Saint-Amant, poète réaliste
Poèmes à boire et à manger !
Saint-Amant a composé des vers sur les cabarets, les goinfres, le fromage, la vigne ou le melon. Théophile Gautier voit en lui un « grotesque » et le définit ainsi : « Ce n’était pas chez lui l’amour des pasquinades[1], des équivoques et des plaisanteries plus ou moins grossières, mais un sentiment pittoresque semblable à celui des Jan Steen, des Ostade, des Téniers[2] et des Callot[3]. »
En effet, on peut mieux comprendre le réalisme savoureux de ce poème si on le rapproche des tableaux flamands et de ces natures mortes de l’époque, que Louis XIV méprisera un peu plus tard. Une orientation esthétique dont se détournent en effet l’esprit et l’art classique.
Sachons enfin que, bien que la poésie ne se prête pas avec autant de facilité que le roman aux peintures réalistes, certains poètes du XVIIe siècle, les uns, comme Régnier et Théophile de Viau, par opposition à Malherbe, les autres, comme Cyrano de Bergerac, Saint-Amant et Boileau, par réaction contre la préciosité, se sont attachés à décrire en vers pittoresque des scènes familières de la nature ou de la vie.
Le Melon
Quelle odeur sens-je en cette chambre ?
Quel doux parfum de musc et d'ambre
Me vient le cerveau réjouir
Et tout le cœur épanouir
Ha ! bon Dieu ! j'en tombe en extase :
Ces belles fleurs qui dans ce vase
Parent le haut de ce buffet
Feraient-elles bien cet effet ?
A-t-on brûlé de la pastille ?
N'est-ce point ce vin qui pétille
Dans le cristal, que l'art humain
A fait pour couronner la main,
Et d'où sort, quand on le veut boire,
Un air de framboise[4] à la gloire
Du bon terroir qui l'a porté
Pour notre éternelle santé ?
Non, ce n'est rien d'entre ces choses,
Mon penser, que tu me proposes.
Qu'est-ce donc ? je l'ai découvert
Dans ce panier rempli de vert :
C'est un melon où la nature,
Par une admirable structure,
A voulu graver à l'entour
Mille plaisants chiffres d'amour,
Pour claire marque à tout le monde
Que, d'une amitié sans seconde,
Elle chérit ce doux manger
Et que, d'un souci ménager,
Travaillant aux biens de la terre,
Dans ce beau fruit seul elle enserre
Toutes les aimables vertus
Dont les autres sont revêtus.
Baillez-le-moi, je vous en prie,
Que j’en commette idolâtrie :
Oh ! quelle odeur ! qu’il est pesant !
Et qu’il me charme en le baisant !
Page, un couteau, que je l’entame ;
Mais qu’auparavant on réclame,
Par des soins au devoir instruits,
Pomone[5], qui préside aux fruits,
Afin qu’au goût il se rencontre
Aussi bon qu’il a balle montre
Et qu’on ne trouve point en lui
Le défaut des gens d’aujourd’hui.
Notre prière est exaucée ;
Elle a reconnu ma pensée :
C’en est fait, le voilà coupé,
Et mon espoir n’est point trompé.
O dieux ! Que l’éclat qu’il me lance
M’en confirme bien l’excellence !
Qui vit jamais un si beau teint !
D’un jaune sanguin il se peint ;
Il est massif jusques au centre,
Il a peu de grains dans le ventre,
Et ce eu là, je pense encor’
Que ce soient autant de grains d’or ;
Il est sec ; son écorce est mince ;
Bref, c’est un vrai manger de prince ;
Mais, bien que je ne le sois pas,
J’en ferai pourtant un repas...
*
Non, le coco, fruit délectable,
Qui lui tout seul fournit la table
De tous ces mets que le désir
Puisse imaginer et choisir...
Ni le cher abricot, que j’aime,
Ni la fraise avecque la crème,
Ni la manne qui vient du ciel,
Ni le pur aliment du miel,
Ni la poire de Tours sacrée,
Ni la verte figue sucrée,
Ni la prune au jus délicat,
Ni même le raisin muscat
(Parole pour moi bien étrange[6])
Ne sont qu’amertume et que fange
Au prix de ce melon divin
Honneur du climat angevin...
Saint-Amant, « Le Melon », 1634 (Œuvres)
Saint-Amant à table
Poète paillard attiré par les beautés faciles ("Margot, Jeanneton ou la jeune bourgeoise, à cause qu'elle est brave"), grand mangeur et fieffé buveur ! Dans « La Vigne », il cite et décrit tous ses amis de beuveries.
Citons encore un extrait de son poème « Le Fromage » dédié au... Brie !
… Fromage, que tu vaux d’écus !
Je veux que ta seule mémoire
Me provoque à jamais à boire.
A genoux, mes enfants débauchés,
Chers confidents de mes péchés.
Sus ! Qu’à plein gosier on s’écrie
Béni soit le terroir de Brie.
. . .
De ce fromage que j’honore
A ce métal que l’homme adore :
Il est aussi jeune que lui
Toutefois, ce n’est pas d’ennui
Car, sitôt que le doigt le presse,
Il rit et se crève de graisse. »
Remarque : Saint-Amant mourut le jeudi 29 décembre 1661, peu avant midi, au cabaret du « Petit More », après avoir été malade deux jours. Indigestion ?
* * *
Date de dernière mise à jour : 15/04/2024