Racan et la nature
Racan (1589-1670) aime la paix des champs. De son enfance au château de la Roche-au-Majeur (aujourd’hui la Roche-Racan) en Touraine, il garde l’amour de la nature et de la vie rustique. Il les célèbre notamment dans ses Stances sur la retraite (1618) et dans les Bergeries. Il se retire dès 1630 dans ses terres de Touraine où il mène la vie d’un gentilhomme campagnard sensible au bonheur simple de la nature.
Extrait des Stances
« ... Roi de ses passions, il a ce qu'il désire[1] ;
Son fertile domaine est son petit empire,
Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ;
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces[2],
Et, sans porter envie à la pompe des princes,
Se contente chez lui de les voir en tableau.
Il voit de toute part combler d'heur sa famine,
La javelle[3] à plein poing tomber sous la faucille,
Le vendangeur ployer sous le faix des paniers ;
Et semble qu'à l'envi les fertiles montagnes,
Les humides vallons et les grasses campagnes
S'efforcent à remplir sa cave et ses greniers.
Il suit aucunes fois[4] un cerf par les foulées[5]
Dans ces vieilles forêts du peuple reculées
Et qui même du jour ignorent le flambeau ;
Aucunes fois des chiens il suit les voix confuses
Et voit enfin le lièvre, après toutes ses ruses,
Du lieu de sa naissance en faire son tombeau.
Tantôt il se promène au long des fontaines,
De qui les petits flots font luire dans les plaines
L'argent de leurs ruisseaux parmi l'or des moissons ;
Tantôt il se repose avecque les bergères
Sur des lits naturels de mousse et de fougères,
Qui n'ont d'autres rideaux que l'ombre des buissons.
S'il ne possède point ces maisons magnifiques,
Ces tours, ces chapiteaux, ces superbes portiques,
Où la magnificence étale ses attraits,
Il jouit des beautés qu'ont les saisons nouvelles,
Il voit de la verdure et des fleurs naturelles
Qu'en ces riches lambris l'on ne voit qu'en portraits.
Crois-moi, retirons-nous hors de la multitude
Et vivons désormais loin de la servitude
De ces palais dorés où tout le monde accourt.
Sous un chêne élevé, les arbrisseaux s'ennuient
Et devant le soleil tous les astres s'enfuient
De peur d'être obligés de lui faire la cour.
Il soupire[6] en repos l’ennui de sa vieillesse
Dans ce même foyer où sa tendre jeunesse
A vu dans le berceau ses bras emmaillotés.
Il tient par les moissons registres des années,
Et voit de temps en temps leurs courses enchaînées
Vieillir avecque lui les bois qu’il a plantés.
[...]
Agréables déserts[7], séjour de l'innocence,
Où, loin des vanités, de la magnificence,
Commence mon repos et finit mon tourment,
Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le désormais de mon contentement. »
Date de dernière mise à jour : 02/08/2023