Mme de Maintenon et Saint-Simon
Mme de Maintenon dans les Mémoires de Saint-Simon
Saint-Simon n’aime guère Mme de Maintenon, cette « veuve à l’aumône de ce poète cul-de-jatte [Scarron). »
Il condamne son entrée en dévotion à laquelle « tout le reste [1] fut sacrifié sans réserve. » A la cour, elle « se croyait l’abbesse universelle », souffrant de la « maladie des directions ». Saint-Simon, comme toute la cour eut ainsi « la confirmation de sa transparente énigme [2]. »
Il constate qu’elle reçoit peu, sauf le duc du Maine : « Pour le duc du Maine, les portes tombèrent toujours devant lui en quelque lieu qu’elle fût. »
Pour ce qui est de la toilette, elle est « toujours très bien mise, noblement, proprement, de bon goût, mais très modestement, et plus [vieux] alors que son âge. »
Il l’accuse d’une influence hypocrite : à cause d’elle, « bien des gens eurent le cou rompu sans en avoir pu imaginer la cause […]. Aussi répondait-elle toujours à quiconque s’adressait à elle, même pour les moindres choses, qu’elle ne se mêlait de rien. »
Il lui reproche son amitié avec la princesse des Ursins qu’elle « rendit maîtresse de tout en Espagne et l’y maintint jusqu’à la paix d’Utrecht […] aux dépens de l’Espagne et de la France. »
Son influence sur Louis XIV
L’influence de Mme de Maintenon sur le roi semble flagrante. Saint-Simon écrit dans ses Mémoires « ... la toute-puissance, l’adoration publique, universelle, les ministres, les généraux d’armée, la famille royale la plus proche, tout en un mot à ses pieds […]. Tout bon et tout bien par elle, tout réprouvé sans elle : les hommes, les affaires, les choses, les choix, les justices, les grâces, la religion, tout sans exception en sa main, le roi et l’État ses victimes ; quelle elle fut, cette fée incroyable, et comment elle gouverna sans lacune, sans obstacles, sans nuage le plus léger, plus de trente ans entiers, et même trente-deux, c’est l‘incomparable spectacle qu’il s’agit de se retracer… ».
Il fait donc remonter à 1685, voire 1683, la faveur de Mme de Maintenon. La reine meurt effectivement le 30 juillet 1683 et les historiens s'accordent sur octobre 1683 pour la date du mariage secret. Son mariage, toujours selon Saint-Simon, est « une chose que la postérité aura du mal à croire. » Il s'agit d'un mariage de conscience (sans effet civil, sans publicité et morganatique sur le plan dynastique), un mariage inégal mais qui a sa propre force : « Son inégalité tomba en plein sur du solide » conclut Saint-Simon, qui a l'art des formules.
Jusqu'à quel point faut-il relativiser l'influence de Mme de Maintenon sur le roi ? A la lire, elle n'en a aucune, ou très peu... Voire !
La mort du roi
Saint-Simon nous livre un récit circonstancié des derniers jours de Louis XIV, observe qu’il allait mal depuis de longs mois [3] et s’étonne que Mme de Maintenon ne s’en soit pas aperçu…
« Le mercredi 14 août, il se fit porter à la messe pour la dernière fois, tint Conseil d’État, mangea gras et eut grande musique chez Mme de Maintenon […].
Le jeudi, fête de l’Assomption […], il dîna devant tout le monde dans son lit, se leva à cinq heures et se fit porter chez Mme de Maintenon où il eut petite musique […].
Le vendredi 16 août […], il se fit porter chez Mme de Maintenon, il y joua avec les dames familières et y eut après grande musique […].
Le samedi 17 août […], il passa chez Mme de Maintenon où il travailla avec le chancelier [...].
Le mardi 20 août, il ne put aller chez Mme de Maintenon qu’il envoya chercher. Mme de Dangeau et Mme de Caylus [4] y furent admises quelque temps après pour aider à la conversation […].
Le vendredi 23 août […], il passa l’après-dînée avec ses deux bâtards, M. du Maine surtout [5], Mme de Maintenon et les dames familières […].
Le dimanche 25 août, fête de la Saint-Louis […], il voulut expressément qu’il ne fût rien changé à l’ordre accoutumé de cette journée […] ; il fut ensuite en particulier avec Mme de Maintenon, le chancelier et un peu le duc du Maine [...]. Il y avait eu la veille du papier et de l’encre pendant son travail tête à tête avec le chancelier, il y en eut encore ce jour-ci, Mme de Maintenon présente [6] et c’est l’un des deux [jours] que le chancelier écrivit sous lui son codicille. Mme de Maintenon et M. du Maine, qui pensait sans cesse à soi ne trouvèrent pas que le roi eût assez fait pour lui par son testament ; ils y voulurent remédier par un codicille qui montre également l’énorme abus qu’ils firent de la faiblesse du roi dans cette extrémité et jusqu’où l’excès de l’ambition peut porter un homme […]. Il n’y avait que peu de valets des plus nécessaires dans la chambre avec Mme de Maintenon. Elle ne s’approcha point tant que le roi parla à M le duc d’Orléans […].
Le mardi 27 août personne n’entra dans la chambre du roi que le Père Tellier [7], Mme de Maintenon […]. Sur les deux heures, on envoya chercher le chancelier et seul avec lui et Mme de Maintenon, lui fit ouvrir deux cassettes pleines de papiers, dont il lui fit brûler beaucoup [8].
Le mercredi 28 août, il fit le matin une amitié à Mme de Maintenon qui ne lui plut guère et à laquelle elle ne répondit pas un mot. Il lui dit que ce qui le consolait de la quitter était l’espérance, à l’âge où elle était, qu’ils se rejoindraient bientôt [Mme de Maintenon se rend directement à Saint- Cyr sans passer chez elle].
Le jeudi 29 août […] la gangrène se trouva dans tout le pied, dans le genou et la cuisse fut enflée [On envoie chercher Mme de Maintenon].
Le vendredi 30 août […] sur les cinq heures du soir, Mme de Maintenon passa chez elle, distribua ce qu’elle avait de meubles dans son appartement à son domestique et s’en alla à Saint-Cyr pour n’en sortir jamais. »
Saint-Simon évoque Mme de Montespan, morte en 1707, à laquelle « Mme de Maintenon [qui lui] doit tout, qui prit peu à peu sa place, qui monta plus haut, qui la nourrit longtemps des plus cruelles couleuvres, et qui enfin la relégua de la Cour. Ce que personne n’osa, ce dont le roi fut bien en peine, M. du Maine s’en chargea et M. de Meaux l’acheva ; elle partit en larmes et en furie et ne l’a jamais pardonné à M. du Maine [9] qui, par cet étrange service, se dévoua pour toujours le cœur et la toute-puissance de Mme de Maintenon. »
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Notes
[1] Son passé de précieuse et sa vie galante.
[2] Le mariage secret.
[3] Attaques de goutte.
[4] Nièce de Mme de Maintenon.
[5] L’autre étant le comte de Toulouse.
[6] On la soupçonne d’avoir fait modifier le testament du roi en faveur du duc du Maine.
[7] Confesseur du roi.
[8] Certains historiens avancent que parmi ces papiers compromettants figuraient ceux concernant l’affaire des Poisons et Mme de Montespan.
[9] Fils de Mme de Montespan.
À propos du style de Saint-Simon
Pour le moins inventif, le « petit duc » ! Proust, Sainte-Beuve, Gide et bien d’autres l’admirent. Saint-Simon bouscule la syntaxe, crée des néologismes et n’y va pas par quatre chemins, dressant des portraits au vitriol. En voici quelques exemples :
* La princesse de Harcourt avait été fort belle et galante ; quoiqu’elle ne fût pas vieille, les grâces et la beauté s’étaient tournées en gratte-cul. C’était alors une grande et grosse créature, fort allante, couleur de soupe au lait, avec de grosses et vilaines lippes, et des cheveux de filasse toujours sortants et traînants comme tout son habillement. »
* Le régent (dont il est cependant l’ami) « parla moins qu’à l’ordinaire, c’est-à-dire comme trois ou quatre femmes. »
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Date de dernière mise à jour : 12/11/2017