« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

La Palatine et la tyrannie de Louis XIV

Pour elle-même

     En devenant un membre de la famille royale, épouse de Monsieur, la princesse Palatine perd sa liberté car le roi exige une docilité absolue : il faut le suivre dans tous ses déplacements, participer à toutes les cérémonies et fêtes, assister à la messe. Le temps passant, ces obligations lui pèseront : « Dût ma vie en dépendre, on ne m’autoriserait pas à aller dans une ville d’eau située hors du royaume […]. Je ne peux découcher de Versailles sans la permission du roi […]. Il n’y a pas d’esclavage comparable à l’assujettissement où le roi tient sa famille. » Un esclavage qui lui pèse d’autant plus qu’elle ne dispose que de très peu d’argent personnel.   

   Elle en veut au roi et écrit à sa tante Sophie de Hanovre : « Oui, je l’avoue, avant qu’il eût ainsi persécuté Papa [1], je l’aimais beaucoup et j’avais plaisir à être auprès de lui ; mais depuis lors je puis bien vous assurer que cela m’est devenu assez pénible et qu’il en sera ainsi toute ma vie. » Elle lui pardonnera… 

   Elle ignore encore que ses lettres sont lues au « cabinet noir », le bureau d’inspection secret de la poste royale, avant d’être acheminées, et que les agents de renseignement du roi en prennent copie éventuellement. Elle commence par en rire : « A propos de lettres ouvertes à la poste, il faut que je vous conte une histoire arrivée il y a quelques années. La Grande Mademoiselle reçoit des lettres de ses gens d’affaires et elle voit fort bien qu’on les avait ouvertes. Elle répond à tout, puis elle ajoute : « Comme M. de Louvois a un très bon esprit et qu’il verra cette lettre avant vous autres, je le prie en ouvrant mon paquet d’y mettre un mot de conseil pour mes affaires ; elles n’en iront que mieux. » Depuis on ne lui a plus ouvert de lettres. » (18 septembre 1692) 

   Elle se sent prisonnière : « Dût ma vie en dépendre, on ne m’autoriserait pas à aller dans une ville d’eaux située hors du royaume et d’ailleurs il y a beaucoup de bains en France qui sont fort bons ; je ne peux donc pas espérer qu’on me permettrait de faire un voyage en Allemagne. Barèges et la Bourbonne [2], voilà les villes d’eaux où l’on va ici. » (4 septembre 1697) « J’aimerais bien assister aux couches de ma fille, si le roi le permet. Elle est un peu novice dans ce métier-là, c’est pourquoi je voudrais être auprès d’elle. » (1er mai 1699) « Mon voyage à Bar [3] est bien peu certain, car on commence à dire qu’il coûterait gros et occasionnerait des frais inutiles. » (23 juin)

   Et la surveillance du courrier ne cesse pas : « Il y a près de trois semaines que je n’ai reçu de lettres de vous [4] ni d’Amelise. Cela me porte à croire qu’il ne vous est pas permis de m’écrire ; c’est pourquoi moi, de mon côté, je n’ai pas cru devoir le faire, pour qu’on ne vous soupçonne ni ne vous cherche querelle. Si depuis trois mois vous m’avez écrit, toutes vos lettres ont été arrêtées au passage. C’est inepte qu’on ne permette pas que nous correspondions : nous ne connaissons pourtant pas les secrets d’État et ne nous mêlons pas des affaires publiques. Qu’est-ce que cela peut bien faire à l’empereur que nous nous disons qu’il y a eu une noce ou un baptême, que nous nous aimons, qu’une comédie est bien ou mal jouée et autres semblables choses. » (31 décembre 1702) « Il faut bien un jour au traducteur lambin de M. de Torcy [5] pour traduire votre lettre en français. M. de Torcy lui-même qui n’est pas prompt si ce n’est pas pour rendre de mauvais offices[6], a besoin d’une journée pour lire les lettres et pour les recacheter et les envoyer à Brousseau, et le troisième jour elles me parviennent : cela fait bien le compte ; elles ne peuvent m’arriver plus tôt. » (10 août 1704) « C’est une misère la façon dont on agit avec les lettres. Du temps de M. de Louvois, on les lisait comme maintenant, mais au moins on vous les remettait au moment voulu. Mais depuis que ce petit crapaud de Torcy a la poste dans son département, il vous agace horriblement avec les lettres, et jamais je n’étais si impatiente d’en recevoir de Hanovre. » (19 février 1705) « Quoique les cachets paraissent intacts, les lettres n’en sont pas plus en sûreté pour cela, car on s’entend fort bien à les ouvrir et à les refermer après ; je connais la manière de s’y prendre, mon fils me l’a montrée. A toutes le cours, on est soupçonneux et on lit les lettres, à moins qu’un exprès ne vous les remette en main propre. » (17 juin 1706) « Ce sont les méchantes gens et non le mauvais temps [7] qui sont cause que je ne reçois pas exactement mes lettres de Hanovre. Ce qui me prouve clairement qu’on me fait  des bouffonneries c’est que, par exemple, on me remet tel jour trois postes du vendredi qu’on a arrêtées au passage, mais pas du tout celle que je devrais recevoir ce jour-là ; une autre fois on fait de même avec la poste du lundi et pour bien me montrer que mes lettres ont été ouvertes, puis recachetées, on prend un feuillet qui appartient au dernier paquet et on le met dans le premier. » (16 mars 1709) 

   Et toujours cette tyrannie royale : « Certes, il me faut faire ici uniquement ce que veulent les autres. J’avais les mains moins liées tant que feu mon mari était en vie ; je ne peux découcher de Versailles sans la permission du roi. » (8 juin 1709) « On ne me permet même pas d’aller en Lorraine [8] ; bien moins encore pourrais-je me rendre à Aix-la-Chapelle [9]. Il n’y a pas d’esclavage comparable à l’assujettissement où le roi tient sa famille. » (28 février 1711) « On m’a tellement rogné les ailes – et cela avec intention – que, même si j’étais mon propre maître je ne pourrais pas voyager. » (28 mars 1711)

   A la mort de sa chère tante, la duchesse de Hanovre [10] : « Il ne m’est pas possible de vous dire ce que j’endure nuit et jour, et, de plus, j’ai le tourment de devoir me contraindre, car le roi ne peut souffrit les visages tristes. Contre mon gré aussi, il me faut aller à la chasse. A la dernière, je pleurai amèrement : l’électeur de Bavière vint à ma calèche et me fit son compliment de condoléance ; je n’y pus tenir et laissai un libre cours à mes larmes, et cela pendant toute la chasse. Je voyais bien qu’on riait de moi, mais je n’y pouvais rien. » (10 juillet 1714)

   On surveille toujours son courrier, même après la mort du roi : « Je ne sais pourquoi je reçois vos lettres trois jours plus tard que vous ne recevez les miennes. Il faut que M. de Torcy ait des traducteurs plus lents que n’étaient ceux de M. de Louvois […]. Mais s’il s’imagine me causer des désagréments avec mon fils comme il m’en causa jadis avec le roi, il se trompe grossièrement, mon fils me connaît trop bien pour qu’on pût me brouiller avec lui. » (7 novembre 1717)

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Notes

[1] Il vient d’envahir le Palatinat où les troupes françaises commettent de terribles exactions.

[2] Bourbon-l’Archambault.

[3] Sa fille est duchesse de Lorraine et de Bar.

[4] Louise.

[5] Neveu du grand Colbert, secrétaire D’État aux Affaires étrangères.

[6] Il poussa Louis XIV à accepter le testament de Charles II d’Espagne en faveur du duc d’Anjou et qui eut pour conséquence la guerre de Succession d’ Espagne (1701-1714) au cours de laquelle toute l’Europe se ligua contre la France qui subit de terribles défaites.

[7] Terrible hiver 1709.

[8] Chez sa fille.

[9] Où séjourne Louise.

[10] Morte le 18 juin.

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Pour les maîtresses royales

Le jeune Louis XIV   L'égoïsme de Louis XIV envers se maîtresses est proverbial. Dans ses Mémoires, Saint-Simon le confirme :

   « Dans les temps les plus vifs de sa vie pour ses maîtresses, leurs incommodités les plus opposées aux voyages et au grand habit de cour, car les dames les plus privilégiées ne paraissaient jamais autrement dans les carrosses ni en aucun lieu de cour, avant que Marly eût adouci cette étiquette, rien, dis-je, ne les en pouvait dispenser. Grosses, malades, moins de six semaines après leurs couches, dans d’autres temps fâcheux, il fallait être en grand habit, parées et serrées dans leurs corps, aller en Flandres et plus loin encore, danser, veiller être des fêtes, manger, être gaies et de bonne compagnie, changer de lieu, ne paraître craindre ni être incommodées du chaud, du froid, de l’air, de la poussière, et tout cela précisément aux jours et aux heures marquées, sans déranger rien d’une minute. Ses filles, il les a traitées toutes pareillement. On a vu en son temps qu’il n’eut pas plus de ménagement pour Mme la duchesse de Berry, ni même pour Mme la duchesse de Bourgogne, quoi que Fagon, Mme de Maintenon, etc. pussent dire et faire, quoiqu’il aimât Mme la duchesse de Bourgogne aussi tendrement qu’il en était capable, qui toutes les deux s’en blessèrent [1], et ce qu’il en dit avec soulagement, quoiqu’il n’y eût point encore d’enfants.  

   Il voyageait toujours son carrosse plein de femmes : ses maîtresses, après ses bâtardes, ses belles-filles, quelquefois Madame [2], et des dames quand il y avait place. Ce n’était que pour les rendez-vous de chasse, les voyages de Fontainebleau, de Chantilly, de Compiègne, et les vrais voyages, que cela était ainsi. Pour aller tirer, se promener, ou pour aller coucher à Marly ou à Meudon, il allait seul dans sa calèche. […]

   Il y avait toujours beaucoup de toutes sortes de choses à manger : viandes, pâtisseries, fruits. On n’avait pas sitôt fait une quart de lieue que le Roi demandait si on ne voulait pas manger. Lui jamais ne goûtait à rien entre ses repas, non pas même à aucun fruit ; mais il s’amusait à voir manger, et manger à crever. Il fallait avoir faim, être gaies, et manger avec appétit et de bonne grâce ; autrement il ne le trouvait pas bon, et le montrait même aigrement : on faisait la mignonne, on voulait faire la délicate, être du bel air ; et cela n’empêchait pas que les mêmes dames ou princesses qui soupaient avec d’autres à sa table le même jour, ne fussent obligées, sous les mêmes peines, d’y faire aussi bonne contenance que si elles n’avaient mangé de la journée. »

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Notes

[1] La duchesse de Berry et de Bourgogne firent une fausse couche.

[2] La princesse Palatine, sa belle-sœur.

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Date de dernière mise à jour : 16/10/2017