La Palatine et les préséances
La Palatine est très fière de sa haute naissance, redoute les mésalliances [1] et accorde un grand rôle aux préséances, ce qui ne l’empêche pas de mépriser les honneurs gratuits ou le pouvoir.
« Enfin, en voilà une [la future duchesse de Bourgogne] qui va avoir le pas sur moi ! Qu’importe, du reste, que cela arrive un an plus tôt ou un an plus tard ? Sauf le pas, je n’ai jamais eu aucun agrément pour être la première. Le roi menait-il les dames à Marly, elles étaient invitées au nom des bâtardes ; recevait-on la reine d’Angleterre, c’était encore les bâtardes qui faisaient chez le roi les honneurs de la maison ; le roi arrangeait-il des fêtes particulières, les bâtardes m’étaient toujours préférées. Vous voyez donc que je n’ai jamais eu aucun avantage à être la première ; aussi je cède cette place sans regret. » (25 novembre 1696)
« Comment se fait-il que vous [2] ayez une demoiselle française auprès de vous ? C’est d’ordinaire de la bien petite noblesse, qu’on ne saurait d’aucune façon comparer à notre noblesse allemande ; car, quand ici un bourgeois achète une charge de secrétaire du roi, il passe incontinent pour gentilhomme [3]. De plus, ils ne font pas non plus attention aux mésalliances : ils épousent toutes sortes de filles de la bourgeoisie, quelquefois même des paysannes, pourvu qu’elles aient de l’argent. Ici même la petite noblesse est fort peu considérée. » (18 août 1702)
« Il faut pourtant que je vous raconte combien notre roi est juste : les dames de la duchesse de Bourgogne, c’est-à-dire celles qu’on appelle dames du palais, ont voulu s’arroger un rang et prendre partout la place de mes dames, ce qui ne s‘était jamais fait du temps de la reine ni de celui de la dauphine. Elles firent garder leurs places et reculer les chaises de mes dames par les gardes du roi. J’envoyai d’abord réclamer auprès du duc de Noailles : il répondit que c’était l’ordre du roi. Incontinent j’allai trouver celui-ci et lui dis : « Oserais-je bien demander à V.M. si c’est vous qui avez ordonné que mes dames n’aient plus de place ni de rang comme autrefois ? Si c’est vous, je n’ai rien à dire, car je ne désire qu’à vous obéir ; mais V.M. sait Elle-même qu’autrefois, du temps de la reine et de Mme la dauphine, les dames du palais n’avaient ni place ni rang et que mes dames d’honneur, chevalier d’honneur et dames d’atour avaient leur place tout comme ceux de la reine et de Mme la dauphine, je ne sais par quel endroit celles-ci doivent plus prétendre. » Le roi devint tout rouge, et dit : « Je n’ai rien ordonné là-dessus ; qui dit que je l’ai ordonné ? – Le maréchal de Noailles », répondis-je. Le roi lui demanda pourquoi il avait dit cela. Il nia tout net. « Je veux, répliquai-je, puisque vous le dites, croire que mon valet de chambre ait mal entendu ; mais puisque le roi ne l’a pas ordonné, empêchez donc que vos gardes ne gardent les places des dames et empêchent mes gens de porter les sièges de mon service », car c’est ainsi qu’on dit ici. Le roi, quelque grande que soit la faveur dont jouissent ces dames, ne m’envoya pas moins l’aide-major pour savoir comment les choses devaient se passer. Je l’en instruisis, et cela ne se représentera plu. Aussi elles devenaient par trop insolentes dans leur faveur : elles ne s’imaginaient pas que j’aurais le cœur de rapporter la chose au roi ; mais moi je n’irai pas perdre mon rang ni mes prérogatives à cause de la faveur dont elles jouissent : le roi est trop juste pour cela. » (4 janvier 1704)
« Je vois que vous prenez mon fils pour un prince du sang. Mais il n’en est pas un. Son rang est celui de petit-fils de France [4] ; il est supérieur à celui des Princes du sang et a plus de privilèges. Les petits-fils de France saluent les reines, s’asseyent devant elles, montent dans leurs carrosses : tout cela, les princes du sang ne le peuvent. Leurs domestiques ont certaines immunités et servent par quartier (trimestre). Ils ont un premier écuyer, un premier aumônier, un premier maître d’hôtel. Les princes du sang n’ont rien de tout cela, pas davantage des gardes du corps comme mon fils et des gardes suisses. » (27 mars 1707).
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Notes
[1] D’où sa colère lorsque son fils épouse une bâtarde, Mlle de Blois, la fille de Louis XIV et Mme de Montespan, et sa haine du duc du Maine.
[2] Amélie-Élisabeth, sa demi-sœur.
[3] Ce qu’on appelle communément une « savonnette à vilains ».
[4] Philippe était en effet petit-fils de Louis XIII.
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