Racine : divers
Charles Dantzig
Charles Dantzig, dans son Dictionnaire égoïste de la littérature mondiale (Grasset, 2019) évoque souvent Racine. Voici ce qu’il dit en substance :
* Amour égoïste. Cf. Bérénice. Antiochus dit à la reine : « Lieux charmants où mon cœur vous avait adorée. » L’être aimé n’est qu’un paysage. Cf. Novalis (Fragments) : « Tout objet aimé est le centre d’un paradis. »
* Vie de Racine par son fils : il avait une cicatrice au-dessus de l’œil gauche à la suite d’une bagarre au collège de Beauvais. Le détail réhumanise.
* Schiller a traduit Racine (Phèdre en 1805). Don Carlos y ressemble. Il y a de l’Hippolyte dans ce Don Carlos amoureux de sa belle-mère. Comparer : « Le soleil s’est levé deux fois et deux fois il s’est couché depuis que le destin de mon Carlos est décidé. » Œnone : « Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux, / Depuis que le sommeil n’est entré dans vos yeux » (Phèdre, I, 3). Les racinisme est dans la forme, se manifestant principalement par la répétition. Répétition de doute ou de douleur. Mais Schiller, à la différence de Racine, met des italiques pour appuyer sur certains mots (forme d’insistance) : « Je ne suis pas réellement mauvais. »
* « Toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien. » (Racine, préface de Bérénice). On ne s’émerveille même plus (génie) de l’imagination inouïe qui a consisté dans Britannicus, à faire débuter une pièce sur Néron par sa mère. Agrippine ayant compris que tout pouvoir, toute influence lui a échappé, organise son hypocrisie pour se défendre, c’est-à-dire attaquer.
* Euripide (féminin, sensible) a révélé Racine à lui-même. Phèdre est un écho d’Hippolyte. Pour chacun, une Andromaque, une Iphigénie (Euripide en a écrit deux : Iphigénie en Tauride et Iphigénie à Aulis).
* Racine est trop élégant pour être adoré d’un très grand nombre.
* Préface de Britannicus = en feignant d’attaquer Térence, Racine traite Corneille de vieux poète malintentionné. Juste. Corneille était venu ricaner à la première de la pièce de Racine avec son cortège de courtisans. Il voulait faire chuter la pièce mais a dû s’incliner devant le triomphe.
L'innocence dans le théâtre de Racine
Dans l’article « La problématique de l’innocence dans le théâtre de Racine » (Revue des Sciences humaines, 1962), Marcel Gutwirth écrit : « La conception de l’innocence constituerait de la sorte la clef d’une conception tragique de l’univers : si l’innocence est possible, les Dieux sont injustes, les monstres impuissants et damnés. Mais alors l’innocence n’est-elle pas en ligue avec le sacré, dont elle nourrit l’injustice ? avec les montres, qu’elle provoque l’agression ? De sorte qu’elle-même en est souillée, et avec elle tout l’univers – superna atque inferna. Sans l’innocence en revanche, pas de tragédie possible : dans un univers totalement déchu, Dieu, seule liberté, n’aligne que des fantômes indignes de Sa grâce comme de Sa colère. »
Ainsi, la représentation de l’innocence perdue devient le medium du sacré dans le théâtre de Racine.
Cité par Véronique Anglard, Le Commentaire composé, 2e édition, Colin, 2010.
La Champmeslé, La Fontaine et Racine
La Fontaine était le cousin de Racine, amoureux fou de la Champmeslé (Marie Desmares) qui joua Iphigénie et Phèdre. Elle aimait les fables de La Fontaine et ses contes érotiques. Quelles furent leur relation ?
On n’en sait rien. Une piste peut-être avec ces vers de La Fontaine :
« Vous auriez eu mon âme tout entière
Si de mes vœux j’eusse plus présumé ;
[…]
Par des transports n’espérant pas vous plaire ;
Je me suis dit seulement votre ami ;
De ceux qui sont amants plus qu’à demi :
Et plût au sort que j’eusse pu mieux faire. »
Sources : Erik Orsenna, La Passion de la fraternité – Beethoven, Stock-Fayard, 2021.
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Date de dernière mise à jour : 02/08/2023