La Palatine et la nature
La princesse Palatine aime la nature (Lettres)
À son arrivée à la cour, le roi accueille chaleureusement la jeune princesse Palatine, seconde épouse de Monsieur : comme lui, elle aime la chasse, les chevaux, les chiens et le grand air. Elle est sensible aux beautés de la nature, chose assez rare au XVIIe siècle, sensibilité que partage d’ailleurs Mme de Sévigné.
Elle remarque qu’à la cour, on ne marche pas : « Ce n’est pas que je fasse ici des promenades plus longues ni plus fréquentes que je n’avais coutume de les faire chez nous ; mais les gens de ce pays-ci ne savent pas mieux marcher que les oies, et, sauf le roi, Mme de Chevreuse et moi, il n’y a pas un être capable de faire vingt pas sans suer et perdre haleine. » (5 février 1672 à sa tante)
Chasser ne l’empêche pas de regarder le paysage : « J’ai fait des exercices violents, ce qui m’est toujours très salutaire ; l’on chasse d’ailleurs dans le plus bel endroit du monde [1], car le parc d’ici est un véritable jardin. Il a plus de dix ou douze allées avec des étoiles auxquelles aboutissent six ou huit d’entre elles. Toutes les haies sont en fleur et parfument l’air ; avec cela les rossignols et les autres oiseaux chantent si bien qu’on se console parfaitement en ce lieu. » (22 mai 1707)
Elle se réjouit du beau temps : « Nous avons eu aujourd’hui le plus beau temps du monde ; il a fait très chaud ; dans le parterre de Marly toutes les fleurs ont des boutons ; les lilas et les chèvrefeuilles sont tout verts et dans le verger les pêchers et les amandiers fleurissent. » (28 janvier 1708)
Elle préfère la campagne aux plus beaux palais : « Nous avons un temps de printemps bien chaud. Dimanche passé, je me suis promenée pendant une demi-heure dans le jardin des carmélites ; les amandiers sont en pleine floraison, les abricotiers et les pêchers commencent à fleurir. Je crains bien qu’une gelée ne gâte tout cela ! […] La comtesse de Solms, à ce que je vois [2], pense comme moi qu’il est plus agréable d’habiter la campagne que les plus magnifiques palais, et plutôt un potager que les plus beaux jardins ornés de marbres et de jets d’eaux, plutôt une verte prairie s’étendant le long d’un ruisseau que les plus splendides cascades dorées ; en un mot ce qui est naturel me plaît mieux que tout ce que l’art et la magnificence peuvent produire et inventer. » (23 février 1719)
Elle séjourne plus volontiers dans sa propriété de Saint-Cloud qu’à Versailles ou au Palais-Royal. Ses descriptions des jardins royaux ne sont pas dépourvues d’intérêt.
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Notes
[1] Marly.
[2] Amie de sa demi-sœur Louise.
La Palatine et l'inauguration du château et des jardins de Sceaux
Dans sa lettre du 5 décembre 1700, la Palatine explique que, en raison du prochain départ de Philippe de Vendôme, le futur roi d’Espagne Philippe V, petit-fils de Louis XIV, la cour est dans une grande tristesse et se rend à Sceaux pour se distraire. Les Maine viennent d’acheter la propriété au jeune Seignelay, fils de Colbert. Il s’agit en somme de l’inauguration. Pour une fois, la Palatine ne critique pas les Maine...
N’oublions pas que la Palatine adresse ses lettres à son cercle familial et amical resté en Allemagne (ici à la duchesse de Hanovre). La France est admirée dans toute l’Europe. Cette lettre qui fourmille de détails joue le rôle d’une photographie. Le style est lourd, pauvre et n’évite pas les répétitions mais le français n’est pas la langue maternelle de la princesse. Par ailleurs, elle écrit la plupart de ses lettres en allemand et nous ignorons l'origine de la traduction, si traduction il y a eu. Quant aux allusions mythologiques, elles font partie du bagage culturel de l’époque ; toutefois, la Palatine a une instruction supérieure à la moyenne.
« … D'ici à Sceaux il y avait deux compagnies de mousquetaires. L'avenue de Sceaux est très longue, plus longue que d'ici à Trianon ; elle était garnie, des deux côtés, de trois rangs de voitures qui se sont écartées pour laisser passer le roi d'Espagne. On pense que, sans compter les voitures du roi et toutes celles qui suivent la cour, il y en avait plus de deux mille à Sceaux. Rien que sur la première place, entre la cour et l'avenue, j'en ai compté plus de cinquante [...].
Nous visitâmes Sceaux, qui est un jardin admirable. Devant la maison, il y a un grand parterre avec berceau ; du berceau, l’on entre dans une belle galerie pleine de tableaux et de bustes en marbre ; du milieu de cette galerie, on retourne au jardin et l’on trouve une allée à perte de vue. À côté de cette grande allée, il y a un beau mail, ensuite une allée qui conduit à un grand canal, beaucoup plus long que celui de Fontainebleau, et qui prend sa source à une grande et belle cascade.
Dans tous les parterres, il y a de grandes et belles fontaines, et ce que je trouve encore très joli, c’est que, près de la maison, il y a, pour se promener à pied un petit bosquet orné d’une quantité de sources et de fontaines. L’une représente Éole enchaînant un vent, avec quatre autres vents aux angles ; il menace ceux-ci de son sceptre, mais celui qu’il veut enchaîner semble souffler malgré lui. Tous cinq soufflent de l’eau. Vis-à-vis est Scylla tout entouré de chiens ; on ne voit partout que têtes de chiens qui aboient et crachent de l’eau. Ces deux fontaines sont en bronze et d’un très beau travail.
On trouve ensuite deux fontaines en marbre blanc ; elles représentent des enfants qui crachent de l’eau. Il y en a encore deux autres en bronze : ce sont deux petits satyres. Toutes les allées de ce bosquet sont ornées de bustes antiques en marbre […].
Il y a un endroit qu’on nomme le cabinet de Lacerere [?] qui a un plafond orné de belles peintures. De là, on passe dans une grande allée où se trouve une belle statue de Diane, en bronze. On a de cet endroit une vue superbe. À un autre endroit, d’où l’on a également une belle vue, il y a un gladiateur en bronze.
Tout est très orné et la maison est magnifiquement meublée. Il y a un cabinet que je trouve très joli ; il est en feuilles de parasol de l’Inde [palmiers ?], en haut est une corniche toute percée à jour, à la manière indienne ; sur le plafond sont peintes des fleurs également indiennes. On ne peut rien voir de plus gracieux… ».
Dans une autre lettre (ci-dessous), la Palatine, plus narquoise, admire les chicorées du potager...
La chicorée !
Dans une lettre du 26 octobre 1704, la Palatine raconte une visite à la cour de Sceaux où vivent les Maine [1] qu’elle abhorre :
« … Jeudi dernier à 11 heures, nous sommes partis de Fontainebleau […]. Nous arrivâmes en trois relais à Sceaux à cinq heures moins le quart […]. J’allai visiter [le lendemain] les nouveaux jets d’eau qu’a fait faire le duc de Maine ; ils sont fort beaux. Ce sont comme deux rochers à jour composés de pierres, de coquillages, de coraux, de nacres, de joncs et de roseaux ; ces joncs et ces roseaux sont dorés à la pointe ; l’eau tombe d’en haut comme une cascade naturelle, sur les rochers et les coquillages en faisant un bruit très agréable. Ces deux jets d’eau sont placés en face l’un de l’autre dans un salon d’ifs […]. Tout autour il y a des palissades [haies] vertes, de sorte qu’on dirait tout à fait un cabinet particulier ; c’est très joli. De là j’allais visiter le jardin potager qui est grand et beau. Je voulais voir ce que M. de Navailles, l’ancien gouverneur de mon fils [2] avait tant admiré. Du temps de M. Colbert [3], il vint à Sceaux pour le visiter. On lui montra la belle cascade, la galerie d’eau qui est une merveille, la salle des marronniers, le berceau, bref tout ce qu’il y a de beau à Sceaux ; il n’admirait rien de tout cela ; mais quand il vit au potager où était la salade, il s’écria : « Franchement à la vérité, voilà une belle chicorée ! ». J’allai donc voir aussi la belle chicorée […] ».
Remarque
Fontainebleau et Sceaux sont éloignés de 60 km, parcourus à l'époque en six heures.
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Notes
[1] La duchesse du Maine, est la petite-fille du Grand Condé. Son époux est le fils légitimé de Louis XIV et Mme de Montespan
[2] Le duc de Chartres, futur duc d’Orléans et régent.
[3] A la mort de Colbert, Sceaux revint aux Maine.
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Date de dernière mise à jour : 16/10/2017