Le Promenoir des deux amants
Dans cette ode aux accents d’élégie, Tristan l’Hermite (1601-1655) amène l’invitation à la belle Climène (dernière strophe) par toute une série de figures mythologiques qui se fondent avec les formes de la nature, leur donnant une résonance affective
Le Promenoir des deux amants
Auprès de cette grotte sombre
Où l’on respire un air si doux,
L’onde lutte avec les cailloux
Et la lumière avecque l’ombre.
*
Ces flots, lassés de l’exercice
Qu’ils ont fait dessus ce gravier,
Se reposent dans ce vivier
Où mourut autrefois Narcisse[1].
*
C’est un des miroirs où le Faune
Vient voir si son teint cramoisi,
Depuis que l’amour l’a saisi,
Ne serait pas devenu jaune[2].
*
L’ombre de cette fleur vermeille
Et celle de ces joncs pendants
Paraissent être là-dedans
Les songes de l’eau qui sommeille[3].
*
Les plus aimables influences[4]
Qui rajeunissent l’univers
Ont relevé ces tapis verts
De fleurs de toutes les nuances.
*
Dans ce bois ni dans ces montagnes
Jamais chasseur ne vint encor[5] :
Si quelqu’un y sonne du cor,
C’est Diane avec ses compagnes.
*
Ce vieux chêne a des marques saintes[6] ;
Sans doute, qui le couperait
Le sang chaud en découlerait
Et l’arbre pousserait des plaintes.
*
Ce rossignol mélancolique
Du souvenir de son malheur,
Tâche de charmer sa douleur,
Mettant son histoire en musique.
*
Il reprend sa note première,
Pour chanter d’un art sans pareil
Sous ce rameau que le soleil
A doré d’un trait de lumière.
*
Sur ce frêne deux tourterelles
S’entretiennent de leurs tourments,
Et font les doux appointements[7]
De leurs amoureuses querelles.
*
Un jour Vénus avec Anchise
Parmi ses forts[8] s’allait perdant
Et deux Amours, en l’attendant,
Disputaient pour une cerise.
*
Dans toutes ces routes divines,
Les Nymphes dansent aux chansons,
Et donnent la grâce[9] aux buissons
De porter des fleurs sans épines.
*
Jamais les vents ni le tonnerre
N’ont troublé la paix de ces lieux,
Et la complaisance des cieux
Y sourit toujours à la terre.
*
Crois mon conseil, chère Climène :
Pour laisser arriver le soir,
Je te prie, allons nous asseoir
Sur le bord d cette fontaine.
...
(Strophes 1-14)
[1] Épris de sa propre image, il se noya dans la fontaine où il se contemplait et fut changé en fleur.
[2] L’amour consume l’amant comme une maladie.
[3] Cette strophe et le dernier vers en particulier annoncent le Symbolisme.
[4] Allusion aux conjonctions astrales. Cf. les deux derniers vers de l’avant-dernière strophe.
[5] Thème de la solitude et du paysage vierge. Cf. les deux premiers vers de l’avant-dernière strophe.
[6] Dans l’Antiquité, on suspendait des ex-voto aux arbres sacrés.
[7] Réconciliations.
[8] Ses profondeurs les plus touffues.
[9] Faveur.
* * *