« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Henriette d'Angleterre ou La Vallière ?

Louis XIV amoureux de sa belle-sœur, Henriette d'Angleterre

Portrait posthume d'Henriette d'Angleterre, dite Madame   Shocking !

   On l’accueille à la cour de France très jeune, alors qu’elle fuit les rivalités de la cour d’Angleterre où l’on s’entretue pour le trône. C’est finalement son frère Charles II qui règnera. En 1661, on lui fait épouser Monsieur, Philippe d’Orléans, frère du roi. Hélas, il préfère les hommes, comme le dit si élégamment Mme de La Fayette (l'une de ses dames d'honneur) dans son Histoire de Madame : « Le miracle d'enflammer ce prince n'était réservé à aucune femme du monde. »  

   Henriette, comme Louis XIV, est une fervente adepte de la chasse et de la danse. La complicité naît. Et puis, comment ne pas succomber, en ce chaud été 1661, aux joies partagées d’une baignade improvisée dans les bois ? Et surtout, en route pour Versailles qui commence à prendre forme, comment résister, dans ce carrosse cahotant, aux splendeurs d’un décolleté ? Pourtant, il commença par le trouver trop maigre et aurait dit à son frère : « Mon frère, êtes-vous si pressé d'épouser les os des Saints-Innocents ? »

   Cet amour frise l’inceste : Henriette est la belle-sœur du roi et l’arrière-petite-fille d’Henri IV. Que faire ?

   On a recours à un stratagème : faire croire à la cour que le roi en aime une autre. On choisit, parmi les filles d’honneur d’Henriette, la douce et timide Louise de La Vallière qui arrive de sa province, maigre et boiteuse. Le roi ne va pas tarder à s’en éprendre.

   Henriette enrage. Elle meurt en 1670 à l’âge de 26 ans. Des bruits d’empoisonnement courent (elle aurait bu une eau de chicorée suspecte), mais c’est la mode à l’époque. Toutefois, la Palatine est persuadée qu'elle a été empoisonnée (voir infra). Bossuet prononcera son célèbre éloge funèbre : « Madame se meurt, Madame est morte. »

Racine dédicace Andromaque à Henriette d'Angleterre

Andromaque ici

À MADAME[1]

 

MADAME,

Ce n’est pas sans sujet que je mets votre illustre nom à la tête de cet ouvrage. Et de quel autre nom pourrais-je éblouir les yeux de mes lecteurs, que de celui dont mes spectateurs ont été si heureusement éblouis ? On savait que Votre Altesse Royale avait daigné prendre soin de la conduite de ma tragédie ; on savait que vous m’aviez prêté quelques-unes de vos lumières pour y ajouter de nouveaux ornements ; on savait enfin que vous l’aviez honorée de quelques larmes dès la première lecture que je vous en fis. Pardonnez-moi, MADAME, si j’ose me vanter de cet heureux commencement de sa destinée. Il me console bien glorieusement de la dureté de ceux qui ne voudraient pas s’en laisser toucher. Je leur permets de condamner l’Andromaque tant qu’ils voudront, pourvu qu’il me soit permis d’appeler de toutes les subtilités de leur esprit au cœur de Votre Altesse Royale.

Mais, MADAME, ce n’est pas seulement du cœur que vous jugez de la bonté d’un ouvrage, c’est avec une intelligence qu’aucune fausse lueur ne saurait tromper. Pouvons-nous mettre sur la scène une histoire que vous ne possédiez aussi bien que nous ? pouvons-nous faire jouer une intrigue dont vous ne pénétriez tous les ressorts ? et pouvons-nous concevoir des sentiments si nobles et si délicats qui ne soient infiniment au-dessous de la noblesse et de la délicatesse de vos pensées ?

On sait, MADAME, et Votre Altesse Royale a beau s’en cacher, que, dans ce haut degré de gloire où la nature et la fortune ont pris plaisir de vous élever, vous ne dédaignez pas cette gloire obscure que les gens de lettres s’étaient réservée. Et il semble que vous ayez voulu avoir autant d’avantages sur notre sexe, par les connaissances et par la solidité de votre esprit, que vous excellez dans le vôtre par toutes les grâces qui vous environnent. La cour vous regarde comme l’arbitre de tout ce qui se fait d’agréable. Et nous qui travaillons pour plaire au public, nous n’avons plus que faire de demander aux savants si nous travaillons selon les règles : la règle souveraine est de plaire à Votre Altesse Royale[2].

Voilà, sans doute, la moindre de vos excellentes qualités. Mais, MADAME, c’est la seule dont j’ai pu parler avec quelque connaissance : les autres sont trop élevées au-dessus de moi. Je n’en puis parler sans les rabaisser par la faiblesse de mes pensées, et sans sortir de la profonde vénération avec laquelle je suis,

MADAME,

DE VOTRE ALTESSE ROYALE,

Le très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur,

RACINE

 


[1] Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans, qui devint la belle-sœur de Louis XIV en 1661. Cultivée, elle aimait et protégeait les Lettres. 

[2] Épître à la fois méprisante pour les adversaires de Racine et habile car attaquer le dramaturge serait attaquer MADAME.

Rôle politique et empoisonnement d'Henriette d'Angleterre (Lettre de la Palatine)

   On doit à Henriette d’Angleterre, le traité d’alliance entre le roi Charles II d’Angleterre, son frère, et Louis XIV. L’origine de sa mort précoce [à 26 ans] reste mystérieuse. Un empoisonnement n'est pas exclu mais, selon Mme de La Fayette, la princesse se plaignait de douleurs intestinales depuis un certain temps.  

   La princesse Palatine affirme ici qu'elle a été empoisonnée.

   « Madame consultait le vicomte de Turenne en cette affaire, pour avoir quelqu’un qu’elle pût envoyer en cachette au roi ; car la chose devait être tenue secrète devant Monsieur [1]. Le vieux Turenne était éperdument amoureux d’une jeune madame de Coëtquen [2]. Elle était toujours auprès de Madame et fort en faveur, quoiqu’elle ne le méritât pas, comme vous allez voir, car elle tomba amoureuse du chevalier de Lorraine [3], le pire ennemi de Madame. Celui-ci, pour apprendre les secrets de Madame, permit à sa maîtresse de caresser son vieil amoureux, pour tirer de lui le secret du traité qu’on n’avait pu tirer de Madame. Turenne était trop épris pour rester ferme, il confia donc à cette maîtresse de Coaquin toute l’histoire du traité. Elle n’a rien de plus pressé à faire que de tout raconter au chevalier, qui le dit à Monsieur. Celui-ci se fâche tout rouge contre Madame et même contre le roi, et s’emporte contre les deux. Madame dit au roi que le chevalier de Lorraine l’avait brouillée avec son mari. Le chevalier fut chassé, mais Madame paya la chose de sa vie. Ses ennemis ne voulurent pas mettre Monsieur dans leur secret. « Il ne saurait rien taire au roi, disaient-ils, si nous lui avouons que nous voulons empoisonner madame, ou il ne le souffrira pas, ou bien il nous dénoncera au roi et nous fera tous pendre. » Ceux donc qui ont accusé feu Monsieur d’avoir fait empoisonner sa femme, lui ont fait grand tort. Il en était incapable. Pour se disculper et pour cacher à Monsieur que la chose venait d’eux, ils lui ont fait accroire que Madame a été empoisonnée par les Hollandais. L’histoire est vieille, mais elle n’en est pas moins vraie, quoiqu’elle ait l’air d’un roman […]. Peu de gens savent le détail, moi je sais tout d’original, car je le tiens du roi et de mon mari lui-même, sauf la mort de Madame, qui m’a été rapportée par d’autres. » (24 décembre 1719)

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Notes

[1] Le duc d’Orléans, dit Monsieur.

[2] La Palatine écrit Mme de Coaquin.

[3] Un des favoris de Monsieur.

Louise de la Vallière, une violette qui se cache

Louise de la Vallière, soeur Louise de la Miséricorde en religion   Louise François de La Baume Le Blanc de La Vallière, née en 1644, devient fille d’honneur d’Henriette d’Angleterre en 1661 et maîtresse du roi en 1667.

   On l'a vu, Louis XIV est amoureux de sa belle-sœur, Henriette. Anne d'Autriche, sa mère, organise un leurre : pour la Cour, il faut qu'il fasse semblant d'aimer quelqu'un d'autre. Ce sera donc Louis de La Vallière. Pierre Gaxotte écrit à ce propos dans son Louis XIV (Flammarion, 1974) : « Lorsqu’il lui eut parlé selon ses conventions avec Madame, il éprouva la sensation de se sentir aimé sans calcul, sans ambition, sans politique, pour lui-même. Ce fut un éblouissement [...]. A la tendresse naïve qu'il n'avait jamais rencontrée, il répondit par le don passionné de son cœur. »  

   Elle est la première favorite officielle. Elle s’en va chasser avec une cravate qui flotte au vent, la fameuse « lavallière », et Louis XIV galope à ses trousses… C’est une blonde ingénue, dont la voix « allait droit au cœur » (selon Mme de Caylus, amie de Mme de Maintenon), mince – on la trouve maigre – et quelque peu simplette aux yeux de ces dames de la cour, férocement jalouses. En plus, elle boite, quelle hérésie ! Louis n’en a cure, il est amoureux. On n’avait qu’à lui laisser aimer sa belle-sœur, Henriette d'Angleterre !

   Ils se cachent dans les bois de Versailles. Le château est encore en plein travaux – ils dureront cinquante ans ! -. Et puis ne se cachent plus du tout. Elle se résigne à porter les bâtards du roi, aux yeux de tous. Elle n’est pas mariée, chose rare en ces temps hypocrites.

   Pour elle, il fait bâtir la grotte de Téthys. La grotte de Téthys, détruite en 1684 (édification de l’aile du Nord), est l’un des éléments du mythe apollonien de Versailles. Son thème en était le repos du Soleil auprès de Téthys au fond de l’océan, au crépuscule. Elle était constituée de trois arcades fermées par une grille décorée du masque d’Apollon. La première arcade abritait Apollon entouré des nymphes de Téthys, les arcades latérales abritaient les chevaux du Soleil soignés par les Tritons. Pour elle aussi, il fait donner à Versailles, le 5 mai 1664, une fête qui dure une semaine, « Les Plaisirs de l’île enchantée », qui restera longtemps dans les mémoires.

   Mais Louise est pieuse, voire dévote, et redoute les flammes de l’enfer que Bossuet crache le dimanche du haut de sa chaire. Ses nombreuses grossesses l’ont affaiblie. Sa langueur séduisante devient noire mélancolie, sa beauté s’enfuit et Louis XIV s’ennuie. Les cancans de la cour sont cruels. On la décrit « maigre, décharnée, les joues cousues, la bouche et les dents laides, le bout du nez gros et le visage fort long. » Elle sait que Louis la trompe déjà avec la belle Athénaïs de Mortemart, future madame de Montespan, son amie : c’est elle qui l’a introduite à la cour en 1666. Des années plus tard, celle-ci subira le même outrage avec la veuve Scarron, devenue Mme de Maintenon...

   Mais elle l’aime et accepte durant de longs mois leur liaison secrète, servant de paravent et subissant toutes les avanies. Elle s’enferme finalement chez les carmélites en 1674, à l’âge de 30 ans, sous le nom de Sœur Louise de la Miséricorde.

   Le 2 juin 1674, elle aurait écrit ce poème :

« Vous savez trop qu'en vous je n'aimais que vous-même

À cet amour éteint j'ai dû sacrifier

Tout... jusqu'à la vertu, vous l'avez surmontée

Le remords seul m'en reste et vous m'avez quittée

[...]

Puis-je dans ces moments me cacher à moi-même

Qu'en me donnant à Dieu, c'est encore vous que j'aime. »

(Source inconnue) 

   Bossuet prononce le sermon pour sa prise de voile définitive le 3 juin 1675. Elle est bien accueillie par la prieure, la mère Agnès de Jésus-Marie (1611-1691), tante des maréchaux de Bellefonds et de Villars, femme de lettres qui correspond régulièrement avec le chancelier Le Tellier et avec Bossuet, et dont la correspondance est considérée comme un « trésor de sagesse et de bon sens. » Louise de La Vallière meurt en 1710. Selon Saint-Simon (Mémoires), le roi aurait alors déclaré : « Elle est morte pour moi du jour de son entrée aux Carmélites. »

   Saint-Simon écrira à son sujet dans ses Mémoires : « Heureux le roi s'il n'eut que des maîtresses semblables à La Vallière. »   

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Date de dernière mise à jour : 15/10/2017