaise tournure. On lui dit : « Il faut que ce soit ainsi. » Il n’a jamais entendu autre chose et croirait se damner en écoutant ce que d’autres personnes pourraient lui dire. » (7 mai 1711)
Elle reconnaît que« Mme de Maintenon ne paraît pas du tout son âge. Elle a maigri un peu, cela est vrai, mais elle a fort bonne mine encore. Je ne l’ai pas vue de près depuis six mois. » (30 septembre 1711)
À propos du comportement et des mœurs de la duchesse de Berry : « Mardi dernier, j’allai voir la dame toute-puissante. Elle me dit de renvoyer mes dames dans la chambre à côté. Cela commençait si sérieusement que le cœur se mit à me battre, et que je crus qu’elle allait me faire la leçon. Je fis un court examen de conscience, mais je ne trouvai rien. Voici ce qu’elle me dit : le roi avait recommandé à mon fils et à sa femme de veiller sur la conduite de leur fille [Mme du Berry] et non à moi, croyant sûrement que je le ferais de moi-même, comme de juste ; mais apprenant que depuis ce temps je ne lui plus rien dit du tout, Sa Majesté a ordonné à Mme de Maintenon de me donner commission de sa part de sermonner à l’avenir la jeune personne. Puis elle m’a énuméré les points auxquels il faudrait toucher dans ma semonce. « Quoique ce soit chose pénible, répondis-je, j’accepte la commission, pour prouver à Sa Majesté que je suis prête à lui obéir toujours et en tout ce qu’il lui plaira de m’ordonner ; mais je prie Sa Majesté de faire dire à la duchesse de Berry que la commission me vient d’elle, afin que cela produise une impression plus profonde sur elle. » Ce qu’il fit. Ce soir-là, le père, la mère et la fille vinrent me trouver. J’entrai de suite en matière : « Ma chère enfant, vous savez que je ne vous ai prêchée qu’une fois depuis votre mariage ; mon intention était de ne plus jamais le faire, mais j’ai reçu aujourd’hui un ordre du roi, auquel, comme bien vous pensez, je ne saurais me soustraire : c’est de vous expliquer pourquoi lundi dernier il ne vous a pas menée à la chasse dans sa calèche. La raison en est que votre conduite déplaît au roi. » Puis je lui expliquai la chose point pour point ; « et, ajoutai-je, si vous voulez devenir parfaitement malheureuse, vous n’avez qu’à continuer de la sorte ; mais si vous voulez être heureuse, il faut commencer par vous faire aimer de tout le monde autant que, jusqu’à ce jour vous vous êtes fait haïr. Quand le roi apprendra d’un chacun combien vous vous êtes corrigée en toute chose, il vous rendra ses bonnes grâce. » J’en dis bien davantage encore. Elle a pleuré amèrement et a promis de s’amender. » (14 octobre 1711)
Le 15 novembre 1711, elle continue sur le même sujet : « On vous accuse de trop boire, de faire la moue au roi, de maltraiter votre mari et de lui faire jouer un méchant personnage, de vivre mal avec Mlle la dauphine, de rompre en visière à tout le monde, d’être impolie, et autres choses semblables ; j’espère que vous vous corrigerez de tout cela. »
Dans une lettre à Leibniz du 21 novembre 1715, elle accusera Mme de Maintenon d’indifférence face à la mort de la duchesse de Berry : « La vieille dame n’est pas venue chez Mme de Berry ; elle n’est pas sortie de son Saint-Cyr ; mais à ce que l’on dit, la tristesse s’en va, on se console en faisant des petits dîners avec de bons amis. A ce qu’on prétend, elle a écrit à l’ancien médecin du roi qu’elle a retrouvé dans le calme et la solitude le bon estomac qu’elle avait perdu à la cour, vu que présentement il lui était de nouveau possible de souper. »
Mme de Maintenon accuse le futur régent d’empoisonnement : « Ils [15] ont attiré dans leur cabale la vieille Maintenon qui a dit au roi que mon fils avait empoisonné le dernier dauphin, ainsi que le dauphin et la dauphine. Ils pensaient que le roi serait si épouvanté de cette révélation qu’il renverrait mon fils de la cour sans examen. Et voici comment je le sais : quand les docteurs vinrent rapporter au roi qu’ils avaient tout examiné minutieusement, et que ces deux personnes n’avaient certainement reçu aucun poison, le roi se tourna vers Mme de Maintenon et lui dit : « Eh bien, madame, eh bien, ne vous avais-je pas dit que ce que vous m’avez dit de mon neveu était faux ? » On a vu à Paris des gens de d’Antin qui répandaient ce bruit parmi le peuple. Cela vous prouve que nous avions très bien jugé, et que la vieille voudrait bien voir sur le trône celui qu’elle a élevé. Elle nous hait tous, mais je ferai semblant de ne pas m‘en douter. » (8 avril 1712)
Mais elle reconnaît que sans Mme de Maintenon, le roi serait perdu : « Bien que la vieille soit notre plus cruelle ennemie, je lui souhaite cependant une longue vie à cause du roi, car tout irait encore dix fois plus mal si le roi venait à mourir maintenant. Il a tant aimé cette femme qu’il ne lui survivrait certainement pas ; aussi souhaité-je qu’elle vive encore de longues années. » (21 mars 1712)
À propos de Saint-Cyr : « Lundi dernier, à deux heures de l’après-dînée, le roi monta en voiture. Il me prit auprès de lui ; derrière était Mme d’Orléans, seule, et sur les deux strapontins, contre les portières, mon fils et Mme de Brancas, qui ne peuvent ni l’un ni l’autre supporter d’être assis face en arrière. En approchant de Saint-Cyr, le roi ordonna d’aller lentement, car il y avait sur la route deux cent cinquante demoiselles de Saint-Cyr formant la haie en quatre divisions : la jaune, la bleue, la verte et la rouge. Mme de Maintenon était en voiture en face d’elles et les présenta au roi. Mme Dangeau et Mme de Caylus étaient à la tête de ces demoiselles. » (5 octobre 1712)
Elle continue : « Cette vieille inimitié ne prendra fin qu’avec la vie, et tout ce que l’ordure pourra inventer en fait de mauvais offices et d’ennuis, elle le mettra en œuvre. Il y a un nouveau motif pour cela, à savoir que je n’ai pas voulu recevoir son amie de cœur [16], que la reine d’Espagne actuelle [17] a chassée. Et la cause […] est que mon fils m’en a priée, car elle est sa pire ennemie, et elle l’a voulu publiquement faire passer pour un empoisonneur. Il ne s’est pas contenté de prouver son innocence. Mais il a fait porter au parlement toutes les pièces de l’enquête, afin qu’elles y fussent conservées. » (10 mai 1715)
À propos de la mort du roi : « Le roi, de lui-même, était bon et juste, mais la vieille femme lui avait si bien persuadée que personne au monde, sauf elle et ses ministres, ne prenait à cœur ses intérêts, qu’il n’avait confiance qu’en elle, en son confesseur et en ses ministres. De cette façon, et comme le bon roi n’était pas très savant, la vieille femme, et le confesseur pour le spirituel, et le ministre pour le temporel lui ont fait accroire tout ce qu’ils ont voulu. Les ministres, pour la plupart, n’étaient que des créatures de la vieille ordure ; je peux donc dire avec vérité que tout le mal qui s’est fait ne provenait pas du roi […] Il est vrai que tout le monde croyait le roi mort quand Mme de Maintenon est partie, elle-même le croyait parce qu’il avait été pris d’un long évanouissement, mais il est revenu à lui, et la vie ne l’avait pas encore abandonné, comme je vous l’ai déjà dit. Il est resté ferme jusqu’à dernier moment. Il a dit en riant à Mme de Maintenon : « Je m’imaginais qu’il était plus difficile de mourir que cela ; je vous assure que ce n’est pas une grosse affaire : cela ne me paraît pas malaisé du tout. » (13 septembre 1715)
À propos de Mme Dangeau qu’elle a critiquée plus tôt : « Le seul défaut de Mme Dangeau, c’est qu’elle tient la vieille ordure pour une dame pieuse, tandis qu’elle est un diable. Mais c’est l’effet de son bon cœur ; elle ne veut ni ne peut penser du mal d’une dame qui l’a aimée de tout temps et s’est bien conduite à son égard. » (13 octobre 1718)
À propos de la conspiration de Cellamare : « Toute la méchanceté de la duchesse et du duc du Maine provient de la vieille ordure et de la princesse des Ursins. Ces deux vieilles sont de vrais diables. » (12 janvier 1719)
Enfin, Mme de Maintenon meurt : « Je crains que la mort de la Maintenon ne soit comme celle de la gorgone Méduse, qu’il n’en sorte beaucoup de monstres encore. Si au moins elle était morte il y a quelque trente ans, tous ces pauvres réformés seraient encore en France et leur temple de Charenton n’eût pas été rasé […]. La vieille sorcière a combiné tout cela avec les jésuites, le père La Chaise et à eux deux ils ont causé tout le mal. Mme Dangeau [18] a été bien triste, mais c’est passé maintenant. » (13 mai 1719)
Elle reconnaît plus tard : « La Maintenon avait coutume de dire : « Depuis quelques années il règne un esprit de vertige qui se répand partout » ; et en ceci elle avait bien raison » (8 mai 1721)
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Notes
[1] Celle qui régit tout.
[2] Littré : mélange que les cabaretiers font de différents restes de vin ; viendrait du latin popare qui signifie s’imbiber.
[3] Madame tonne contre les mésalliances de la famille royale.
[4] Le dauphin.
[5] Sa belle-fille, bâtarde.
[6] Mme de Maintenon.
[7] La future duchesse de Bourgogne.
[8] Esther date de 1689 et Athalie de 1691.
[9] Cf. lettre du 18 mai 1698 où Madame évoque Ninon de Lenclos.
[10] Fénelon.
[11] L’épouse de Jacques II. La cour d’Angleterre en exil est installée au château de Saint-Germain.
[12] Philippe d’Orléans est vainqueur en Espagne.
[13] Suite à une révolte des Parisiens qui réclament du pain.
[14] Marie-Émilie Joly de Chouin, née d’une famille de petite noblesse bressanne.
[15] Le duc et la duchesse du Maine et M. d’Antin, fils de la Montespan et de son époux, Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin d’Antin.
[16] La princesse des Ursins.
[17] Élisabeth Farnèse.
[18] Grande amie de Mme de Maintenon.
Méfiance de Louis XIV envers ses maîtresses
On peut se demander jusqu'à quel point Mme de Maintenon influença le roi. En effet, selon ses propres dires, il n'a jamais laissé ses maîtresses empiéter sur les affaires publiques. Et Mme de Maintenon elle-même déclare qu'elle a peu d'influence sur lui. Que croire ? ...
Dès 1667, dans l’appendice aux Mémoires pour l’année 1667 (à propos du duché accordé à Mlle de La Vallière et alors qu’il a Mme de Montespan pour maîtresse) destinés à l’instruction de Monseigneur (son fils aîné), il évoque « un attachement dont l’exemple n’est pas bon à suivre », ajoutant « que, comme le prince devrait toujours être un parfait modèle de vertu, il serait bon qu’on se garantît absolument des faiblesses communes au reste des hommes, d’autant plus qu’il est assuré qu’elles ne sauraient demeurer cachées. » Si c’est impossible, le roi envisage deux précautions : « La première, que le temps que nous donnons à notre amour ne soit jamais pris au préjudice de nos affaires », la seconde précaution étant « la plus délicate et la plus difficile à pratiquer, c’est qu’en abandonnant notre cœur, nous demeurions maître de notre esprit ; que nous séparions la tendresse d’amant d’avec les résolutions de souverain ; et que la beauté qui fait nos plaisirs n’ait jamais la liberté de nous parler de nos affaires, ni des gens qui nous y servent. »
Il récidive en 1700, en écrivant à l’intention du jeune Philippe V, son petit-fils adolescent devenu roi d’Espagne, le mémoire intitulé Instruction au duc d’Anjou. Le commandement n° 5 par exemple décrète : « N’ayez jamais d’attachement pour personne. »
Il rompt ainsi avec les habitudes de son ancêtre : Gabrielle d’Estrées (ci-contre) a toujours cherché à influencer Henri IV. Quant à Louis XIII, on ne lui connaît que des amours platoniques.
Sources : Dictionnaire du Grand Siècle, François Bluche, Fayard, nouvelle édition 2005, Article de François Bluche.
Opinions contrastées
* « Reine en particulier, à l’extérieur pour le ton, le siège et la place, en présence du roi, de Monseigneur, de Monsieur de la cour d’Angleterre et de qui que ce fût, elle était très simple particulière et toujours aux dernières places. » (Saint-Simon)
* « Elle lui [au roi] fait connaître un pays nouveau qui lui était inconnu, qui est le commerce de l'amitié et de la conversation sans contrainte et sans chicanes ; il en paraît charmé. » (Mme de Sévigné) Il est vrai qu'elle entra assez tard dans les faveurs royales et l'on peut citer ici le vers de son grand-père, Agrippa d'Aubigné : « Une rose d'automne est plus qu'une autre exquise. »
* « Elle était regardée à Saint-Cyr comme une sainte, à la cour comme une hypocrite, à Paris comme une personne d’esprit, dans tout le reste de l’Europe comme une femme sans mœurs. » (La Beaumelle, son premier biographe, en 1756)
* « Mme de Maintenon, très prudente, alléguant son incompétence, adopte une attitude de retrait, malgré le roi qui voudrait la voir exprimer son point de vue. Elle souhaite bien sûr la fin de l’hérésie, mais elle appartient au parti de la modération. » (Jean-Christian Petitfils, Louis XIV, à propos de la révocation de l’Édit de Nantes)
* « Par principe de prudence, madame de Maintenon affecta de ses rapetisser et de s’effacer au milieu de tant de grandeurs. » (Sainte-Beuve)
En guise de conclusion
« Je suis née franche, il m'a fallu dissimuler », écrit elle. Cette confession de Mme de Maintenon est peut-être la clé de l'énigme d'une personnalité et d'un destin hors du commun qui, de nos jours encore, divisent les historiens. On est « pour » Montespan et « contre » Maintenon, ou bien l'inverse. Qu'en penser ?
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Date de dernière mise à jour : 16/10/2017