Marquise de Villars
Lettres de la marquise de Villars à Mme de Coulanges : vie à la cour d'Espagne
La marquise de Villars faisait partie du cercle amical de Mmes de Sévigné, de La Fayette, de Coulanges, bref des précieuses. Elle suivit son mari nommé ambassadeur d’Espagne à Madrid et s’étonnait des mœurs espagnoles, comme en témoignent ces lettres à Mme de Coulanges. Le style lourd et alambiqué fait regretter que ce ne soit pas Mme de Sévigné qui ait pris la plume…
Mais elle nous révèle ici quelques aspects de la vie quotidienne à la cour d'ESpagne.
Lettre du 14 décembre 1679 : les entours de la reine
« … Peu après que la reine[1] a été ici, elle a témoigné beaucoup d’envie de me voir, et me l’envoya dire. Je répondis que j’étais fort sensible à l’honneur qu’elle me faisait. Elle me fit dire pour la seconde fois qu’elle avait prié le roi que j’y allasse incognito, parce que jusqu’à ce qu’elle ait fait son entrée, et qu’elle soit logée dans le palais, personne, homme ni femme, ne la verra. On envoya à la camarera mayor, pour lui dire ce que la reine avait mandé, et la permission que le roi lui avait donnée de me voir incognito. La camarera répondit qu’elle ne savait point cela. Le gentilhomme espagnol, que nous lui avions envoyé, la supplia de vouloir s’en informer : elle répondit qu’elle ne ferait rien, et que la reine ne verrait personne tant qu’elle serait au Retiro. Nous fîmes savoir à la reine la diligence que nous avions faite : on ne pouvait pas moins après l’envie qu’elle avait témoignée que j’eusse l’honneur de la voir. Après cela nous nous sommes tenus en repos. Je n’ai pas même voulu aller à l’église, où l’on peut la voir d’une tribune, de peur qu’on m’accusât de trop d’empressement. Le roi en a un très grand pour elle. Il ne voudrait jamais la perdre de vue. Cela est très obligeant. Mais pour en revenir à cette envie de me voir, je fus dimanche, pour la première fois, rendre mes devoirs à la reine mère, qui est bonne, obligeante, disant tout ce qu’elle peut et tout ce qu’il faut pour plaire. Elle me demanda si je n’avais pas encore vu la reine, sa belle-fille. Je lui dis que non. Elle me répondit : « Elle a fort envie de vous voir, vous la verrez dès que vous le voudrez et dès demain. » Ce demain est aujourd’hui. Je vous ai écrit ceci par avance. Ce sera sur les quatre heures que je me rendrai à cette audience de la reine. Je vous rendrai compte comme tout cela m’aura paru. On dit qu’elle se conduit fort bien : j‘en suis persuadée. Aucun Français ne l’a vue. Il y a deux jours que la marquise de los Balbasès la voulut voir ! Elle alla dans l’appartement de la camarera, qui touche à celui de la reine. Dès que la jeune princesse le sut, elle y vint tout aussitôt ; mais comme elle voulut parler à la marquise, la camarera prit la reine par le bras et la fit entrer dans sa chambre. Ce sont des usages qui ne sont pas si extraordinaires ici qu’ils le seraient ailleurs… »
Lettre du 27 décembre 1679 : vie quotidienne à la cour d’Espagne
« … J’ai reçu depuis peu mes visites. La manière dont se passe cette cérémonie est une chose assez singulière. Premièrement, dès que j’ai été arrivée, toutes les dames, princesses, duchesses, grandes, ont envoyé plusieurs fois me complimenter, et s’informer avec soin quand elles me pourraient voir, chacune voulant être avertie des premières.
Enfin ce temps est venu, et il y a quelques jours qu’on leur fit savoir que je recevrais le monde trois jours de suite. On envoie un page chez toutes celles qui ont envoyé, avec des billets qu’on nomme nudillos parce qu’en effet ce sont des billets noués. Ce fut la marquise d’Asséra veuve du duc de Lerme, que j’ai vue en France, et qui croit que je lui ai rendu quelque petit service, qui fit les trois jours les honneurs de ma maison. La dame de ce portrait qu’a M. de Villars les a faits aussi. Je crois qu’elle a été belle, et même qu’elle le serait encore passablement sas cette épouvantable coiffure de veuve qu’elle porte. Il n’est pas possible à quelque belle personne que ce soit de le paraître avec cet accoutrement ; et je ne sais pas comment une veuve, qui serait un peu galante, et qui compte sur sa beauté, ne se remarie pas tout au plus tard au bout de l’an. Cette dame a bien de l’esprit, et est honnête et polie.
Je ne vous dirai point les pas comptés que l’on fait pour aller recevoir les dames les unes à la première estrade, les autres à la seconde, ou à la troisième ; car, par parenthèse, j’ai un très grand appartement. Tirez de là, en soupirant pour moi, la conséquence de ce qu’il m’en coûte à le meubler. Il faut, en entrant et en sortant, passer devant toutes ces dames. Celle qui me conduisit avait assez d’affaires à me redresser ; car j’oubliais souvent le cérémonial. Ces visites durent tout le jour.
On les conduit dans une chambre couverte de tapis de pied, un grand brasier d’argent au milieu. Je n’oublierai pas de vous dire que, dans ce brasier, il n’y a point de charbon, mais de petits noyaux d’olives qui s’allument, et qui font le plus joli feu du monde, une petite vapeur douce. Ce feu dure plus que la journée.
La manière de s’entretenir et de se faire des amitiés serait trop longue à vous dire. Toutes ces femmes causent comme des pies dénichées, très parées en beaux habits et pierreries, hors celles qui sont leurs maris en voyage ou en ambassade. Une des plus jolies, sans comparaison, était vêtue de gris par cette saison. Pendant l’absence de leurs maris, elles se vouent à quelques saints, et portent avec leur habit gris ou blanc de petites ceintures de corde ou de cuir. Je ne puis vous dépeindre aucune beauté, car je n’en ai point vu.
La connétable de Castille est des mieux faites ; mais revenons à notre brasier ; toutes assises sur nos jambes, sur ces tapis, car, quoiqu’il y ait quantité d’almohadas ou carreaux [coussins], elles n’en veulent point.
Dès qu’il y a cinq ou six dames, on apporte la collation qui recommence une infinité de fois. On présente d’abord de grands bassins de confitures sèches ; ce sont des filles qui servent ; après cela quantité de toutes sortes d’eaux glacées ; et puis du chocolat ; ce qu’elles ont mangé ou emporté de marrons glacés, qu’elles nomment castagnas, ne se peut comprendre, tant elles les trouvent bons.
Il règne une grande honnêteté parmi elles, touchées de plaire et de faire plaisir ; avec tout cela, madame, que je fus aise de me trouver à la fin de mes trois jours, la plupart me sont venues voir deux fois ; trois ou quatre entendent et parlent un peu le français et moi très peu l’espagnol. Si ce récit vous paraît trop long, gardez-le pour le mettre en la place de la lecture que vous faites quelquefois les soirs… »
Lettre du 27 janvier 1680 à Mme de Coulanges sur l’intrusion de Marie Mancini, connétable Colonna, chez elle à Madrid
[Marie a quitté son époux]
« Comme le courrier ne partit point hier au soir et qu’il me reste un peu de temps, je veux vous conter, si je puis en peu de mots, une belle aventure. Nous arrivions hier, M. de Villars et moi, sur les dix heures du matin, quand nous vîmes entrer dans ma chambre une tapada [femme couverte d’une mante], suivie d’une autre qui paraissait sa suivante. Je fis signe à M. de Villars que c’était à lui à se mettre en devoir de faire les honneurs. La suivante se retira ; l’autre fit signe qu’elle voulait que quelques gens qui étaient dans l’antichambre se retirassent aussi. Elle s’approcha d’une fenêtre avec M. de Villars, me faisant signe en même temps de m’approcher. Elle leva sa mante, je n’en étais guère plus savante. Je me souvenais un peu d’avoir vu quelque personne qui lui ressemblait. M. de Villars s’écria : C’est madame la connétable Colonne ! » Sur cela je me mis à lui faire quelques compliments. Comme ce n’est pas son style, elle en vint au fait. Elle pleura et demanda qu’on eût pitié d’elle. Pour dire deux mots de sa personne, sa taille est des plus belles. Un corps [corsage] à l’espagnole qui ne lui couvre ni trop ni trop peu les épaules. Ce qu’elle en montre est très bien fait ; deux grosses tresses de cheveux noirs, renouées par le haut d’un beau ruban couleur de feu ; le reste de ses cheveux en désordre et mal peignés ; de très belles perles à son cou ; un air de gaité qui ne siérait pas bien à une autre et qui, pour lui être assez naturel, ne gâte rien ; de belles dents [...].
La voilà donc chez nous, disant qu’elle n’en voulait plus sortir et que l’on ne voudrait pas la mettre dans la rue. [...] Nous la fîmes dîner. Je lui fis de mon mieux, perce qu’en effet elle fait très grande pitié d’être de l’humeur qu’elle est. Le marquis de los Balbases envoie un de ses parents pour essayer de la résoudre à retourner et à ne pas donner une nouvelle scène au public. Elle dit qu’elle n’en fera rien. Le nonce arrive, elle le prie qu’il la fasse rentrer dans son couvent, il répond qu’il n’en a pas le pouvoir. Une dame de qualité de nos amis, qui est la comtesse de Villombrosa dont le fils a épousé la fille de Los Balbases, vint ici. M. de Villars et le nonce firent plusieurs allées et venues chez Los Balbases, qui promit plusieurs fois, foi de cavalier, qu’il ne ferait aucune violence à madame Colonne pour retourner avec son mari, qu’il la priait de revenir chez lui et que l’on tâcherait de faire ne sorte que le roi [...] ne saurait rien de sa sortie ; et que, si elle s’opiniâtrait à ne pas vouloir revenir, elle allait mettre contre elle le roi, son mari et toute sa famille. Enfin madame, il était près de minuit que nous ne savions tous que faire par les conséquences que cette pauvre créature attirait contre elle en demeurant chez nous. Mais enfin elle se résolut à s’en aller. La comtesse de Villombrosa, M. de Villars et moi la ramenâmes chez le marquis de los Balbases. Sa femme et lui la reçurent très bien. Mille embrassades. Vraiment, c’est une chose inconcevable que les mouvements extraordinaires qui se passent dans cette tête. Elle l’avoue elle-même. Si elle ne fait pas plus de chemin, ce n’est pas manque de bonne volonté. »
Lettre du 9 février 1680 : une corrida
«… Il y eut hier la plus célèbre fête de taureaux qui se soit vue depuis plusieurs règnes des rois d’Espagne. Il y eut six grands, ou fils de grands, qui furent les toréadors[2]. Je pensai mourir dans la première heure ; mourir est un peu trop dire : mais j’eus une émotion et un si violent battement de cœur que je crus ne pouvoir résister, et je me levais pour m’ôter de dessus le balcon où j’étais, si M. de Villars ne m’eût dit que pour rien au monde il ne fallait faire cette faute. C’est une terrible beauté que cette fête. La bravoure des toréadors est grande. Aucuns[3] taureaux épouvantables éprouvèrent bien celle des plus hardis et des meilleurs. Ils crevèrent de leurs cornes plusieurs beaux chevaux ; et quand les chevaux sont tués, il faut que les seigneurs combattent à pied, l’épée à la main, contre ces bêtes furieuses. Je n’aurais jamais fait, si je voulais vous conter tout ce qui s’observe dans ces combats, qui ont bien du rapport avec ceux des anciens Maures et Grenadins. Les dames dont les amants combattent, et qui sont présentes, doivent bien mal passer leur temps, pour peu qu’elles les aiment véritablement. Les seigneurs qui doivent combattre ont chacun cent hommes vêtus de leurs livrées. C’est une chose qui mériterait de vous être contée plus en détail. Si j’étais roi d’Espagne, jamais on n’en reverrait… »
Lettre du 5 septembre 1680 : pauvre Marie-Louise d’Orléans !
« … Je vous ai mandé par ma dernière lettre la destitution de la duchesse de Terranova ; qu’on avait mis à sa place la duchesse d’Albuquerque, et que je ne pouvais être ni aise, ni fâchée de ce changement, que selon que la reine s’en trouverait bien ou mal.
Quoique Mme de Terranova ait une grande aversion pour la France et pour les Français, elle m’a toujours traitée fort honnêtement. On croit que la reine n’aura pas sujet de se repentir de ce changement. L’air du palais est déjà tout autre, et le roi aussi. Sa Majesté a permis à la reine de ne se coucher plus qu’à dix heures et demie et de monter à cheval quand elle voudra, quoique cela soit entièrement contre l’usage… »
Lettre du 12 septembre 1680 : oublie-t-on jamais l’air de Paris ?
« … On se trouve toujours bien du changement de la camarera mayor. L’air du palais en est tout différent. Nous regardons présentement, la reine et moi, tant que nous voulons, par une fenêtre sui n’a de vue que sur un grand jardin d’un couvent de religieuses qu’on appelle l’Incarnation., et qui est attaché au palais. Vous aurez peine à imaginer qu’une jeune princesse, née en France et élevée au palais-royal, puisse compter cela pour un plaisir ; je fais ce que je puis pour le lui faire valoir plus que je ne le compte moi-même… »
Austérité de la cour espagnole (Lettres de la Palatine)
L'étiquette en Espagne est particulièrement rigide. La Palatine rejoint ici le point de vue de Mme de Villars (lettre à Mme de Coulanges).
« Mais, à propos des enfants de Monsieur, j’allais presque oublier de vous parler de le reine d’Espagne [1]. J’ai reçu aujourd’hui même des lettres d’elle ; autant que je peux en juger par ces lettres et par tous les récits que m’ont faits ceux de ses gens qui sont revenus ici, l’Espagne est le plus affreux pays du monde ; les manières y sont les plus insipides et les plus ennuyeuses qu’on puisse imaginer. La pauvre enfant ! je la plains de tout mon cœur de passer sa vie dans un pays pareil. Elle n’aura pour toute consolation que ses petits chiens qu’elle a emmenés avec elle. On l’a mise déjà dans un régime de gravité si sévère qu’on ne lui permet pas de parler à son ex-écuyer, elle ne peut que lui faire signe de la main et de la tête, et cela en passant. Les femmes de chambre françaises ne pouvaient pas, au commencement, s’accoutumer à être enfermées ; elles voulaient toutes revenir en France. » (15 décembre 1679).
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Notes
[1] Marie-Louise d’Orléans, fille de Monsieur et d’Henriette d’Angleterre, sa première épouse.
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Date de dernière mise à jour : 16/10/2017