Mme de Sévigné et Retz
Mme de Sévigné destinataire des Mémoires du cardinal de Retz ?
Pour quelles raisons Retz, déjà sexagénaire et réputé pour sa paresse, s’est-il lancé en 1675 dans la rédaction de trois mille pages ? Il nous dit que c’est d’abord pour répondre à l’attente d’une dame de ses amies à qui il dédie son livre, s’adressant à elle d’un bout à l’autre de celui-ci. Ses Mémoires apparaissent comme le prolongement de récentes conversations de salon.
L’identité de cette correspondante a posé un redoutable problème d’érudition aux commentateurs. C’est parmi les contemporaines de Retz, dont les façons de voir et de sentir s’apparentent à celles du cardinal et qui connaissent parfaitement les événements de la Fronde qu’il faut chercher la destinataire. On s’accorde aujourd’hui à penser que Mme de Sévigné, née en 1626, liée au mémorialiste par un lointain cousinage et une amitié vieille de trente ans, est la femme qui répond le mieux à ces conditions. Les érudits du XIXe siècle avaient identifié la confidente de Retz avec Mme de Caumartin, épouse du plus intime ami du cardinal et détentrice d’une copie manuscrite des Mémoires, ou à Mme de La Fayette mais la façon peu amène dont Retz parle de sa mère, Mme de La Vergne, dans ses Mémoires, empêche d’accepter cette hypothèse. Mme de Sévigné appartenait au petit groupe de familiers qui ont poussé le cardinal vieillissant à raconter sa vie et l’on sait qu’elle s’est longuement entretenue avec lui en juin 1675, avant qu’il ne parte pour l’abbaye de Saint-Mihiel. Le 27 mai 1675, Mme de Sévigné écrit à sa fille au sujet du cardinal : « Il se fait peindre par un religieux de Saint-Victor ; je crois que, malgré Caumartin, il vous donnera l’original. » Ce portait (ci-dessus) resta longtemps dans la famille de l’épistolière.
Un obstacle inattendu vient cependant contredire cette identification ; dans les dernières pages des Mémoires, Retz évoque « l’ordre que vous ‘avez donné de laisser des mémoires qui pussent être de quelque instruction à Messieurs vos enfants. » Or, Mme de Sévigné, âgée de quarante-neuf ans en 1675 et veuve depuis quinze années, n’avait qu’un seul fils, adulte depuis longtemps. Cette difficulté a incité certains auteurs à substituer Mme de Grignan à Mme de Sévigné. Mais Mme de Grignan, née en 1646, était trop jeune pour bien sentir toutes les allusions et réflexions du vieux cardinal pour lequel elle n’éprouvait d'ailleurs aucune sympathie. Quant à l’expression « Messieurs vos enfants », elle peut fort bien désigner les petits-enfants de l’épistolière. Il est vrai que Mme de Grignan perdit son fils en bas âge et qu'elle eut une fille, Pauline...
Ce qu’on peut affirmer avec certitude est que Retz a cédé à la pression d’un petit groupe d’amis auquel appartenait Mme de Sévigné et qui désirait avoir de lui un récit circonstancié de sa vie mouvementée parce qu’il en avait souvent raconté tel ou tel épisode au cours de conversations de salon « en l’ornant d’un peu de merveilleux » si l‘on en croit l’abbé de Choisy dans ses Mémoires.
Sources : Michel Pernot, Préface aux Mémoires, Gallimard, Folio classique, 2003.
A propos du style de Retz dans ses Mémoires
Dans ses Mémoires, le cardinal de Retz offre un savoureux échantillon de la langue du 17e siècle. Disciplinée chez Corneille, Bossuet ou Racine, elle est sensuelle et imagée chez Saint-Simon et Retz. A la lire, nous mesurons ce que le romantisme avec ses abstraction lyriques et le bon goût bourgeois avec ses pudeurs sèches nous ont fait perdre. Voici quelques échantillons de son style :
- « Il en est des ecclésiastiques comme des femmes, qui ne peuvent jamais conserver de dignité dans la galanterie que par le mérite de leurs amants. »
- « Il y a toujours eu du je-ne-sais-quoi en tout en M. de la Rochefoucauld. Il a voulu se mêler d’intrigue dès son enfance, et dans un temps où il ne sentait pas de petits intérêts, qui n’ont jamais été son faible, et où il ne connaissait pas les grands, qui, d’une autre sens, n’ont pas été son fort. »
- Le prince de Conti « était un zéro qui ne multipliait que pare qu’il était prince de sang. »
- M. de Longueville « avait, avec le beau nom d’Orléans, de la vivacité, de l’agrément, de la décence, de la libéralité, de la justice, de la valeur, de la grandeur, et il ne fut jamais qu’un homme médiocre, parce qu’il eut toujours des idées qui furent infiniment au-dessus de ses capacités. »
- « Il y eut quelques moments où la reine contrefit le douce, et elle ne fut jamais plus aigre. »
Chez Retz, mégalomanie certes, mais aussi humour et bouffonnerie.
Sources : Jean-Marie Rouart, Ces amis qui enchantent la vie, Laffont, 2015.
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Date de dernière mise à jour : 26/07/2021