Mme de Sévigné et les empoisonneuses
Lettre de Mme de Sévigné du 17 juillet 1676 : exécution de la Brinvilliers
[Le procès de la Brinvilliers se rattache à la fameuse Affaire des poisons, dans laquelle furent compromises la haute société parisienne et même Mme de Montespan.]
A Mme de Grignan
« Enfin c’en est fait, la Brinvilliers est en l’air (1) : son pauvre petit corps a été jeté, après l’exécution, dans un fort grand feu, et ses cendres au vent, de sorte que nous la respirerons, et que par la communication des petits esprits (2) il nous prendra quelque humeur empoisonnante, dont nous serons tous étonnés. Elle fut jugée dès hier : ce matin on lui a lu son arrêt, qui était de faire amende honorable à Notre-Dame, et d’avoir la tête coupée, son corps brûlé, les cendres au vent. On l’a présentée à la question (3) ; elle a dit qu’il n’en était pas besoin, et qu’elle dirait tout. En effet, jusqu’à cinq heures du soir elle a conté sa vie, encore plus épouvantable qu’on ne le pensait. Elle a empoisonné dix fois de suite son père : elle ne pouvait en venir à bout ; ses frères et plusieurs autres ; et toujours l’amour et les confidences, mêlés partout. On n’a pas laissé, après cette confession, de lui donner dès le matin la question ordinaire et extraordinaire. Elle n’en a pas dit davantage […]. A six heures on l’a menée nue en chemise, la corde au cou, à Notre-Dame, faire l’amende honorable ; et puis on l’a remise dans le même tombereau, où je l’ai vue, jetée à reculons sur de la paille, avec une cornette (4) basse et sa chemise, un docteur auprès d’elle, le bourreau de l’autre côté ; en vérité, cela m’a fait frémir. Ceux qui ont vu l’exécution disent qu’elle est montée sur l’échafaud avec bien du courage. Pour moi, j’étais sur le pont Notre-Dame, avec la bonne d'Escars ; jamais il ne s’est vu tant de monde ; jamais Paris n’a été si ému ni si attentif. Et qu’on demande ce que bien des gens ont vu ; ils n’ont vu, comme moi, qu’une cornette ; mais enfin ce jour était consacré à cette tragédie… »
Cette affaire résonne encore des années plus tard, l'empoisonnement étant toujours à la mode. La princesse Palatine écrit à sa tante la duchesse de Hanovre le 19 mars 1711 : « C’est la Brinvilliers qui a fait le coup. Jamais on n’avait vu pareille pièce. Elle a de sa propre main écrit une sorte de confession contenant, dit-on, de telles horreurs, que les juges ont ordonné de la jeter au feu, afin que nul ne la lût. Elle n’était pas laide : blanche comme la neige, elle avait la peau belle et lisse, une petite figure modeste et douce : elle était mignonne de sa personne. »
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Notes
(1) Comme il est dit plus bas, ses cendres furent dispersées au vent.
(2) Allusion à la théorie cartésienne des « esprits animaux ».
(3) Torture.
(4) Coiffure de femme.
Mme de Sévigné et l'exécution de la Voisin (lettre du 23 février 1680)
En 1676, Mme de Sévigné conte à sa fille le supplice de la marquise de Brinvilliers. Quatre ans plus tard, « la Voisin » est mise en cause, devineresse, sorcière, impliquée elle aussi dans la fameuse affaire des poisons. Le 23 février 1680, Mme de Sévigné décrit avec un luxe de détails quelque peu sadique la mort de la Voisin dans une lettre à Mme de Grignan :
« Je ne vous parlerai que de Mme Voisin : ce ne fut point mercredi, comme je vous l’avais mandé, qu’elle fut brûlée, ce ne fut qu’hier. Elle savait son arrêt dès lundi, chose fort extraordinaire. Le soir elle dit à ses gardes : « Quoi ? Nous ne ferons point médianoche ! » Elle mangea avec eux à minuit, par fantaisie, car il n’était point jour maigre ; elle but beaucoup de vin, elle chanta vingt chansons à boire. Le mardi elle eut la question ordinaire, extraordinaire[1] ; elle avait dîné et dormi huit heures ; elle fut confrontée à Mme de Dreux, Le Fréron[2], et plusieurs autres, sur le matelas[3] : on ne dit pas encore ce qu’elle a dit ; on croit toujours qu’on verra des choses étranges. Elle soupa le soir, et recommença, toute brisée qu’elle était, à faire la débauche avec scandale : on lui en fit honte, et on lui dit qu’elle ferait bien mieux de penser à Dieu, et de chanter un Ave maria stella, ou un Salve, que toutes ces chansons : elle chanta l’un et l’autre en ridicule, elle mangea le soir et dormit. Le mercredi se passa de même en confrontations, et débauche, et chansons : elle ne voulut point voir de confesseur. Enfin le jeudi, qui était hier, on ne voulut lui donner qu’un bouillon : elle en gronda, craignant de n’avoir pas la force de parler à ces Messieurs. Elle vint en carrosse de Vincennes à Paris ; elle étouffa un peu, et fut embarrassée ; on la voulut faire confesser, point de nouvelles. A cinq heures, on la lia ; et avec une torche à la main, elle parut dans le tombereau, habillée de blanc : c’est une sorte d’habit pour être brûlée ; elle était fort rouge, et l’on voyait qu’elle repoussait le confesseur et le crucifix avec violence. Nous la vîmes passer à l’hôtel de Sully, Mme de Chaulnes et Mme de Sully, la Comtesse et bien d’autres. A Notre-Dame, elle ne voulut jamais prononcer l’amende honorable[4], et à la Grève[5] elle se défendit, autant qu’elle put, de sortir du tombereau : on l’en tira de force, on la mit sur le bûcher, assise et liée avec du fer ; on la couvrit de paille ; elle jura beaucoup ; elle repoussa la paille cinq ou six fois ; mais enfin le feu s’augmenta, et on l’a perdue de vue, et ses cendres sont en l’air présentement. Voilà la mort de Mme Voisin, célèbre par ses crimes et par son impiété. On croit qu’il y aura de grandes suites qui nous surprendront [6].
Un juge à qui mon fils disait l’autre jour que c’était une étrange chose que de la faire brûler à petit feu, lui dit : « Ah ! Monsieur, il y a certains petits adoucissements à cause de la faiblesse du sexe. – Eh quoi ! Monsieur, on les étrangle ? – Non, mais on leur jette des bûches sur le tâte ; les garçons du bourreau leur arrachent la tête avec des crocs de fer. » Vous voyez bien, ma fille, que cela n’est pas si terrible que l’on pense : comment vous portez-vous de ce petit conte ? Il m’a fait grincer des dents. »
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Notes
[1] Tortures par l’eau. Question ordinaire : 6 litres entonnés au patient ; question extraordinaire : 6 litre supplémentaires et les brodequins.
[2] Qui avaient tenté d’empoisonner leurs maris avec les « poudres de succession » vendues par la Voisin.
[3] De torture.
[4] Confession publique, la corde au cou, sur le parvis.
[5] Place de Grève, située devant l’Hôtel de Ville.
[6] Les plus grands noms du royaume furent mis en accusation, même celui de Mme de Montespan.
Anecdote : l'invention des verres à pied
La frénésie d’empoisonnements conduit à l’invention des verres à pied qui permettent d’éviter que le personnel verse quelque substance mortelle durant le service. Les convives entrechoquent leurs verres, les contenus se mélangent parfois… Si l’un est empoisonné, l’autre le sera aussi.
Cette anecdote est rapportée par Alain Baraton dans son ouvrage Vice et Versailles (Grasset, 2011).
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Date de dernière mise à jour : 09/10/2017