La Palatine contre Descartes
Contre Descartes et pour Leibniz
On sait que la princesse Palatine, belle-soeur de Louis XIV, est cultivée et lit notamment Descartes et Leibniz. Dans une de ses nombreuses lettres, elle s'insurge contre la théorie cartésienne des animaux-machines et partage en cela le point de vue de Mme de Sévigné.
« Je vous prie de bien vouloir bien faire mes remerciements à M. Leibniz (1). Je trouve que ce qu’il a composé est fort bien écrit et j’admire avec quelle netteté et quelle facilité il peut écrire sur un sujet aussi difficile. De savoir que les bêtes ne meurent pas tout à fait, cela m’est d’une grande consolation, par rapport à mes chers petits chiens (2). L’opinion de Descartes au sujet des rouages d’horlogerie [cf. sa théorie des animaux-machines] m’a paru bien ridicule. Un jour j’embarrassai fort un évêque qui partage tout à fait cette manière de voir. Il est jaloux de sa nature. Je lui dis : « Quand vous êtes jaloux, êtes-vous machine ou homme, car après vous, je ne connais rien de plus jaloux que mes chiens, ainsi je voudrais savoir si c’est un mouvement de la machine ou une passion de l’âme ? » Il se fâcha et partit sans me répondre. » (30 octobre 1696)
« Hier, j’ai fait cadeau à Mme de Châteautiers [sa dame d’atour] d’un beau perroquet qui parle admirablement. Je voulus savoir ce qu’il sait dire et le fis entrer dans ma chambre. Mes chiens en devinrent jaloux, et une chienne, qui répond au nom de Mionne, se mit à aboyer après lui. Le perroquet ne faisait que dire « Donne la patte. » J’aurais voulu que vous vissiez l’étonnement de Mionne, quand elle entendit parler l’oiseau. Elle cessa d’aboyer, regarda fixement, d’abord lui, puis moi, et comme il continuait à parler, elle prit peur, se sauva et alla se cacher sous le sofa. Là-dessus, le perroquet rit aux éclats. Cela me fit penser à M. Leibniz. Il soutient, dites-vous, que les bêtes ont de l’intelligence, qu’elles ne sont pas des machines, comme l’a prétendu Descartes, et que leurs âmes sont immortelles. Dans l’autre monde, j’aurais donc la joie de revoir, non seulement parents et amis, mais encore toutes mes bêtes. » (30 avril 1702)
Sources : Lettres de la Princesse Palatine, Mercure de France, 1999.
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Notes
1) La princesse Palatine, dite Madame, fait souvent allusion à Leibniz.
(2) « Un joli petit chien peut bien être un amusement, mais jamais une consolation. Je n’aime pas les bolonais, je les trouve trop délicats ; je leur préfère de beaucoup les épagneuls français [ci-dessus] ; j’en ai constamment quatre à mes trousses, et la nuit ils couchent auprès de moi. » (17 juillet 1695).
Détails sur les chiens de la princesse Palatine (Lettres)
La Palatine est toujours accompagnée d'une dizaine de chiens, qui lui apportent sans doute cette affection dont elle manque tant.
« Un de mes petits chiens vient de sauter sur ma table et sur ce papier même ; il a effacé tout ce mot, comme vous voyez. La dame qui a accompli cette belle action s’appelle Candale, née Robe. Ce nom lui vient de ce que sa mère est accouchée d’elle sur ma robe de velours. » (9 février 1709)
« Après le dîner, quand mon petit-fils, le duc de Chartres, est venu chez moi, je lui ai donné un spectacle approprié à son âge. Trois chiens, trois pigeons et un chat. Un char de triomphe où est assise une chienne nommée Adrienne. Un gros chat traîne le char, un pigeon fait le cocher, deux autres font les pages, et un chien fait le laquais. Il est assis derrière. Le chien s’appelle Picard, et quand la dame descend de voiture, Picard lui porte sa traîne […]. Le chien danse aussi les olivettes [danse provençale] en passant par trois cercles. » (3 mai 1715)
Son royal beau-frère, Louis XIV, aime tout autant ses chiens de chasse, Folle, Mite, Blonde, Tane, Nonette, Zette, Lise, Diane, etc. Il leur distribue volontiers des « biscotins », petits biscuits durs, et les fait peindre par Desportes, avec leur nom inscrit en lettre d'or.
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Date de dernière mise à jour : 20/10/2017