« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mme de Sévigné et les maîtresses du roi

Mmes de Maintenon et de Montespan dans les lettres de Mme de Sévigné

   Mme de Sévigné, dont Saint-Simon dit dans ses Mémoires qu’elle « savait toute sortes de choses sans jamais paraître savoir rien », tient une gazette détaillée des événements de la cour et observe la lente ascension de Mme de Maintenon.   

La Précieuse

   Après la mort de Scarron, Mme de Maintenon commence à fréquenter les salons des précieuses où Mme de Sévigné la côtoie : elle rapporte une conversation, lors d’une soirée, entre Mme de Maintenon et l’abbé Testu « sur les personnes qui ont le goût au-dessus et au-dessous de leur esprit […]. Nous nous jetâmes dans des subtilités où nous n’entendions plus rien. » La préciosité a des limites...

La gouvernante

   Mme de Maintenon cultive un certain mystère sur ses occupations et ses résidences.

   Mme de Sévigné écrit le 30 décembre 1671 : « Elle sera encore ici deux ou trois jours et puis adieu pour des siècles ». En décembre 1672 : « Pour Mme Scarron, c’est une chose étonnante que sa vie, aucun mortel sans exception n’a de commerce avec elle. J’ai reçu une de ses lettres mais je me garde de m’en vanter de peur des questions infinies que cela m’attire. »

   Mme de Coulanges, parente de Mme de Sévigné (certainement au courant de cette lettre), reçoit de Mme de Maintenon ces lignes en mars 1673 : « Je suis en très bonne santé, enfermée dans une assez belle maison [1], un jardin très spacieux, ne voyant que des gens qui me servent, toute ravie, toute extasiée, dans la contemplation de ma dernière aventure […]. Je vois tous les soirs votre gros cousin [2] qui me dit quelque chose de son maître et puis s’en va car je ne voudrais pas rester avec lui. Ce maître vient quelquefois chez moi, malgré moi et s’en retourne désespéré, mais sans être rebuté. Vous pensez bien qu’à son retour chez lui il trouve à qui parler [3]. Pour moi, je demeure tranquille par la vérité de mon procédé. »

   Mme de Coulanges écrit à Mme de Sévigné le 20 mars 1673 : « Nous avons enfin retrouvé madame Scarron, c’est-à-dire que nous savons où elle est, car pour avoir commerce avec elle, cela n’est pas aisé. Il y a chez une de ses amies [4] un certain homme qui la trouve si aimable et de si bonne compagnie qu’il souffre impatiemment son absence […]. Je suis assurée que vous trouvez que 2 000 écus de pension [5] sont médiocres, j’en conviens, mais cela s’est fait d’une manière qui peut laisser espérer d’autres grâces. » 

Mme de Montespan, l’amie devenue rivale

   Le 31 juillet 1675, Mme de Sévigné écrit à sa fille à propos des relations entre le roi et Mme de Montespan : « L’attachement est toujours extrême. On en fait assez pour fâcher le curé et tout le monde et peut-être pas assez pour elle, car dans son triomphe extérieur il y a un fond de tristesse. »

   Et une semaine plus tard : « Cette belle amitié de Quantova [6] et de son amie qui voyage [7] est une véritable aversion depuis près de deux ans. C’est une aigreur, c’est une antipathie, c’est du blanc, c’est du noir. Vous demandez d’où cela vient ? C’est que l’amie est d’un orgueil qui la rend révoltée contre les ordres de Quanto. Elle n‘aime pas à obéir. Elle veut bien être au père mais pas à la mère. Elle fait le voyage à cause de lui et point du tout pour l’amour d’elle. Elle lui rend compte et point à elle. On gronde l’ami [8] d’avoir trop d’amitié pour cette glorieuse mais on ne croit pas que cela dure à moins que l’aversion ne se change ou que le succès d’un voyage ne fît changer les cœurs. »  

   Dans sa lettre du 16 octobre, elle écrit : « Monsieur du Maine marche. Voilà un grand bonheur pour madame de Maintenon. » Et plus tard, avec ironie : « Je crois qu’un si heureux voyage réchauffera le cœur des deux amies. » Mme de Sévigné assiste à ce glorieux retour à Saint-Germain début novembre et rapporte que le roi voit entrer son fils « mené seulement par la main de Mme de Maintenon » si bien que « les uns lui baisaient la main, d’autre la robe » ; elle ajoute « qu’elle se moquait d’eux tous, prétendant qu’elle n’était pas changée.  [Pourtant] on dit qu’elle l’est. »

   Des jalousies naissent et Mme de Sévigné le remarque : « Elle n’est plus si fort dans l’admiration de tout le monde. » 

   En mai 1676 : « Mais parlons de l’amie, elle est encore plus triomphante que celle-ci [Mme de Montespan], tout est soumis à son empire, toutes les femmes de chambre de sa voisine sont à elle, l’une lui tend le pot de pâte, à genoux devant elle, l’autre lui apporte ses gants, l’autre l’endort, elle ne salue personne et je crois que dans son cœur elle se rit bien de cette servitude. »

   Le 20 juillet : « L’amie de Mme de Montespan est mieux qu’elle n’a jamais été, c’est une faveur dont elle n’a jamais approché ». Le Roi parle d’elle comme de sa première ou seconde amie. »

  Des hauts et des bas se succèdent. En 1677, elle retourne à Barèges mais le duc du Maine, cette fois, n’en tire aucun bienfait. A son retour en octobre, Mme de Sévigné écrit : « La santé de Monsieur du Maine apparemment n’est pas bonne. Il est à Versailles où personne ne l’a vu. On dit qu’il est plus boiteux qu’il n’était. »

   En hiver, la bataille entre les deux femmes bat son plein. Sous le prétexte d’un rhume qui n’en finit pas, Mme de Maintenon garde la chambre et fait venir à ses côtés Mme de Coulanges, ancienne amie de Mme de Montespan. Mme de Sévigné s’amuse de la situation : « Quanto [Montespan] et l’enrhumée sont très mal. Cette dernière est toujours très bien avec le centre de toutes choses et c’est ce qui fait la rage. » Le 11 décembre, elle écrit à sa fille : « Il y en a qui disent que Mme de Maintenon sera placée d’une manière à surprendre. Ce ne sera pas à cause de Quanto car c’est la plus belle haine de nos jours. Elle n’a vraiment besoin de personne que de son bon esprit. » Et plus tard : « Elle est la machine qui conduit à tout. »

   Le 8 janvier 1680, la voilà en effet nommée seconde dame d’atour de la dauphine [9].

   Le 29 mars 1680, Mme de Sévigné la trouve « emportée par un tourbillon […]. Madame de Maintenon donne à la Dauphine le temps qu’elle donnait à Mme de Montespan, jugez de l’effet que peut faire un tel retranchement. »

   Mme de Caylus raconte : « Elles ne se voyaient plus l’une chez l’autre mais partout où elles se rencontraient, elles se parlaient et avaient des conversations si vives et si cordiales en apparence que qui les aurait vues sans être au fait des intrigues de la Cour aurait cru qu’elles étaient les meilleures amies du monde. » 

   Elles ont une haine commune, il est vrai : Mlle de Fontanges. Le 6 février, elle est faite duchesse. Mme de Sévigné témoigne de l’effondrement public de Mme de Montespan : « Montespan est enragée, elle pleura beaucoup, vous pouvez juger du martyre que souffre son orgueil. Il est encore plus outragé par la haute faveur de Madame de Maintenon. Sa Majesté va souvent passer deux heures de l’après-midi dans sa chambre à causer avec une amitié et un air libre qui rend cette place la plus souhaitable du monde. »

   La fonction de Mme de Maintenon auprès de la dauphine consiste à diriger les femmes de chambre chargées de l’habillement et de la coiffure et à présider à la toilette en l’absence de la première dame d’atour. Ce qui arrive un jour et Bussy-Rabutin, le cousin de Mme de Sévigné raconte : « La maréchale [10] qui coiffait la Dauphine ayant été obligée de sortir parce qu’elle saignait du nez, Mme de Maintenon acheva d’habiller la princesse. La maréchale étant revenue se plaignit qu’on avait entrepris sur sa fonction et comme elle semblait vouloir refaire ce que Mme de Maintenon avait fait, la Dauphine leur dit qu’elle ne savait pas comment on en usait en France mais qu’en Bavière, quand elle était une fois habillée, on ne le rhabillait que pour la coucher. » Mme de Maintenon sait se mettre en avant.   

La favorite

   Mme de Sévigné remarque dans une lettre du 9 juin que « la faveur de Mme de Maintenon croît toujours et celle de Mme de Montespan diminue à vue d’œil. »

   Le 21 juin : « Les visites durent depuis 6 heures jusqu’à 10 heures, la bru [11] vient quelquefois faire une visite assez courte, on les trouve chacun dans une assez grande chaise, après la visite on reprend le fil du discours. On n’aborde plus la dame sans crainte et sans respect. Les ministres lui rendent la cour que les autres leur font. »

   Quelques jours plus tard : « Elle lui fait connaître [au roi] un pays nouveau qui lui était inconnu qui est le commerce de l’amitié et de la conversation sans contrainte et sans chicane, il en paraît charmé. »

   En septembre 1681 : « Je ne sais auquel des courtisans la langue a fourché le premier en appelant tout bas Mme de Maintenon Mme de Maintenant. »

   Mme de Sévigné, intuitive, écrit en septembre 1684 : « La place de Mme de Maintenon est unique dans le monde, il n’y en a jamais eu, il n’y en aura jamais de pareille. » 

   Mme de Sévigné décrit ainsi Mlle de Nantes lors de son mariage le 24 juillet 1685[12], avec le duc d’Enghien [13] : « le plus joli, le plus brillant, le plus aimable petit minois, un esprit fin, amusant, et badin. » Elle a douze ans… 

    Dans sa lettre du 29 juin 1686 à Bussy-Rabutin, elle écrit : « Vous mande-t-on des nouvelles de ce pays-ci ? Vous dit-on que l’amour y reprend ses droits et sa force et qu’il s’est mis sous la protection de Monseigneur ? Vous dit-on que le beau sexe se tue pour avoir l’honneur de ces bonnes grâces ? Que tout est promenade, rendez-vous, billets doux, sérénades et tout ce qui faisait les délices de notre bon vieux temps. Le siècle est fort plaisant. Il est régulier et irrégulier, dévot et simple, adonné aux hommes et aux femmes, enfin de toutes sortes de genres de vie. » La Querelle des Anciens (les « dévots ») et des Modernes (« les joyeux ») s’immisce à la cour dans les années 1686-1687. 

   Le 20 avril 1690 (ou 91) meurt la Dauphine de Bavière. Mme de Maintenon est libérée de sa charge de dame d’atour (qu’elle n’exerçait que rarement) et de sa robe noire. En mars 1691, ce sera le départ définitif de Mme de Montespan pour le couvent Saint-Joseph.

   En juillet 1690, Mme de Sévigné constate encore qu’« elle est la machine qui conduit à tout. Mais croyait-elle qu’on pût ignorer toujours le premier tome de sa vie ? » Personne ne peut oublier sa jeunesse misérable et son mariage avec Scarron.

   Mme de Sévigné meurt en 1696 auprès de sa fille, à Grignan, de la petite vérole.  

   A la fin du siècle et en dépit des efforts de Mme de Maintenon, la cour s’assombrit et les courtisans abandonnent Versailles pour aller se distraire à Paris. À partir de 1704, avec la guerre de Succession d’Espagne et les décès familiaux, c’est le temps des catastrophes : « le sombre s’épaississait », formule Saint-Simon.

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Notes

[1] Rue de Vaugirard, où elle élève les enfants du roi et de Mme de Montespan.

[2] Louvois, ministre de Louis XIV.

[3] Mme de Montespan.

[4] Toujours Mme de Montespan.

[5] Le roi a triplé les 2 000 livres du début.

[6] Mme de Montespan, appelée plus bas Quanto : les surnoms donnés à Mme de Montespan proviennent du jeu de cartes, quanto signifiant quelle mise ? Et quantova jusqu’où ira-t-elle ?

[7] Mme de Maintenon.

[8] Le roi.

[9] Princesse de Bavière.

[10] La maréchale de Rochefort, première dame d’atour.

[11] La Dauphine.

[12] Fille de Mme de Montespan, élevée par Mme de Maintenon qui place ses protégés.  

[13] Il deviendra duc de Bourbon.

A propos du mariage de Mlle de Thianges, nièce de Mme de Montespan

Philippe de Nevers   Mme de Sévigné raconte le mariage de Philippe Mancini, devenu duc de Nevers, neveu du cardinal Mazarin avec Mlle de Thianges, nièce de Mme de Montespan :

   « Ce Monsieur de Nevers si difficile à ferrer, ce M. de Nevers si extraordinaire, qu’il glisse des mains lors qu’on y pense le moins, il épouse enfin devinez qui ? Ce n’est point Mlle d’Houdancourt, ni Mlle de Grancey ; c’est Mlle de Thianges, jeune, jolie, modeste, élevée à l’Abbaye-aux-Bois. Mme de Montespan en fait les noces dimanche ; elle en fait comme la mère, et reçoit les honneurs et tous les compliments d’une si agréable affaire. Le roi rend à M. de Nevers toutes ses charges, de sorte que cette belle, qui n’a pas un sou, lui vaut mieux que la plus grande héritière de France. Mme de Montespan fait des merveilles partout. »

   On reconnaît ici le ton de la fameuse lettre où Mme de Sévigné annonce à sa fille le mariage de la Grande Mademoiselle.

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Date de dernière mise à jour : 18/09/2017