Mythologie féminine
Introduction
Au 17e siècle, la mythologie perdure mais elle perd de sa vigueur du siècle précédent. Certes, Versailles témoigne de maintes références mythologiques et Fénelon écrit son Télémaque. Mais les fictions ne sont qu’ornementales, écrites dans un langage traditionnel et conventionnel : la rigueur janséniste et cartésienne interdit toute connivence avec l’esprit du panthéisme. Le christianisme se montre sévère envers les fables. Toutefois, La Fontaine et Racine (voir infra) continuent à faire revivre les divinités antiques.
Mythologie baroque
Cependant, le premier 17e siècle baroque a su renouvelé l’antique mythologie par son goût des métamorphoses qui abondent dans les ballets de cour et les pastorales : dans l’Amphitrite (épouse de Poséidon, déesse de la mer) de Monléon (1630), le berger Léandre, désespéré par l’inconstance de la déesse des flots, veut se jeter dans la mer mais le voilà changé en rocher. À l’imitation des Métamorphoses d’Ovide, Saint-Amant imagine La Métamorphose de Lyrian et de Sylvie. Ailleurs, on métamorphose les suivantes et le page d’Andromède (cf. infra), on raconte l’histoire d’Actéon et on trouve même une Métamorphose des yeux de Philis en astres. En somme, on peut placer le génie baroque sous le patronage des magiciennes antiques, spécialistes en métamorphoses et enchantements : Circé, (personnage de l’Odyssée, magicienne qui transforme les compagnons d’Ulysse en pourceaux), Calypso (nymphe de l’île d’Ogygie, qui accueillit Ulysse naufragé et le retint dix ans) ou Médée (magicienne du cycle des Argonautes qui s’enfuit avec Jason ; il l’abandonne et elle se venge en égorgeant leurs propres enfants).
Les poètes baroques s’engouent de divinités symbolisant les éléments ou les phénomènes de la nature sujets au changement.
Iris, (messagère ailée des dieux) par exemple, apparaît sous le thème de l’arc-en-ciel. Saint-Amant, dans son ode sur La Pluie, l’évoque ainsi : « l’humide Iris étale / Son beau demi-cercle d’opale ». Tristan L’Hermite, dans son ode sur La Mer, dépeint les « monstres écaillés », « sortant de l’onde » après le tempête, « Saluant Iris dans les cieux / Qui vient étaler dans la nue / Toutes les délices des yeux. »
Le ballet des Noces de Thétis et Pélée met en scène la déesse Thétis (l’une des Néréides, mère d’Achille. Les Néréides, au nombre de 50, sont des divinités marines, filles de Nérée et viennent en aide aux marins) qui se change en nuage, en monstre, en lion et en rocher.
Quant au thème des eaux ruisselantes et jaillissantes, il amène dans la poésie maintes Naïades, (nymphes des rivières, des fontaines et des ruisseaux).
Théophile de Viau évoque les Nymphes (divinités féminines représentées sous les traits d’une jeune fille et personnifiant divers aspects de la nature) ou Flore (déesse des fleurs et des jardins) dans ses odes et élégies. Dans la troisième ode de La Maison de Sylvie, Diane, déesse de la Lune, délaisse parfois la nuit Endymion pour un étang ombragé « Et s’en va là-dedans nager / Avecque ses étoile nues. »
Dans les Belles matineuses de Voiture, de Malleville et de quelques autres, « l’Amante de Céphale », l’Aurore, sert à la fois aux compliments galants et à l’évocation de spectacles naturels.
Andromède semble aussi à la mode. Fille de Céphée, roi d’Éthiopie, et de Cassiopée, elle fut délivrée d’un monstre par Persée qu’elle épousa. Elle inspire Saint-Amant, Racan et Corneille (dans l’une de ses « pièces à machines »).
Sans oublier les Harpies (monstres à tête de femme et à corps d’oiseaux) dans l’hymne de Ronsard, qui livrent un combat aérien contre Calaïs et Zéthès.
En 1668, Molière compose son Amphitryon (un prologue et trois actes, pièce "à machines" comme on disait alors, avec tonnerre, éclairs et nuages) qui met en scène Jupiter (Louis XIV), Alcmène (Mme de Montespan) et Amphitryon (son époux, qui ne résigne pas à être cocufié, même par le roi). Un enfant (Hercule) naîtra de cette union entre le dieu et la belle infidèle. Certaines répliques sont transparentes : "Les coups de bâton d'un dieu font honneur à qui les endure" ou encore : "Ma foi ! Monsieur le dieu, je suis votre valet mais je me serais bien passé de votre courtoisie" ou enfin : "Un partage avec Jupiter / N'a rien du tout qui déshonore ; / Et sans doute il ne peut être que glorieux / De se voir le rival du souverain des dieux."
Thomas Corneille écrit une Circé en 1675. En 1671, Molière, Corneille (Pierre) et Quinault composent ensemble la tragédie-ballet de Psyché. Psyché est aimée par Éros. Une nuit, elle alluma une lampe, désobéissant au dieu qui lui avait interdit de voir le visage de son amant ; celui-ci la quitta et elle ne le retrouva qu’après maintes aventures. Le mythe, rapporté par Apulée, symbolise le destin de l’âme déchue qui, après des épreuves purificatrices, s’unit pour toujours à l’amour divin.
En 1672, Lulli s‘attache Quinault et l’opéra mythologique commence son règne avec Thésée, Proserpine et Phaéton.
Le merveilleux féérique : des ballets de cour aux Contes de Perrault
La fable, le Moyen Age chevaleresque et la féerie font bon ménage et, dans son Ballet de Psyché, en 1646, Benserade réunit les quatre magiciennes, Circée et Médée, Alcine du Roland furieux (de l’Arioste) et Armide de la Jérusalem délivrée (du Tasse). En 1643, dans son Ballet de la nuit, il avait fait danser Thétis et Pélée devant les héros de l’Arioste, Roger, Bradamante, Médor et Angélique. Les fêtes en l’honneur de Mlle de La Vallière du 7 au 13 mai 1664, pour lesquelles Molière écrit sa première comédie-ballet, Les Plaisirs de l’île enchantée, empruntent leur thème au Roland furieux ; mais Apollon (dieu de la beauté, de la Lumière et des Arts) est aussi de la partie, entouré des quatre « âges », d’or, d’argent, de bronze et de fer, ainsi que Diane et Pan (dieu des bergers et des troupeaux) et des personnages allégoriques comme le Temps conduisant le char d’Apollon.
Le mélange des genres n’effraie pas non plus Honoré d’Urfé qui, dans l’Astrée, fait place à une magicienne, Mandrague, à la fée Mélusine et à une fontaine miraculeuse garée par des lions et des licornes, la « fontaine de la vérité d’amour ».
Suivant le modèle de la Jérusalem délivrée, les épopées chrétiennes des années 1650-1670 combinent le merveilleux chrétien et le merveilleux féérique. Textes oubliés qui annoncent les Histoires ou Contes du temps passé (1697) de Perrault et les Contes de Mme d’Aulnoye la même année. Il s’agit d’une mythologie nouvelle et d’un merveilleux « moderne », souvent chrétien où les fées jouent le rôle des anges (bons ou mauvais). La nièce de Perrault défie les Anciens : « Les fées ne sont pas moins en droit de faire des prodigues que les dieux de la fable. »
Le merveilleux chrétien
On déclare donc la guerre à la mythologie antique. En 1674, Boileau condamne le merveilleux chrétien dans L’Art poétique. Pendant la Querelle des Anciens et des Modernes, il s’oppose encore à Perrault en 1692 dans son quatrième Dialogue des Parallèles. La Querelle rebondira au début du 18e siècle, entre Mme Dacier, grande traductrice du grec ancien, et La Motte, qui se moque des dieux d’Homère. Mais les tenants de la mythologie païenne allèguent la tradition : la mythologie constitue en elle-même un langage poétique. Ménage soutient qu’il est « bienséant aux Poètes chrétiens d’employer dans leurs vers les noms des divinités païennes », comme l’a fait Sait-Amant dans son Moïse sauvé, utilisant des « noms fabuleux comme de l’Olympe au lieu du Ciel, de l’Erèbe ou de l’Averne au lieu de l’Enfer. » Boileau tonne contre ces fables impies et oppose cet argument : « De la foi d’un chrétien les mystères terribles / D’ornements égayés ne sont point susceptibles. » Argument religieux et littéraire : le poète doit plaire et orner son œuvre de fictions agréables (et pas forcément vraies) ; or, la religion ne cherche pas à plaire : « L’Évangile a l’esprit n’offre de tous côtés / Que pénitence à faire, et tourments mérités. » Fontenelle, quant à lui déclare dans son Histoire du théâtre français : « Il n’y a que les idées du culte païen qui soient galantes. Le vrai est trop sérieux. » Marmontel soutiendra plus tard dans ses Éléments de littérature que « la tâche de l’orateur est de persuader la vérité, celle du poète, le mensonge connu pour tel. »
Ainsi, poésie et mythologie se voient condamnées à la futilité. La querelle ne sera tranchée que par la révolution romantique qui transformera la notion même de la poésie et de la fonction du poète.
La Fontaine, nouvel Homère
Pour Fontenelle donc, les fables païennes ne sont que « galantes ». C’est qu’au 17e siècle, la galanterie envahit toute la poésie et la mythologie, on l’a vu, souffre de cette légèreté qui devient insignifiance mondaine : les mythes sont en quelque sorte miniaturisés, comme en témoignent les Métamorphoses d’Ovide mises en rondeaux par Benserade. On peut sans doute approfondir la signification des divinités païennes chez Racine, cette « Vénus tout entière à sa proie attachée » ; les personnages de Racine semblent parfois tous dans la situation de Britannicus et de Junie épiés par Néron derrière son rideau : les dieux guettent... Ces présences cachées fonderaient-elles l’univers tragique ?
Mais c’est La Fontaine qui représente au mieux le génie du merveilleux par la création d’un univers original et unique, celui des Fables. Il résume dans son œuvre tous les aspects de son siècle, accordant le baroque au classicisme, la préciosité au burlesque ; il miniaturise également son Olympe.
Le Songe de Vaux présente quatre fées dans un écrin enchanté et le songe nous introduit dans un château et un parc de rêve. Dans Les Amours de Psyché et de Cupidon, une fée aide Psyché dans ses épreuves ; Psyché habite un palais enchanté et une Tour parle ; on y admire les statues et portraits des « fameuses beautés dont la Grèce se vante » mais La Fontaine y fait représenter aussi, « à côté d’Angélique », « l’enchanteresse Armide, héroïne du Tasse ».
La Fontaine apprécie Honoré d’Urfé et donne à son tour en 1691 l’opéra Astrée : une fée nommé Ismène, commande à des « esprits aériens » arrivant à l’acte II « sur un tourbillon de nuages ». Dans le conte de La Coupe enchantée, « l’enchanteresse Nérie » a sous ses ordres « les intendants des orages ».
Dans son théâtre, trois pièces mettent en scène des personnages de la fable, Clymène, comédie qui s’apparente au conte et fait dialoguer Apollon et les Muses, l’opéra mythologique Daphné (Daphné est une nymphe aimée d’Apollon et métamorphosée en laurier), que Lulli refuse en 1674 et où l’on voit des dieux dans des machines, et Galatée (Galatée est une divinité marine qui fit changer en fleuve son amant, le berger Acis, victime de la jalousie du cyclope), qui raconte la mésaventure de Polyphème amoureux et relève de la pastorale mythologique. Quant au poème Adonis (dieu phénicien de la végétation, tué à la chasse et qui passe une partie de l’année aux Enfers et l’autre parmi les vivants auprès d’Aphrodite) il s’agit d’une idylle qui appartient au genre de la poésie héroïque où agissent dieux et déesses. Ce qui attire La Fontaine, c’est donc une mythologie galante, voire une mythologie de la volupté :
« Rien ne manque à Vénus, ni les lis, ni le roses,
Ni le mélange exquis des plus aimables choses,
Ni le charme secret dont l’œil est enchanté,
Ni la grâce plus belle encor que la beauté ! »
La Fontaine est malicieux : la divine Vénus qui nous ravit dans Adonis est, dans Le Songe de Vaux, une femme infidèle battue par son mari ; dans Psyché, elle se dit embarrassée du choix d’une bru et point pressée de devenir grand-mère, comme le lui conseille Cérès (déesse des moissons), qui est une « divinité de province et n’a nullement l’air de la Cour. » On frôle le burlesque et la parodie mais sans que le merveilleux soit détruit par la gaieté et la familiarité. Une familiarité que l’on retrouve dans le conte de Philémon et Baucis, quand Jupiter intercède en faveur de la « perdrix privée / Et par de tendres soins dès l’enfance élevée » que Baucis, dans sa piété, s’apprête à sacrifier : le détail familier ne nuit pas à l’atmosphère à la fois merveilleuse et héroïque du conte. On peut sans doute comparer La Fontaine à Ovide par sa mythologie légère et brillante ; rien de trop, mais poésie à l’accent vrai et profond.
Il n’invente pas une nouvelle mythologie mais, avec ses Fables, il crée son propre monde divin et un univers merveilleux qui n’appartient qu’à lui.
Taine l’admire, Gide aussi qui parle de « miracle de culture ». Mythologie introduite à petites doses, parodie burlesque, noblesse héroïque, idylle élégiaque et rêve : Mercure est confronté à un bûcheron, Hercule est hélé par un charretier et se retrouve à Quimper, l’Aurore se laisse courtiser par Jeannot-Lapin ; le Styx accueille les arbres qui vivent et parlent, comme les animaux, les hommes et les dieux « car tout parle dans l’Univers », écrit La Fontaine dans l’Épilogue du livre XII. Dès la fable I du livre V, il avertit le lecteur que, dans cette « ample comédie », « Hommes, Dieux, Animaux, tout y fait quelque rôle : / Jupiter comme un autre ».
Ainsi, les dieux ne réclament pas forcément l’épopée mais ils aiment la naïveté d’Homère et de son univers. En tout cas, les dieux et déesses de l’Olympe se sentent à l’aise, au 17e siècle, dans les fables où chacun a droit à la parole. Seule condition de leur résurrection : accepter l’égalité avec Jeannot-Lapin et les autres. Ironie plutôt que naïveté : le roi ne mérite pas plus d’attention et de respect que le lapin, hommes et bêtes sont égaux, les arbres vivent, tout comme les dieux.
Sources : Mythes et mythologies dans la littérature française, Pierre Albouy, (Armand Colin, 1e édition 1969)
Les Amours de Psyché et Cupidon (La Fontaine)
Il s’agit d’un roman mythologique inspiré d’Apulée, encadré par une narration et un poème lyrique, qui reprend la légende antique de Psyché et en illustre le symbole : le désir de connaître est plus puissant en l’homme que le désir du bonheur.
Psyché, fille d’un roi grec, surpasse en beauté toutes les autres femmes, mortelles ou déesses. Vénus, outrée par ce sacrilège, décide de la punir. Psyché se retrouve dans un palais enchanté, y devient l’épouse d’un être mystérieux qui refuse de lui dire son nom et de se montrer mais lui témoigne un amour passionné. Poussée par ses sœurs jalouses, Psyché brave l’interdiction divine, pénètre une lampe à la main dans la chambre de son époux et reconnaît le dieu de l’Amour qui n’a pas eu le courage d’exécuter les ordres de sa mère, Vénus. De dures épreuves sanctionnent cette curiosité mais elles se terminent par une apothéose et des noces magnifiques.
La Fontaine mêle le plaisant et l’irrévérence, le galant et l’héroïsme et exprime sa sensibilité dans des poèmes enchâssés, tels le sonnet de Psyché aux ruisseaux ou son élégie dans la forêt.
Cette Psyché témoigne du goût du siècle pour la galanterie mythologique. Son prologue narre la promenade de quatre poètes venus admirer les embellissements de Versailles un matin de l’automne 1668. Psyché y est présenté comme l’ouvrage que l’un d’eux, Polyphile, lit à ses trois amis (Molière, Boileau et Racine peut-être). La lecture est entrecoupée d’entretiens sur le rire, la pitié, la tragédie ou la comédie et d’une description de Versailles : voilà un exemple de mise « en abyme » avant l’heure.
Remarques
* C'est le seul roman de La Fontaine et il déroute ses contemporains, peu habitués au mélange des genres : dialogue littéraire, évocation de Versailles, conte mythologique, portrait de l'auteur (sans doute Polyphile, « l'ami de toutes choses »), prose mêlée de vers, humour combinée à légende et analyse psychologique à féerie.
* Le mythe de Psyché : Apulée (IIe siècle ap. J.-C.) est le premier à avoir donné, dans ses Métamorphoses, une version littéraire de la célèbre légende. Corneille, Molière et Lully en font une « tragédie-ballet » jouée avec succès en 1671.
* On peut chercher à découvrir la valeur symbolique ou initiatique du conte (« Psyché » = « âme » en grec) chez le romancier latin. On peut aussi étudier l'art de conteur de La Fontaine : humour, érotisme, analyse psychologique et féerie. On peut également étudier chez La Fontaine le baroquisme de cette oeuvre.
Pourquoi la prégnance de la mythologie ?
« L’homme n’est pas simplement appelé à faire ses preuves face aux autres hommes, rappelle Paul Diel dans Le Symbolisme de la mythologie grecque. Il est aussi invité à faire ses preuves vis-à-vis des dieux. Ce qu’il fait en se donnant une âme. En triomphant donc de la banalisation, cette vie sans âme parce que sans perspective divine. [...] La plupart d’entre eux [les « travaux »] signifient une victoire sur la banalisation. Étouffer le lion de Némée, dompter le taureau de Crète, capturer vivant le sanglier d’Érymanthe, sont les symboles évidents d’une victoire sur la débauche effrénée. Courir un an avant d’attraper la biche aux pieds d’airain traduit la poursuite de sa légèreté intérieure.
Au regard de la mythologie, les épreuves que la vie nous inflige sont à la hauteur du destin qui est le nôtre. L’humanité qui apparaît face aux dieux est appelée à vivre avec les dieux. Elle est ainsi invitée à supprimer l’écart la séparant du monde divin. [...] Il n’est dès lors pas inutile de s’abreuver à la source des mythes. Ceux-ci nous racontant l’histoire de notre âme, ils nous offrent des clefs afin de comprendre ce que nous vivons... »
Sources : Bertrand Vergely, Petite Philosophie pour jours tristes, Éditions Milan, 2003.
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Date de dernière mise à jour : 13/10/2017