« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Le Promenoir des deux amants

   Narcisse (Le Caravage, vers 1595)

   Dans cette ode aux accents d’élégie, Tristan l’Hermite (1601-1655) amène l’invitation à la belle Climène (dernière strophe) par toute une série de figures mythologiques qui se fondent avec les formes de la nature, leur donnant une résonance affective

Le Promenoir des deux amants

Auprès de cette grotte sombre

Où l’on respire un air si doux,

L’onde lutte avec les cailloux

Et la lumière avecque l’ombre.

*

Ces flots, lassés de l’exercice

Qu’ils ont fait dessus ce gravier,

Se reposent dans ce vivier

Où mourut autrefois Narcisse[1].

*

C’est un des miroirs où le Faune

Vient voir si son teint cramoisi,

Depuis que l’amour l’a saisi,

Ne serait pas devenu jaune[2].

*

L’ombre de cette fleur vermeille

Et celle de ces joncs pendants

Paraissent être là-dedans

Les songes de l’eau qui sommeille[3].

*

Les plus aimables influences[4]

Qui rajeunissent l’univers

Ont relevé ces tapis verts

De fleurs de toutes les nuances.

*

Dans ce bois ni dans ces montagnes

Jamais chasseur ne vint encor[5] :

Si quelqu’un y sonne du cor,

C’est Diane avec ses compagnes.

*

Ce vieux chêne a des marques saintes[6] ;

Sans doute, qui le couperait

Le sang chaud en découlerait

Et l’arbre pousserait des plaintes.

*

Ce rossignol mélancolique

Du souvenir de son malheur,

Tâche de charmer sa douleur,

Mettant son histoire en musique.

*

Il reprend sa note première,

Pour chanter d’un art sans pareil

Sous ce rameau que le soleil

A doré d’un trait de lumière.

*

Sur ce frêne deux tourterelles

S’entretiennent de leurs tourments,

Et font les doux appointements[7]

De leurs amoureuses querelles.

*

Un jour Vénus avec Anchise

Parmi ses forts[8] s’allait perdant

Et deux Amours, en l’attendant,

Disputaient pour une cerise.

*

Dans toutes ces routes divines,

Les Nymphes dansent aux chansons,

Et donnent la grâce[9] aux buissons

De porter des fleurs sans épines.

*

Jamais les vents ni le tonnerre

N’ont troublé la paix de ces lieux,

Et la complaisance des cieux

Y sourit toujours à la terre.

*

Crois mon conseil, chère Climène :

Pour laisser arriver le soir,

Je te prie, allons nous asseoir

Sur le bord d cette fontaine.

...

(Strophes 1-14)

 

[1] Épris de sa propre image, il se noya dans la fontaine où il se contemplait et fut changé en fleur.

[2] L’amour consume l’amant comme une maladie.

[3] Cette strophe et le dernier vers en particulier annoncent le Symbolisme.  

[4] Allusion aux conjonctions astrales. Cf. les deux derniers vers de l’avant-dernière strophe.

[5] Thème de la solitude et du paysage vierge. Cf. les deux premiers vers de l’avant-dernière strophe.

[6] Dans l’Antiquité, on suspendait des ex-voto aux arbres sacrés.

[7] Réconciliations.

[8] Ses profondeurs les plus touffues.

[9] Faveur.

* * *