Mme de Maure
Lettre de la comtesse de Maure à la duchesse de Longueville
En septembre 1635, Mme de Maure écrivit à Mme de Longueville[1] de Bourbon l’Archambault. Les cures thermales devenaient à la mode. Quelques années plus tard, Mme de Sévigné et Mme de La Fayette lanceront Vichy.
Mme de Maure s’y ennuyait, prétexte à divers papotages sur les préséances des uns et des autres. Mais cette lettre paraît bien lourde et embarrassée, si on la compare à celles de Mme de Sévigné et certains passages restent obscurs. Les paragraphes, qui n’existaient pas à l’origine, ont été agencés par souci de compréhension.
Nous avons toutefois une idée du style de l'époque...
« Dans la créance que j’ai qu’on s’ennuie quelquefois à Trie, aussi bien qu’on fait à cette heure à Bourbon, il m’a semblé, madame, que ce qui nous avait diverties vous pourrait divertir aussi, et qu’à Paris même, ce que j’ai à vous dire d’un voyage que Mme de Saint-Géran[2] a fait ici ne serait pas à rejeter.
Vous vous souviendrez peut-être bien, madame, qu’elle et moi sommes parentes et bonnes amies. Cela fit qu’aussitôt que je sus qu’elle était arrivée, je la voulus avertir qu’il y avait ici un fort dangereux endroit, où il se fallait bien garder d’aller sans reconnaître. Je lui mandai donc qu’elle n’allât en aucun lieu que je n’eusse parlé à elle, ou que j’allais la trouver. Elle répondit qu’elle me verrait à l’heure même ; et aussitôt je la vis entrer, disant : « Je me doute bien de ce que vous me voulez, mais comment ferai-je ? Il faut bien que je les voie[3] puisque je suis ici. » Je lui dis que si elle avait envie d’être traitée comme une soubrette, elle n’avait qu’à se dépêcher ; mais que si elle voulait l’être suivant sa condition, il fallait faire préparer les voies, et pourvu qu’elle pût savoir qu’on trouverait les Altesses au lit, ce serait assez, parce qu’elle n’aurait qu’à s’asseoir dessus pour éviter le petit siège.
Il fut donc question de trouver un négociateur. Vous savez, madame, que cela n’était pas aisé ; et sans le Père gardien qui voulut bien l’être, et qui avait fait grande connaissance avec ces Altesses, nous n’eussions su à quel saint nous vouer. Il jugea que d’abord il ne fallait point faire de semblant d’avoir vue Mme de Saint-Géran, et qu’il devait seulement dire que l’intérêt qu’il prenait à cette maison-là lui avait fait croire qu’avant que cette dame les vît, il devait s’éclaircir d’un bruit qui courait de ce qu’elles avaient fait à Mme de l’Hôpital[4] et à Mme de Charlus, et que même elles s’en étaient vantées.
Il s’adressa à Mlle de Bouillon, Mme de Turenne étant au bain. Mlle de Bouillon, rouge comme vous savez qu’elle devient en ces occasions-là, lui dit qu’il était vrai qu’elles l’avaient fait, que cela était leur droit, mais qu’elles n’en avaient point parlé. Votre Altesse saura qu’elles l’ont dit à Mme de Mézières de la même façon qu’à elle, et c’est par là qu’il a été su ; car pour moi, madame, je pense que vous jugez bien que je ne vous aurai citée que bien à propos[5] ; Mlle de Bouillon demanda ensuite s’il avait vu Mme de Saint-Géran. Le Père, ne voulant point mentir, avoua la dette.
Alors devenant toute en feu, elle lui dit qu’il n’en fallait point davantage, mais que cela ne venait pas de Mme de Saint-Géran, qu’elle les avait vues toute sa vie, et qu’elle n’avait jamais songé à cela : que même son mari avait reconnu par écrit leur principauté ; et qu’ainsi aller au contraire, c’était leur refuser ce que la naissance leur avait donné ; ce que le roi avait fait pour elles n’avaient été que de les reconnaître. Et ensuite elle conta mot pour mot tout ce que vous savez, madame, qu’elle disait de la façon dont le pape et le roi d’Espagne ont traité feu M. de Bouillon, n’oubliant pas que le pape lui donnait de l’Altesse, lorsqu’il ne donnait que de l’Excellence à M. de Guise[6], que, pour le roi de France, chacun savait que dans le traité que feu M. de Bouillon avait fait pour Sedan, le roi a juré foi de roi, et M. de Bouillon foi de prince ; et, pour conclusion, qu’elle ne croyait pas que Mme de Saint-Géran, qui était leur parente et de leurs meilleures amies, voulût être venue pour leur faire un affront en ne les voyant pas sur un tel sujet.
Le Père lui dit que cela était aisé à accommoder, que sa belle-sœur était au bain, et que pour elle, comme elle était sur son lit, elle n’avait qu’à s’y tenir et à faire mettre dans la ruelle une chaise. Ce fut là que son Altesse fut aux abois. Elle n’osait refuser de demeurer sur son lit, de peur que la dame s’en retournât sans la voir ; de s’y accorder aussi[7], voyez s’il y avait moyen de proférer une telle parole, car comme vous le savez, madame, on ne prétend point cela des princesses de Savoie et de Lorraine. Elle prit aussi le pari de ne répondre que sur les sièges, disant qu’elle n’avait que deux chaises, qui étaient déjà sur le char pour partir ; qu’il voyait bien qu’il n’y en avait point dans la chambre, avec mille protestations qu’elle voudrait rendre à Mme de Saint-Géran tout l’honneur qu’il lui était possible, mais que Dieu lui avait fait la grâce de naître princesse. Elle acheva par où elle avait commencé, disant que cela ne venait pas de Mme de Saint-Géran.
Vous jugez bien, madame, que si cette comtesse avait été de l’humeur de quelque autre, l’affaire eût pu en demeurer là ; mais comme elle est bien meilleure, et qu’elle a des exemples domestiques que véritablement l’autre n’a pas, elle voulut aller, disant qu’assurément la demoiselle serait sur le lit ; de sorte qu’il fallut se contenter de lui faire promettre qu’elle ne s’assiérait point, si elle ne l’y trouvait, et qu’en ce cas-là[8]. En effet elle l’y trouva, mais le cœur lui faillit au besoin. Elle se sentit si obligée de ce qu’elle lui offrit de s‘y mettre, qu’elle se mit sur le petit siège. Mme de Villars[9], qui lui avait fait de bonnes leçons, aussi bien que nous, pensa tomber de son haut, et lui fit de telles mines qu’elle fut contrainte de changer de place assez promptement, et de se mettre sur le lit, disant qu’elle sentait un grand vent. Mais ce fut assez pour mettre la princesse en bonne humeur, que la dame se fût mise d’abord à son devoir. Elle crut sans doute qu’elle n’avait fait le reste que pour avoir paix de ceux qu’elle jugeait bien qui lui avaient donné de si mauvais conseils ; et lui parlant comme à une véritable amie de la maison, elle l’entretint de la douleur qu’elle avait fait que trois de ses sœurs se fussent mésalliées, n’ayant épousé que des gentilshommes, que sans cela elle serait morte contente, le roi leur ayant fait la justice qu’il leur avait faite.
Votre Altesse n’aura-t-elle point de regret que ce discours-là ne soit point adressé à quelqu’un qui eût moins de douceur que n’en a cette comtesse ? Pour moi, je ne m’en serais jamais consolée.
L’autre Altesse, qui voulait voir cette dame et qui ne fut point dans sa chambre, vint dans celle de sa belle-sœur, et s’étant mise d’abord de l’autre côté du lit, cette pauvre comtesse ne se put encore tenir de lui donner sa place. Elle dit que ce fut à cause d’un grand vent, qui en vérité n’aurait pas été bien fort bon au sortit d’un bain, et qu’elle le lui dit pour lui faire voir que ce n’était que pour cela. Mme de Villars, ni moi, ni Mlle de Vandy non plus n’avons point pris cette excuse en payement, et il ne nous arrivera plus de vouloir faire battre quelqu’un qui n’en ait point envie.
Mais aussi l’Altesse de madame n’était pas moins satisfaite que l’Altesse de mademoiselle ; elle fut aussi fort humaine et conduisit la dame le plus loin qu’il se pouvait ; de sorte que si je n’ai tout à fait réussi en mon dessein, j’ai du moins fait recevoir ma cousine d’une autre façon qu’elle ne l’aurait été si je ne m’en étais mêlée, et j’ai un peu vengé le mépris qu’elles font de nous autres pauvres noblesses, ayant empêché le gouvernement de la province de servir tout à fait leur triomphe. Vous ne doutez pas aussi, madame, que je ne me sois donné le dernier coup de pinceau, et qu’elles ne soient bien persuadées que c’est moi qui leur ai envoyé le capucin.
Mais quoi qu’il puisse arriver, je n’y saurais avoir de regret, car outre que j’ai fait ce que j’ai dû, on s’ennuyait tellement ci que l’on a été trop heureux d’avoir cela à faire. Je sais bien que lorsqu’on est près de l’ennemi, qu’on est oisif et qu’on n’est pas poltron, l’on fait aisément des entreprises assez hardies. Après tout, madame, nous avons eu une demi-victoire, et si nous avions eu de meilleures troupes, juges de ce que nous aurions fait. Nous apprenons même que, de son côté, celui qui commandait est assez blessé. Tout de bon ce n’est pas raillerie ; je crois que Mme de Bouillon en est malade ; car après avoir paru furieusement émue avec le capucin, elle se trouva mal dès le lendemain, et le jour d’après, qui fut hier, elle eut un grand accès de fièvre. Elle n’a pas laissé de partir aujourd’hui. »
[1]Anne-Geneviève de Bourbon-Condé, sœur du Grand Condé et épouse du suivant.
[2] Épouse du gouverneur du Bourbonnais.
[3] Les dames de Bouillon, le dangereux endroit en question, de la famille du duc de Bouillon, nommé prince de Sedan.
[4] On avait fait asseoir Mme de l’Hôpital (épouse du maréchal de France) plus bas que Mme de Turenne (ibidem), et Mme de Charlus, sa parente, n’avait eu qu’un petit siège.
[5] La duchesse de Longueville avait été elle aussi mêlée à cette affaire.
[6] Duc de Guise, grand chambellan.
[7] Pour ce qui est d’y consentir.
[8] Seulement.
[9] Épouse du premier gentilhomme de la chambre de Conti.
Lettre de la comtesse de Maure à Mme de Sablé
[Sans date]
Que cette lettre adressée cette fois à Mme de Sablé ait été écrite dans l’esprit de la précédente (adressée à Mme de Longueville et concernant de ridicules préséances) est plausible. La comtesse de Maure semble vouloir pousser quelqu’un dans les allées du pouvoir. Le style est toujours aussi lourd, embarrassé et obscur.
«…Il me semble que non seulement pour les princes, mais aussi pour les rois, il ne faudrait chercher que les hommes vertueux et capables, c’est-à-dire les qualités de l’âme et de l’esprit, et non pas la naissance ; car il se trouve si peu de gens de condition dans le monde qu’il les faut chercher et prendre tels que je dis dans toutes les conditions sans se borner entre les gentilshommes.
Je m’étonne que ces dames, qui ont autant de vertu que d’esprit qu’elles ont de qualités, s’arrêtent à ces choses-là qui sont si peu de conséquence au prix de la vertu. Je conviens bien que, si les mêmes qualités se trouvaient avec la condition, il faudrait la préférer, mais la condition d’ordinaire se trouve avec l’ignorance ; enfin je ne sais personne plus fidèle ni plus ferme que cette personne, et vous savez qu’il sait parfaitement le latin et le français [de qui parle-t-elle ?].
Il sait aussi l’italien. Il a été à M. d’Aumont, et, après sa mort, à madame sa femme, mais il est sorti de Port-Royal avec quelque mécontentement, enfin il ne s’est jamais mêlé des choses qui se sont agitées, et il n’en parle point du tout. Tant y a, il ne les faut point tromper : il n’est point de la condition qu’ils demandent. Il a pourtant été exempt des gardes, mais il me semble que vos princesses ne doivent pas compter sur ces choses-là, et que leur esprit les met au-dessus de cela… »
La comtesse de Maure, amie de Mme de Sablé
Née en 1600, Italienne par son père, elle fut la meilleure amie de Mme de Sablé, en dépit de brouilles incessantes dues à son mauvais caractère. Elle finit ses jours dans la dévotion, comme Mme de Sablé et mourut en 1663.
Cette lettre à Mme de Sablé d’octobre 1631 donne un exemple de sa susceptibilité :
« J’ai vu cette lettre où vous me mandez qu’il y a tant de galimatias, et je vous assure que je n’y en ai point trouvé du tout, au contraire. J’ai trouvé que toutes choses y sont très bien expliquées, et entres autres une qui l’est trop bien pour mon contentement, qui est que vous avez dit à Mme la marquise de Rambouillet[1] que lorsque vous vous vouliez figurer une vie tout à fait heureuse pour vous, c’était de la passer toute seule avec Mlle de Rambouillet. Vous savez si personne peut être plus persuadée que moi de son mérite ; mais je vous avoue que cela n’a pu faire que je n’aie été surprise de voir que vous eussiez pu avoir une pensée qui fait une si grande injure à notre amitié. Car de croire que vous n’ayez dit cela à une et que vos ne l’ayez écrit à l’autre que pour leur faire un compliment agréable, j’estime trop votre courage pour pouvoir imaginer que la complaisance vous fît trahir de cette sorte les sentiments de votre cœur, surtout en un sujet où je crois que vous auriez plus de raison de les cacher, puisqu’ils ne m’étaient pas favorables ; l’affection que j’ai pour vous étant si fort dans la connaissance de tout le monde, et surtout Mlle de Rambouillet, que je doute si elle n’aura pas été plus sensible au tort que vous me faites qu’à l’avantage que vous lui donnez. L’aventure que cette lettre me soit tombée entre les mains m’a bien ramentevé[2] ces vers de Bertaut que
« Malheureuse est l’ignorance
Et plus malheureux le savoir. »
Ayant perdu par ces moyens-là une confiance qui seule me rendait la vie supportable, il n’y a pas moyen de songer à accomplir le voyage tant proposé[3] ; car y aurait-il de l’apparence de faire soixante lieues dans cette saison pour vous charger d’une personne si eu agréable qu’après tant d’années d’une passion sans pareille vous n’ayez pu vous défendre de faire consister le plus grand plaisir de votre vie à la passer sans elle ? Je m’en retourne donc dans ma solitude examiner les défauts qui me rendent si malheureuse et, à moins que de les pouvoir corriger, je ne pourrais avoir tant de joie en vous voyant que je n’eusse davantage de confusion. Je vous baise les mains et suis, etc. »
[1] Ayant appris que, dans une lettre à Mlle de Rambouillet, Mme de Sablé avait écrit que son plus grand bonheur serait de passer sa vie avec elle, Mme de Maure se vexa, refusa pour un temps d’accepter les explications et ajourna le voyage à Sablé qu’elle était sur le point de faire.
[2] Remis en mémoire. Ce mot était déjà sorti de l’usage au XVIIe siècle.
[3] Vers les terres de Mme de Sablé.
* * *
Date de dernière mise à jour : 12/09/2017