Élisabeth Jacquet de La Guerre, première compositrice jouée à l'Opéra
On parle beaucoup du génie de Mozart enfant, à juste titre, mais pourquoi oublier la première compositrice jouée à l’Opéra, Élisabeth Jacquet, plus connue sous le nom de La Guerre après son mariage ? Et au 17e siècle, en outre !
Avant elle, il y eut, au 12e siècle, Béatrice, comtesse de Die, qui mit des lais en musique, Hildegarde de Bingen (qui composa des hymnes, antiennes et répons) et au 16e siècle, en Italie, les sœurs Aleotti (Raffaela et Vittoria).
Au 17e, à côté d’Élisabeth Jacquet, on peut citer la Vénitienne Antonia Bambo.
La petite Jacquet, donc, contribua à l’éclat du règne de Louis XIV : fille d’un claveciniste, sœur de l’organiste de Saint-Louis-en-l‘Île, elle lui fut présentée toute jeune, ayant déjà composé des pièces pour clavecin. Le Mercure galant écrit : « C’est un prodige qui a paru ici. Elle chante à livre ouvert la musique la plus difficile, elle s’accompagne et accompagne les autres qui veulent chanter avec le clavecin, dont elle joue d’une manière qui ne peut être imitée. Elle compose des pièces et les joue sur tous les tons qu’on lui propose. Si nous étions au temps où l’on croyait aux sylphes, on pourrait douter que ce n’en fut une production ! »
Mme de Montespan, alors favorite, la garda près d’elle plusieurs années afin de distraire Louis XIV, grand amateur de musique, qui lui fit donner une pension. Elle prit des cours de composition musicale.
Le 1er juillet 1685, on représenta sa première œuvre, un opéra dramatique, chez le dauphin. La dédicace au roi disait, entre autres : « Ce n’est pas d’aujourd’hui que des femmes ont donné d’excellentes pièces de poésie qui ont eu un très grand succès, mais jusqu’ici, nulle n’a essayé de mettre tout un opéra en musique et je tire cet avantage de mon entreprise que, plus elle est extraordinaire, plus elle est digne de vous Sire. » Très consciente de son rôle de pionnière, donc. Il s’agissait des Jeux en l’Honneur de la Victoire, à la gloire des succès militaires royaux.
Deux ans plus tard, elle publia un livre de pièces pour clavecin, toujours dédicacé au roi. Entretemps, elle s’était mariée avec Marin de La Guerre, organiste à la Sainte-Chapelle, avait quitté la cour et s’était installée dans l’île Saint-Louis, où elle devint la reine d’un groupe de mélomanes. Fêtée et courtisée, elle reçut une longue épître (censée être écrite par le défunt Lulli !) accompagnée d’une couronne de lauriers et de présents contenus dans une boîte portant cette inscription : « A la première musicienne du monde ! » Elle donna naissance à un fils, aussi doué qu’elle, jouant parfaitement du clavecin dès l’âge de huit ans.
En 1694, elle produisit à l’Académie royale de musique un grand opéra en cinq actes, le premier donné par une femme sur notre scène nationale, Céphale et Procris, qui n’eut aucun succès. Elle perdit son fils à l’âge de dix ans, puis son mari. Elle continua à composer, mais on l’avait bien oublié à la cour, et elle dut se faire à nouveau présenter au roi, lors d’un repas « au petit couvert » ; il écouta volontiers ses dernières sonates.
Sous le règne de Mme de Maintenon le ton s’était fait grave. Élisabeth composa des cantates sur des sujets religieux inspirés de la Bible, notamment une Esther. Sa dernière œuvre fut un Te Deum à grand chœurs, chanté à la chapelle du Louvre en août 1721 pour célébrer la convalescence du futur Louis XV.
Elle mourut à l’âge de soixante-dix ans. Les chroniqueurs lui firent un concert de louanges : « On peut dire que jamais personne de son sexe n’a eu d’aussi grands talents pour la composition de la musique et pour la manière admirable dont elle l’exécutait sur le clavecin ou sur l‘orgue. »
Cantatrices
* En Italie :
- la Sabina, qui chanta le premier opéra connu des mélomanes, Euripide, de Peri, donné le 6 octobre 1600 au palais Pitti à Florence, à l’occasion des fêtes du mariage d’Henri IV avec Marie de Médicis.
- Adriana Baroni, qui devint l’interprète de Monteverdi.
* En France :
- Marthe Le Rochois, contemporaine de Mlle de La Guerre, première cantatrice de l’Opéra. Jolie et gracieuse, on la disait aussi sage que bonne, une exception... Elle remporta un triomphe dans Armide en 1686, ainsi que dans Aris et Galatée, la même année. Il semble que Lulli composa pour elle un madrigal et s’enflamma pour elle, lui qui préférait les hommes !
Sources : Les Pionnières de l'Histoire, Claude Pasteur, Albin Michel, 1963.
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