« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

La Palatine à table

A table avec la Palatine (Lettres)

I. Repas  

   La Palatine aura toute sa vie la nostalgie de ses cerises de Heidelberg : « Mon Dieu ! Combien de fois n’ai-je pas mangé des cerises sur la montagne à cinq heures du matin, avec un bon morceau de pain. J’étais plus gaie alors que je ne le suis présentement », écrit-elle le 12 septembre 1717.

   La cuisine française lui déplaît : « Je n’aime pas le lapin. D’ailleurs, je préfère de beaucoup la cuisine anglaise à la française : je n’ai pu m’y faire. Je ne peux manger d’aucun ragoût, je ne prends ni bouillon ni potage ; je ne mange donc que d’un petit nombre de plats, du gigot, par exemple, du poulet rôti, des rognons de veau, du bœuf et de la salade. En Hollande, j’ai mangé aussi des œufs de vanneau, mais j’en mangeai tant que j’en dus rendre. Depuis lors j’en suis dégoûtée. » (24 juillet 1699)

      Elle n’aime pas davantage le poisson : « Pour ce qui est du ratafia, on en prend parce qu’on mange beaucoup de poisson, qui fait mal à l’estomac. » (5 novembre 1701).  « Je n’ai pas pu m’acquitter de la bonne œuvre de faire maigre, car je ne supporte pas de manger du poisson, et je suis tout à fait convaincue qu’on peut faire des œuvres plus méritoires que de se gâter l’estomac en mangeant trop de ce mets. » (30 mars 1704)  

   Que pense-t-elle du potager du roi ? : « Le roi n’a dans son potager aucun fruit exotique mais il a de bon fruit du pays. Je n’ai jamais vu d’ananas crus, je n’en ai vu que des confits. » (28 décembre 1704)

   Elle ne supporte pas la solennité des repas : « Toute l’année je dîne seule, aussi me hâté-je autant que possible ; il n’y a rien de plus ennuyeux que de manger seule en ayant autour de soi vingt gaillards qui vous regardent mâcher et comptent les bouchées ; c’est pourquoi mon dîner, je l’expédie en moins d’une demi-heure. Le soir, je soupe avec le roi ; nous sommes cinq ou six à table ; chacun avale son affaire sans dire une parole comme dans un couvent ; tout au plus dit-on tout bas quelques mots à son voisin. » (3 février 1707)

   Le chou restera sa grande passion : 

   Dans sa lettre du 6 mai 1700, la Palatine écrit, relatant un souvenir d’enfance : « J’avais avalé à peine trois bouchées qu’on tire tout d’un coup le canon placé sur la terrasse sous ma fenêtre, car un incendie s’était déclaré en ville. [...] Et moi, de peur d’être surprise en flagrant délit, jette ma serviette avec l’assiette et les choux au lard par la fenêtre. Je n’avais plus rien pour m’essuyer la bouche. J’entends des pas qui montent l’escalier de bois : c’était l’Électeur feu notre papa qui venait dans ma chambre pour voir où était l’incendie. Me voyant la bouche et le menton tout gras, il se mit à jurer : « Sacrément, Liselotte, je crois que vous vous graissez le museau ! » Je dis : « Ce n‘est que de la pommade pour mes lèvres gercées. » Papa dit : « Mais vous êtes sale. » J’éclatai de rire. La Raugrave montait aussi et traversa la chambre de mes demoiselles. Elle sortit en disant : « Ah, ça sent les choux au lard dans la chambre des demoiselles ! » L’Électeur comprit la plaisanterie et dit : « Voilà donc votre pommade de bouche, Liselotte ! » Voyant l’Électeur de bonne humeur, je confessai la chose. ». « Le plat que vous a fait cuire la princesse de Zollern, n’était-ce pas de véritable choucroute ? Je ne connais pas les choux blancs, mais, à en juger par ce que vous m’en dites, ça ne doit pas être mauvais. J’en voudrais bien. Je regrette que vous ne m’ayez pas énuméré les autres plats aussi : de lire ces choses, cela vous met en appétit […]. M. Fagon, le médecin du roi, trouve qu’avec les fruits, il vaut mieux boire de l’eau que du vin, car l’eau ne fait pas fermenter le fruit dans l’estomac. » (24 juillet 1707). « Couchez moi par écrit, je vous prie, la façon de préparer les choux rouges […].Je veux que mes cuisiniers tentent la chose […]. J’aimerais bien avoir aussi copie de la recette pour la choucroute. » (4 février 1714). « Hier, une bourgeoise de Strasbourg […] m’a fait cadeau d’un plat de choucroute avec du lard et un canard. Ce n’était pas mauvais, mais c’étaient des choux français qui ne valent pas de loin nos choux allemands, ils n‘ont pas assez de montant, et on ne les avait pas coupés assez menu : c’est qu’ici on n’a pas les couteaux qu’il faut pour cela. » (10 décembre 1715). « J’ai fait à manger à notre grande-duchesse une oie de la Saint-Martin, farcie de marrons et de raisins de caisse [de serre], mais à dire vrai, j’aime mieux les choux rouges et la choucroute. » (23 novembre 1719)

   A la cour de France, la fourchette n'est pas toujours entrée dans les mœurs : « On avait par politesse appris au duc de Bourgogne et à ses deux frères à se servir de la fourchette en mangeant. Mais quand ils furent admis à la table du roi, celui-ci n’en voulut rien savoir et le leur défendit. À moi on ne me l’a jamais défendu, car de tout temps, je ne me suis servie, pour manger, que de mon couteau et de mes doigts. » (22 janvier 1714)

   Dans les dernières années de sa vie, elle mange peu : « À mon souper […] je ne mange que les cuisses d’une jeune caille, le quart d’une laitue et cinq toutes petites pêches avec du vin de Bacharach [1] et du sucre. Immédiatement après avoir soupé et remonté mes montres, je me couchai […]. Le matin […], j’ai écrit à M. de Hartling pour le remercier de deux excellentes mortadelles qu’il m’a envoyées. Mme de Berry les a trouvées si bonnes qu’elle en a emporté les restes. » (28 juillet 1718)

   Elle n'a jamais supporté le bouillon : « Je ne sais comment on fait les ragoûts français en Allemagne, mais ici l’on ne vous sert que du bouillon très fort que je ne peux souffrir, du poivre, du sel – tan qu’on n’en peut plus fermer la bouche – et beaucoup d’oignons et d’ail, le tout mêlé. » (7 janvier 1714). « Que je sois malade ou en bonne santé, de ma vie je ne prends de bouillon ni de potage […]. S.G. [Sa Grandeur] feu l’électeur notre père a failli me faire mourir un jour ; il croyait que c’était fantaisie de ma part ; il me contraignit durant un mois à prendre du bouillon tous les matins, et régulièrement je le rendais […]. J’en devenais faible et sèche comme une bûche. Le bon et honnête Polier [2] affirma à mon père que je ne pourrais pas l’endurer davantage, et l’on me donna en place du bouillon une bonne écuelle de soupe au vin ou de bouillie d’avoine au vinaigre […]. Quand je vins ici [en France], feu Monsieur, tout le monde, les médecins aussi, s’imaginaient qu’on ne pourrait vivre sans bouillon. Je racontais à Monsieur ce qui m’était arrivé à Heidelberg. Cela ne le convainquit pas : je dus tenter la chose : je rendis jusqu’à du sang. Alors Monsieur jura que de sa vie il ne l’exigerait plus de moi. » (1er janvier 1719)

   Après la mort de Louis XIV, il faut dire adieu aux fruits du potager du roi : « Les abricots d’ici [3], je ne les trouve pas trop bons […] mais les pêches sont admirables. » (30 avril 1719)

   Et bien sûr, rien ne vaut le gibier et poisson de son Palatinat natal : « Les lièvres du Palatinat sont sans comparaison meilleurs que ceux de ce pays-ci. Lorsque M. le dauphin en revint [4], il me dit : « Quand vous me disiez que vos lièvres et truites étaient meilleurs au Palatinat qu’en France, je croyais que l’amour de la patrie vous faisait parler ainsi, mais depuis que j’ai été au Palatinat, je ne puis plus manger ici ni truites ni lièvres et je vois que vous aviez raison. » (26 octobre 1719)

   Elle nous informe su la coutume du gâteau des rois en France : « On ne donne pas la fève à la vierge Marie ; voici comment les choses se passent. On coupe autant de morceaux qu’il y a de personnes à table ; on apporte alors le gâteau tout coupé et l’on a un enfant qui distribue les morceaux. En l’apportant, on dit : Phibè ; l’enfant répond : Pour qui ? On répond : Pour le bon Dieu, et l’enfant tire un morceau ; ensuite on dit : Pour la sainte Vierge, et l’enfant tire un autre morceau ; puis on en donne un à la ronde à chacun de ceux qui sont à table. Si le bon Dieu a la fève, c’est le maître de maison qui est roi ; si c’est la sainte Vierge, c’est la dame du plus haut rang qui est reine de la maison. Jadis ce jeu donnait en France aux dames de la cour un grand avantage, mais le roi a aboli cette coutume. Du temps de Louis XIII encore, si une dame de la cour avait la fève et était reine, elle disposait des charges, quelles qu’elles fussent, qui venaient à vaquer dans les vingt-quatre heures. De là le proverbe qui dit que la fève porte bonheur. S’il n’y avait pas de charges vacantes, la reine demandait au roi des grâces qu’il devait lui accorder. Toutes ces cérémonies m’ont fait douter qu’on tirât la fève à Berlin ; peut-être cela s’est-il passé tout simplement comme on fait d‘ordinaire en Allemagne, c’est-à-dire en tirant des billets. » (25 mars 1706)

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Notes

[1] Vin réputé du Palatinat.

[2] Etienne Polier de Bottens, conseiller d’État de l’électeur Charles-Louis. Il fut précepteur de Madame, et l’accompagna en France en qualité d’écuyer.

[3] Château de Saint-Cloud, résidence officielle des Orléans avec le Palais-Royal.

[4] Après la guerre qui ravagea le Palatinat.

II. Boissons

Tonneau de Heidelberg   La Palatine aime la bière et le vin mais déteste le café, le thé et le chocolat. A propos du café, elle écrit à sa soeur le 5 février 1711 : « Je regrette d’apprendre que vous vous êtes habituée au café : rien au monde n’est plus malsain. Je vois tous les jours des gens qui ont été forcés d’y renoncer, à cause des grandes maladies qu’il a causées. »

   Elle avait écrit ailleurs : « Le café n’est pas aussi nécessaire aux ministres protestants qu’aux prêtres catholiques qui ne peuvent se marier, car il rend chaste. »  

   Elle écrira aussi : « Au café, je préfère une bonne soupe à la bière, mais c’est ce qu’on ne peut se procurer ici : la bière en France ne vaut rien. Un bon plat de choucroute et des saucissons fumés sont pour moi un régal digne d’un roi. Une soupe aux choux et au lard fait bien mieux mon affaire que toutes les délicatesses (café, chocolat, thé) dont on raffole ici. »  

   De son Palatinat natal, Madame, comme on appelait la princesse Palatine, ramène donc le goût de la bière et du vin mais ne fait jamais d'excès.  

   « Ici n’on ne peut pas boire de betterthel [1] : on a de trop mauvaises bières en France ; elle est fade et aigre au point qu’on ne peut la boire, car dans le temps j’ai voulu en goûter. Je me souviens fort bien comme j’en buvais à Heidelberg. » (14 mars 1697)

   « Ici les cavaliers boiraient tout aussi bien avec les femmes de chambre qu’avec les demoiselles nobles, pourvu qu’elles fussent coquettes. Elles aiment à boire aussi, mais, à dire vrai, ce ne sont pas les servantes qui s’enivrent ici, mais bien les gens de haute lignée. » (28 janvier 1705)

   « Je supporte très bien les vins forts, mais je ne les trouve pas agréables ; ne pouvant de ma vie prendre ni bouillon ni potage, il faut bien que je les remplace par des boissons ; je bois par conséquent moitie eau, moitié vin, du champagne, à trois ou quatre reprises. » (14 septembre 1710) 

   « J’espère que ce beau temps va nous donner de bon vin de Bacharach, car le vin du Rhin m’est prescrit pour la santé. Notre duc de Lorraine [son beau-fils] m’en envoie tous les ans une provision. » (21 juillet 1718)

   « On n’a jamais mis du vin du Rhin dans le grand tonneau [2], simplement du vin du Neckar. Le bruit court que l’électeur [3] tend à chopiner […]. Je ne peux pas souffrir le Bourgogne, je n’aime pas le goût de ce vin et il me fait mal à l’estomac […]. Le vin de Bacharach [4] est incomparablement meilleur […]. Tous les vins qu’on importe […], on est obligé de les soufrer. » (14 août 1718)

    « Mon fils est très gai. Il me racontait hier qu’en Espagne [5], les raisins muscats sont si forts, qu’ayant mangé une seule grappe il en est devenu tellement ivre qu’il est allé dans un couvent et, ne sachant plus ce qu’il disait, il a débité toutes sortes de fariboles aux nonnes, tellement qu’il en est tout honteux présentement encore. » (9 octobre 1718)

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Notes

[1] Bitter ale ou bière amère.

[2] Au château de Heidelberg de son enfance. Voir illustration ci-dessus.  

[3] Le nouveau prince Palatin qui succéda à son père.

[4] Dans le Palatinat.

[5] Où le régent fit campagne lors de la guerre de Succession d’Espagne.

La Palatine impose la cuisine allemande à Versailles.

   Hormis ses Lettres, on dispose de son Journal où elle note que personne à la cour ne s’étonne plus de la voir manger autant de boudin avec autant de plaisir. On l’imite même. Ainsi a-t-elle mis à la mode les jambons crus, la choucroute et… les choux au sucre !

   Elle écrit notamment : « On ne mangeait guère de gibier (avant la mort de Louis XIV) ; j’ai mis tout cela à la mode, ainsi que les harengs saurs. J’ai appris au feu roi à en manger et il les trouvait fort à son goût. »

   De son propre aveu, elle a tellement « affriandé sa gueule allemande » à des plats allemands qu’elle « ne puit ni souffrit ni manger un seul ragoût français. » Elle ajoute : « Je ne mange que du bœuf, du veau rôti, et rarement du mouton ; des perdrix ou bien des poules rôties, jamais de faisan. »

   Elle n’aime pas le poisson et ne pratique pas le carême : « Je n’ai jamais pu m’acquitter de la bonne œuvre de faire maigre, car je ne supporte pas de manger du poisson, et je suis tout à fait convaincue que l’on peut faire des œuvre plus méritoires que de se gâter l’estomac en mangeant trop de ce mets. »    

Sources : Almanach gastronomique, op. cit.     

Sa petite-fille, la duchesse de Berry, meurt d'une indigestion

Duchesse de Berry   Marie-Louise-Élisabeth d’Orléans, fille aînée du régent, épouse du duc de Berry, troisième fils de Louis de France [1], commet de nombreux excès et meurt prématurément (à 24 ans) dans la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 juillet 1719 au château de La Muette. La Palatine témoigne ici de son mode de vie.

   « La duchesse [de Berry] soudain tomba en syncope ; nous crûmes que c’était une attaque d’apoplexie, mais après que la duchesse de Bourgogne lui eut aspergé la figure de vinaigre, elle revint à elle, et d’affreux vomissements la prirent. Il n’y a rien d’étonnant à cela : pendant deux heures, à la comédie, elle n’a fait que manger toute sorte d’horreurs, des pêches au caramel, des marrons, de la pâte de groseilles vertes et autres, des cerises sèches avec beaucoup de limon dessus, puis à table elle a mangé du poisson et bu entretemps. » (14 décembre 1710)

   « Mme de Berry a depuis lundi la fièvre. Sa sœur Mlle de Valois l’a aussi. Il n’est pas étonnant que ces deux sœurs soient malades, à les voir manger et boire. Mme de Berry mange peu à midi ; mais comment pourrait-elle faire un repas convenable ? Elle est au lit à dévorer toutes sortes de gâteaux au fromage ; elle ne se lève jamais avant midi, se met à table à deux heures et mange peu. A trois heures elle se lève de table et ne fait pas un pas. A quatre heures on lui apporte toutes sortes de mangeaille, de la salade, des gâteaux au fromage, du fruit. Le soir à dix heures, elle soupe, cela dure jusqu’à minuit. A une heure ou deux elle se couche : pour digérer elle boit de la très forte eau-de-vie. » (18 novembre 1717)

   La Palatine en accuse sa belle-fille, l’épouse du régent [2] : « Mme d’Orléans va de mieux en mieux. Il a fallu lui rogner les vivres, car elle a déjà eu la colique derechef pour avoir trop mangé ; cette femme peut dévorer des quantités énormes, elle tient cela du père et de la mère. Les filles sont comme cela aussi, elles mangent jusqu’à ce qu’elles rendent et après elles recommencent, c’en est dégoûtant. » (7 avril 1718)

   La Palatine, toujours franche, reconnaît ici l’avoir ici accusée à tort mais ne se gêne pas pour souligner l'ivrognerie de son fils, le régent : « J’ai fait tort à la duchesse de Berry. Mon fils n’a pas été chez elle, mais il a mené sa maitresse à Saint-Cloud avec beaucoup d’autres ivrognes ; ils y ont passé la journée à goinfrer. Je crois qu’il a honte d’avoir fait cette sottise, car depuis il n’est pas venu me voir. » (26 mars 1719)

   « Notre duchesse de Berry est malade, elle a la fièvre, des vapeurs et des douleurs à la matrice [...]. A l'instant, on me dit qu'elle est très mal ; je suis bien inquiète : elle est si grasse et si grosse que j'ai peur qu'elle ne fasse une bien grave maladie. » (2 avril 1719)

   « Mme de Berry est bien malade encore et hier il y avait trois mois que cela dure. Un jour elle ne mange rien. Le lendemain elle fait trois repas. Cela ne lui vaut rien, elle passe sa nuit à vomir, elle ne peut dormir, et le lendemain elle est très mal. » (29 juin 1719)

   « Mme de Berry a la fièvre depuis mercredi […]. C’est sa faute, car elle a mangé le même jour du lait, de la salade, des melons et des figues […]. Malgré toute son intelligence, elle est comme une enfant de neuf ou dix ans, avec sa façon de vivre désordonnée (morte » (15 juillet 1719)

   « C’est la maudite Mouchy, la favorite de la duchesse de Berry, qui est cause de sa mort, elle l’a tuée comme si elle lui avait plongé un poignard dans le cœur. On sait à présent qu’elle lui donnait à manger de toutes sortes de choses […], des fricassées, des petits pâtés, de la salade, du lait, des figues, des prunes ; elle lui faisait boire de la mauvaise bière glacée et fermait la porte à clef ; pendant quinze jours, pas un docteur n’a vu la malade […]. Personne d’entre eux [parmi ses gens] n’avait donné à la duchesse des choses défendues par le médecin : la favorite faisait préparer cela au village et le faisait apporter par une porte dérobée, quand elle pensait que tout le monde était couché. » (19 août 1719)

   Remarque : la Palatine ne savait pas tout, ou ne pouvait pas tout dire. La duchesse menait une vie dépravée : boulimique certes, mais aussi alcoolique et d'une sexualité débridée ; il semble qu'elle était enceinte au moment de sa mort. Les médecins qui firent son autopsie trouvèrent les organes dans un état lamentable.   

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Notes

[1] Fils aîné de Louis XIV, décédé.

[2] Coupable lui aussi de bien d’excès de tous ordres…

A propos de la duchesse de Berry

   À propos de la duchesse de Berry, un correspondant me livre d'intéressantes informations. Qu'il en soit remercié. Voici une synthèse de ses propos.

Une figure de l’excès culturellement fascinante

   Concernant la mort de la duchesse de Berry, la Palatine dissimule volontairement la vraie nature de « l'indigestion fatale » dont souffre sa petite-fille. Le 2 avril 1719 la duchesse de Berry faisait en effet « une bien grave maladie », « grasse » et « grosse » comme peut l'être une femme arrivée au terme de sa grossesse, souffrant de fièvre et « de douleurs à la matrice » parce qu'elle se trouve en couches. Soucieuse de préserver un peu la réputation de sa petite-fille la Palatine attribue sa fin tragique aux conséquences néfastes de sa boulimie, sans se risquer à évoquer ses excès d'alcôve et ses maternité clandestines.   

   Saint-Simon dans un célèbre chapitre de ses Mémoires décrit avec sa verve habituelle l'accouchement de la jeune veuve au Luxembourg. Selon lui, la duchesse enceinte de son amant en titre, le comte de Riom, lieutenant de sa garde cherchait vainement à dissimuler son état scandaleux et s'était retirée dans un petit appartement de son palais pour accoucher discrètement. Ce n'était pas sa première grossesse illégitime et la jeune femme en couches se vit refuser les saints sacrements par le curé de Saint-Sulpice. La duchesse de Berry ne se releva pas de cet accouchement dangereux et scandaleux mais poursuivant ses excès de table et ses coucheries se retrouva bientôt dans un état désespéré. Comme le précise Saint-Simon on trouva la duchesse à nouveau enceinte lors de l'autopsie, un détail bien à la mesure de la sexualité débridée de cette altesse royale.  

   Certains auteurs royalistes soucieux de réhabiliter un peu la « Messaline de Berry » voudront à tout prix faire de Riom l'époux morganatique de la princesse dès la mort de son mari légitime, le duc de Berry - alors que Saint-Simon situe ce mariage juste après le terrible et scandaleux accouchement du début avril 1719 et donc quelque trois mois avant la mort de la Berry. 

   La vision de Saint-Simon est clairement dénigrante. Il n'est pas un témoin impartial de ses frasques, ayant placé beaucoup d'espoir dans son mariage avec le duc de Berry mais la vie tumultueuse de la princesse à la cour le déçoit fortement. Toutefois, il nous fait voir l'intimité princière et constitue donc la principale source crédible et exploitable.  

   D'autres sources contemporaines comme Dangeau ou le Nouveau Mercure ne donnent que la version officielle des faits. On dispose également de la Gazette de la Régence et surtout de chansons satiriques.

   Dans ce dernier cas, il s'agit d'une allusion à un des autres accouchements clandestins de la duchesse en 1716 ou 1717. Le dix-huitiémiste Henri Duranton, recense les différentes versions conservées des différentes chansons qui contribuent à établir la réputation de Messaline de la princesse. 

   Les autres sources sont plus tardives et ne font le plus souvent que plagier Saint-Simon ou sont d'authenticité douteuse, comme les Mémoires du cardinal Dubois. 

   Au risque de simplifier outrageusement l'historiographie (quand même assez maigre pour un princesse de si haut rang) on peut distinguer ceux qui comme Michelet appuient les rumeurs d'inceste (le souci de ternir la réputation des Orléans après 1848 contribue sans doute à la vogue de ces accusations), et ceux qui, comme Paul de Musset (Femmes de la Régence, 1841) veulent clairement laver la duchesse de sa fort mauvaise réputation, pour en faire une princesse romantique, victime de sa passion fatale. 

   Dans l'historiographie récente seul François Raviez («La duchesse de Berry ou le scandale du corps » repris dans Lectures de Saint-Simon (P.U. Rennes, 2011) propose une vision plus mesurée (ni dénigrante ni misogyne) de la duchesse de Berry, mais il n'exploite que Saint-Simon et pas toutes les autres sources contemporaines. 

   On trouve par contre toute un série d'évocations diverses de la vie « courte et bonne » de la « princesse Joufflotte »  dans des romans historiques ou histoires romancées de la période qui multiplient à loisir les représentations tout à fait caricaturales et sordides de la princesse, et de sa « boulimie nymphomane »... redondances désolantes et souvent pas drôles du tout... trois cents ans après la Régence on peut espérer pourtant un peu plus de distance critique face aux visions stéréotypées de cette période. 

   L'obstacle principal à une approche moins édifiante et moralisatrice de la biographie de la duchesse, c'est que les sources, s'intéressent surtout à « ses fautes » : ses grossesses malheureuses et ses infidélités maritales du vivant du duc, sa goinfrerie et son penchant pour la boisson, son orgueil et ses usurpations d'honneurs royaux, sa boulimie sexuelle, ses grossesses clandestines avérées ou non.... sans compter son rapport avilissant à Riom et ses manifestations de piété, feintes ou non, qui ne permettent pas non plus de faire de la « Messaline de Berry » une « vraie » libertine... pas plus qu'une jeune femme en révolte contre le système de la cour et la bigoterie ambiante du temps de Mme de Maintenon.

À propos des portraits de la duchesse de Berry

   Le portrait par Largillière illustrant cette page et conservé au Rijksmuseum est probablement une fausse identification.

   Rien de très certain dans les portraits censés représenter la duchesse mais en voici quelques-uns qui semblent plus authentiques ou présentant plus de ressemblances.

   Ces deux versions montrent une femme au visage arrondi, avec le même regard malicieux que sur la gravure de Desrochers. Elles représentent peut-être la duchesse en 1717 ou 1718 (elle est sortie du deuil de son époux et de Louis XIV), une jeune femme aux formes plantureuses mais pas le monstre boulimique des romans récents. 

   On trouve le même regard malicieux sur une gravure plus ancienne alors qu'elle est encore mademoiselle d'Orléans (ci-dessous).

   On trouve à Versailles trois autres portraits de la duchesse de Berry, notamment ce singulier portrait équestre en amazone. On sait qu'elle aime la chasse et ne cesse de monter à cheval que dans un état de grossesse avancée comme au printemps de 1717 lorsqu'elle se retire à La Muette pour accoucher (cf. Voltaire à l'informateur de police Beauregard) et fait vendre ses chevaux de selle (Gazette de la Régence).

   On trouve aussi des portraits du XIXe siècle, mais bien plus idéalisés encore, selon la veine hagiographique du temps. Mlle d'Orléans, future duchesse de Berry

Repas espagnols

Marie-Gabrielle de Savoie, reine d'Espagne   Le jeune roi Philippe V d'Espagne vient d'épouser la non moins jeune Marie-Louise-Gabrielle de Savoie.

   Il semble que les mœurs de la cour d'Espagne soient aussi étranges que vingt ans auparavant, comme en témoignent ces lettres de la marquise de Villars.

   La Palatine écrit en effet le 17 novembre 1701 : « Les dames du palais qu’elle [la jeune reine] a auprès d’elle sont de méchantes créatures. La reine demanda qu’on lui préparât ses repas à la mode française, vu qu’elle ne pourrait manger de la cuisine espagnole. Le roi alors ordonna de faire apprêter pour la reine les mets par des officiers français [officiers de la Bouche du roi]. Ce que voyant les dames firent faire la cuisine à l’espagnole, ne lui servirent que ces plats-là et laissèrent de côté les plats français. Le roi se fâcha, défendit aux cuisiniers espagnols de préparer les repas et les fit faire exclusivement à la mode française. Les dames prirent alors les potages et en versèrent tout le liquide, disant que cela pourrait gâter leurs habits. Elles firent de même avec les ragoûts rôtis, disant que leurs mains étaient trop délicates ; des autres rôtis elles arrachèrent trois poulets avec leurs mains, les mirent sur une assiette et les apportèrent ainsi à la reine. Il n’est pas possible de trouver de plus méchantes femmes, et affreusement laides avec cela. » 

* * *

Louis XIV à table

Louis XIV à table   Dans sa lettre du 5 décembre 1718, soit trois ans après la mort du roi, la princesse Palatine raconte : « J'ai vu souvent le roi manger quatre pleines assiettes de soupes diverses, un faisan entier, une perdrix, une grande assiette de salades, deux grandes tranches de jambon, du mouton au jus et à l'ail, une assiette de pâtisserie et puis encore du fruit et des œufs durs. »

   Mais ceci n'est rien, l'appétit du roi étant bien connu.

   - Voici un premier exemple de menu servi à sa table, où il pioche ce qui lui plaît :

   * Premier service : potages, hachis et panades

   Les potages désignent tout ce qui cuit dans un « pot » c’est-à-dire dans une marmite comme chapons, perdrix, pigeonneaux, etc. Le « potage à la Reine » consiste en un hachis de perdrix ou de faisan. On les sert dans des tasses tenues très chaudes, accompagnés de quenelles et arrosés d’une cuillerée à soupe de Xérès tiède.

   * Second service : les entrées

   Tourtes de viande ou de poisson, pâtés chauds, pâtés en croûte feuilletée, jambons, langues, andouilles, saucisses et boudins, melon et fruits, ragoûts, encore des hachis.

   * Troisième service : viandes bouillies

   Pièces de viande : bœuf, mouton, chapon, veau, poulet.

    * Quatrième service : le rôt

    Viandes rôties.

    * Cinquième service : entremets

    Gibiers.

    * Sixième service : encore des entremets

    Entremets au beurre et au lard, œufs, gelées, blanc-manger.

    * Septième service : le fruit

    Les fruits sont souvent servis avec des crèmes. On sert des pêches (« pommes de Perse »), des figues et les légumes cultivés par la Quintinie (Louis XIV adore les petits pois).

    * Huitième service : desserts

    Confitures liquides et sèches (fruits confits), compotes, massepains, branches de fenouil saupoudrées de sucre, muscadins ou dragées de Verdun.

    On sert du vin rouge de Champagne, des vins de Suresnes, de Touraine ou d’Anjou.

   - Deuxième exemple

 PREMIER SERVICE

 Potages

Grands potages

Soupe au chapon

Soupe de perdrix aux choux

Petits potages

Petit potage au chapon haché

Petit potage de crêtes et de béatilles

Bisque de pigeonneau de volière

Petit potage aux perdrix

Entrées

Grandes entrées

Un quartier de veau

Et une pièce de veau au four

Un Rost de Bif de mouton de Versailles

Petites entrées

Fricassée de poulets

Ragoût de bœuf avec sauces sucrées ou épicées

Andouilles, saucisses et boudins

Venaisons rôties et en pâte

Tourte de pigeonneaux

Poularde dépecée aux truffes

Melons et fruits d’entrée

Langues de canard

DEUXIÈME SERVICE

Rôts (pièces rôties)

Gros rôti

Un chapon gras

Faisans, dindons

Gigot de mouton à la royale

Petit rôti

Bécassines, grives

Étourneaux, alouettes

Rognons de veau rôtis

TROISIÈME SERVICE

Entremets

Entremets au beurre et au lard

Pâté de jambon

Œufs durs [1] et à la poêle

Dindon à la gelée

Crocs en bouche

Crème d’asperge

Légumes du potager du roi : petits pois, artichauts, asperges, cardons, céleri au poivre, brocolis [2]

Salades

Salades de laitues pommées aux truffes

QUATRIÈME SERVICE

Fruit

Surtout d’argent doré couvert de tasses de confitures sèches (fruits confits) : prunes, cerises et oranges

Plats de fruits crus : fraises, poires, raisin, grenades, figues, melons, oranges du Portugal

Quatre jattes de porcelaine contenant des compotes

Massepains et biscuits

Boissons

Eau glacée parfumée à la fleur d’oranger [3]

Vin de Bourgogne trempé (coupé d’eau) [4]

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Notes

 [1] Louis XIV adorait les œufs durs.

[2] Grâce à la Quintinie et ses serres, on servait légumes et fruits hors-saison.  

[3] L’oranger était le seul parfum que Louis XIV tolérait. On peut imaginer ses efforts lorsqu’il était en compagnie de Mme de Montespan qui s’inondait de senteurs...  

[4] Louis XIV buvait peu. En été, on servait de l’eau « à la glace » (glacée).

 Sources : Marc Lefrancois, Dans l’intimité des rois et des reines de France, City Éditions, 2014 et Jacques Levron, La Cour de Versailles aux 17e et 18e siècles, Perrin 2010 

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Date de dernière mise à jour : 24/11/2023